Je suis né en Yougoslavie et j’y ai vécu. Je me sens toujours Yougoslave. Pourtant, au moment où l’on reconnaît les droits aux minorités, la minorité yougoslave est considérée comme une simple nostalgie qui ne correspond à aucune réalité. Comme si les autres identités – serbe, croate, slovène, albanaise, bosniaque, monténégrine, macédonienne – étaient, elles, naturelles. Les « ethnocrates », ceux qui veulent le pouvoir pour un seul peuple, ont peur de la Yougoslavie qui – monarchie ou république communiste – était un état multiethnique et multiculturel. Cela représente, pour les ethnocraties, un fatras insoutenable.
Cette solidarité est le sel de la vie. Les proches restés à la campagne approvisionnent les citadins en produits frais ou en jambon et mettent du beurre dans les épinards, tandis que ces derniers, en retour, jouent des coudes pour faciliter l'inscription à l'université ou décrocher un rendez-vous chez un médecin spécialiste. Pas vraiment besoin de demander. Nécessité fait loi.
On le sait, mais cela choque toujours lorsque l'on est sur place. La Serbie accepte difficilement de regarder en face ses responsabilités dans les conflits des années 1990. Les gouvernements successifs ont beau faire peu à peu leur mea culpa, ceux qui y adhèrent restent peu nombreux. Peu, trop peu de Serbes reconnaissent leur responsabilité dans ce conflit qui ensanglanta la région. Les yeux se durcissent, les mâchoires se crispent, parfois les poings se serrent et la colère explose à l'évocation des crimes de guerre? Honte ? Indignation ? Non. Vos interlocuteurs sont au contraire ulcérés de se voir placés sur le banc des accusés. Les Serbes s'estiment victimes. Ils relaient, pour s'en convaincre, les pires théories du complot. Leur mémoire est très sélective. L'amnésie vaut pour eux amnistie.
En ce qui concerne l’Union européenne, je suis assez amère. Tant que l’on ne s’entre-tue pas et que la question du Kosovo est apaisée, Bruxelles est indifférente à notre sort. Pourtant, le Kosovo c’est l’arbre qui cache la forêt de tous les dysfonctionnements de ce pays ! Du moment qu’il n’y a pas de conflit, l’Union européenne s’en moque ou proteste mollement en publiant des rapports qui disent « ce n’est pas bien, peut mieux faire ». De toute façon, je ne crois pas que l’Union européenne soit une solution pour la Serbie.