AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Gaston Miron (9)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées
L'homme rapaillé

Je me souviens d'une émission de radio il y a un peu plus d'un an où le comédien Jean-Louis Trintignant évoquait son retour sur scène à quatre-vingt-huit ans, dans un spectacle consacré à quelques poètes qu'il aime : Jacques Prévert, Robert Desnos, Guillaume Apollinaire et un certain Gaston Miron, poète québécois, dont il fit l'éloge. D'ailleurs il indiquait clore le spectacle par l'un de ses poèmes en le dédiant à sa fille Marie, La marche à l'amour, qui figure dans le recueil dont je veux vous parler ici, L'homme rapaillé...

Quelques vers de ce poème ont suffi à me bousculer et m'emporter dans une déferlante de mots écorchés et éblouis dont il est difficile de ressortir sans être touché au cœur :

« tu viendras tout ensoleillée d'existence

la bouche envahie par la fraîcheur des herbes

le corps mûri par les jardins oubliés

où tes seins sont devenus des envoûtements

tu te lèves, tu es l'aube dans mes bras

où tu changes comme les saisons

je te prendrai marcheur d'un pays d'haleine

à bout de misères et à bout de démesures

je veux te faire aimer la vie notre vie

t'aimer fou de racines à feuilles et grave

de jour en jour à travers nuits et gués

de moellons nos vertus silencieuses

je finirai bien par te rencontrer quelque part

bon dieu!

et contre tout ce qui me rend absent et douloureux

par le mince regard qui me reste au fond du froid

j'affirme ô mon amour que tu existes

je corrige notre vie »

C'est ainsi que j'ai fait connaissance avec ce poète québécois mort en 1996. La poésie de Gaston Miron me donne envie de respirer des espaces oubliés, de les emplir de mes rêves, de mes gestes, de mes respirations... Elle apaise autant qu'elle tourmente. Pourtant j'y suis entré comme il est possible d'avancer sur une plage bretonne en hiver en faisant face à la bourrasque, presque à contre-courant, être giflé par le vent. Chaque pas gagné sur le littoral affronte la violence, devient une ivresse, fouettant le visage, les bras, le sang et laissant monter dans le corps une étonnante douceur, quelque chose qui fait du bien, qui apaise malgré la mer déchaînée tout autour...

Gaston Miron est un poète québécois militant pour sa langue de toujours, pour son pays, pour sa terre, la terre de Québec, poète de la résistance et des mots en danger qui sont emportés dans la tourmente américaine, oublieuse...

Au détour de chaque vers, les neiges sont au rendez-vous, les neiges d'un Québec libre, les montagnes sont natales, la mémoire fait mal et le futur aussi.

J'ai aimé ce poète qui s'insurge, poète en combat, poète insoumis, disloqué, Gaston Miron a mal à son cœur, a mal dans les mots de son pays, ces mots qui nous sont souvent inconnus et qu'il égrène au hasard de ce recueil...

D'ailleurs le mot « rapaillé » est une expression québécoise qui signifie : " fragmenté, éparpillé, dont on rassemble et réagence les morceaux ".

Chant d'un poète rebelle qui dit un pays en fragments, pourtant ce n'est en aucune façon un chant patriotique ou du moins je n'ai pas lu ainsi ce recueil.

Mais surtout j'ai aimé ce poète qui aime... C'est un chant d'amour, un chant immense, le chant d'un homme fracturé, démuni, terriblement aimant.

Ici les insurrections amoureuses ressemblent à des forces telluriques, souterraines, abyssales.

Je me suis penché dans le vertige de ces vers où les brûlures sont éblouissantes, où l'être aimé devient une aube, où ses bras deviennent les digues d'un port.

Le paysage tend une passerelle entre le bord intime des corps et l'espace infini de l'âme. Il nous faut alors appareiller en terre inconnue, marcher vers des gares, le long de la voie des trains fantômes, à l'endroit même où nous avons peut-être perdu notre enfance. Est-ce vraiment une terre inconnue, ces mots qui sentent l'humus, cet endroit où les chagrins ressemblent à des rafales de pluie, où les vivants côtoient les morts, ce pays de transgressions... ?

L'homme rapaillé, c'est la poésie des contrastes, l'alliance des contraires, poésie des oxymores et des tangages.

Entre murmures et tornades, entre l'intime et le paysage, les mots de Gaston Miron deviennent amoureux et charnels.

Les vers de L'homme rapaillé sont lyriques, même dans les chuchotements ; ils deviennent doux, même dans l'impatience et la démesure des abimes.

La neige tourmentée de Gaston Miron, emportant les digues et les toits des villages de son enfance, ramène toujours à l'intime des corps et des cœurs, aux amours disparues, aux bras amoureux que l'on tend désespérément entre deux rives :

« je sais que tout amour

sera retourné comme un jardin détruit

qu'importe je serai toujours si je suis seul

cet homme de lisière à bramer ton nom

éperdument malheureux parmi les pluies de trèfles

mon amour ô ma plainte

de merle-chat dans la nuit buissonneuse

ô fou feu froid de la neige

beau sexe léger ô ma neige

mon amour d'éclairs lapidée

morte

dans le froid des plus lointaines flammes ».

Je trouve ces vers éblouissants et la rencontre avec ce poète comme un cadeau unique.
Commenter  J’apprécie          487
L'homme rapaillé

Superbe découverte que ce joyau brut de la poésie québécoise. Gaston Miron étonne, entraîne, étreint, emporte tout au passage de ses métaphores inspirées.

"c'est moi maintenant mes yeux gris dans la braise"



Gaston Miron c'est une exaltation pour son pays, sa terre, une lutte pour son langage, un combat contre la misère et le destin des exploités... Cependant, délaissant le discours politique et social, le parler "platte" de tous les jours, il choisit de clamer en poésie la force de son existence dans sa vacuité, le peu de souci que la société se fait de lui, lui le poète, lui le québécois francophone, lui l'indépendantiste, lui le gagne-petit. Aussi, l'expression visionnaire de son pays et de la condition humaine ouvre et illumine un chemin fait de poésie.

"j’ai retrouvé l’avenir"



Son poème, son œuvre, tout son être, tout le Québec, il l'exprime dans un vocabulaire simple mais toujours intense et déroutant:

"Mon poème

comme le souffle d'un monde affalé contre sa mort

qui ne vient pas

qui ne passe pas

qui ne délivre pas"



C'est l'inspiration du vent du Québec, l'inspiration des étendues à perte de vue, de cette neige - va-t-elle enfin s'arrêter ? -, c'est le souffle fort d'un peuple qui s'éveille, c'est aussi un regard tendre et patient du quotidien, c'est toujours une vision magnifiée, une véritable poétisation de la vie.

"petite semaine pleine de poches de néant

le cœur a des arrêts brusques mais savants"



Une des grandes lectures de mon année 2023!



Commenter  J’apprécie          390
L'homme rapaillé



Partons pour le Québec! Gaston Miron nous le chante, mais il est aussi l'homme de la résistance, de la défense de la langue française, voulant l'indépendance jusqu'à être emprisonné durant l'automne 1970, suite à la loi des mesures de guerre. Sa vie sera assez perturbée, d'ailleurs le titre choisi pour ce recueil n'est-il pas à l'image de son existence? En effet, "rapaillé "est un terme québécois qui signifie:" éparpillé, dont on réagence les morceaux"...



C'est aussi le chantre de l'amour, sensuel et intense, certains de ses poèmes comme " Je t'aime" ou " Jeune fille plus belle que les larmes" sont d'un lyrisme débridé, le corps qui exulte ou souffre de l'absence se confie en une envolée de mots , aux associations inattendues et superbes:



" Tu es mon amour

ma clameur mon bramement

tu es mon amour ma ceinture fléchée d'univers

le rouet des écheveaux de mon espoir"



Sa voix vibre aussi lorsqu'il évoque ses combats pour le Québec:



" Nous te ferons, terre de Québec,

Lit des réssurrections

Et des mille fulgurances de nos métamorphoses

de nos levains où lève le futur"



La poésie de Gaston Miron nous enlace, nous enflamme, nous enveloppe de ses images exubérantes et si évocatrices ! Une très belle rencontre!

Commenter  J’apprécie          375
L'homme rapaillé

******



En juillet dernier, j’avais écouté sur France Culture une soirée exceptionnelle de poésies dites par Jean-Louis Trintignant sur une musique d'Astor Piazzolla. Cette lecture d'extraits du poème « La marche à l'amour », de Gaston Miron, dédié à sa fille Marie, m'avait profondément touché.

« L’homme rapaillé », « œuvre vie » que j’ai relue, la plus célèbre du Québec et de la francophonie, était considérée par son auteur comme inachevée avant son décès en 1996.



Une tornade… Il s’agit du mot utilisé par l’auteur de la préface du livre, Édouard Glissant, pour désigner la poésie de Miron. Cette tornade en forme de poète est un débordement, une tornade aimante, tendre, qui se fait militante et gueulante parfois :

« Vous pouvez me bâillonner, m’enfermer

je crache sur votre argent en chien de fusil

sur vos polices et vos lois d’exception

je vous réponds non ».



La langue de Miron rapaille, rassemble les objets éparpillés, fragmentés et s’adresse à tous les rapaillés du monde, ceux qui souffrent, qui crient. L’auteur utilise de nombreux mots québécois : homme croa-croa, batèche, raqué, garroche, tête de tocson, peau de babiche… Je me suis laissé séduire par ces phrases décousues qui claquent, transpercent, et infusent un intense bonheur au lecteur.



Tous les thèmes sont abordés dans cette poésie bouleversante : luttes sociales, amours présents ou évanouis, histoire, turbulences du monde. L’homme doute : « Je suis un homme simple avec des mots qui peinent et je ne sais pas écrire en poète éblouissant ». Pourtant, le rythme, la syntaxe, le timbre, nous emportent dans un souffle puissant, sans retenue ni ménagement : « J’ai fait de plus loin que moi un voyage abracadabrant ».



La terre natale de Miron est le Québec : « Je n’ai voyagé vers autres pays que toi mon pays ».

« Nous te ferons Terre de Québec

lit des résurrections

et des mille fulgurances de nos métamorphoses ».

J’ai souvent pensé à Aimé Césaire et sa poésie, long cri d’amour pour sa terre : « terre dont je ne puis comparer la face houleuse qu'à la forêt vierge et folle que je souhaiterais pouvoir en guise de visage montrer aux yeux indéchiffreurs des hommes »



C’est dans l’expression amoureuse que les mots de Gaston Miron sont magnifiques :

« Amour, sauvage amour de mon sang dans l'ombre

mouvant visage du vent dans les broussailles

femme, il me faut t'aimer femme de mon âge

comme le temps précieux et blond du sablier »



« La Marche à l’amour », le plus beau de ses poèmes, écrit par Gaston Miron entre 1954 et 1958, m’a à nouveau ensorcelé. Jean-Louis Trintignant en lisait encore des extraits avant de mourir. Joies et échecs amoureux sont rassemblés :

« Qu’importe je serai toujours si je suis seul

cet homme de lisière à bramer ton nom

éperdument malheureux parmi les pluies de trèfles

mon amour ô ma plainte

de merle-chat dans la nuit buissonneuse

ô fou feu froid de la neige

beau sexe léger ô ma neige »



En mai 1981, Bernard Pivot accueille ce poète rebelle, sur le plateau d’Apostrophes. Miron crève l’écran : généreux, truculent, convaincant. Il lit quelques poèmes. Il parle avec des mots simples, une voix solide, roulant l’accent de son pays. Il se définit comme « le militant d’une langue et d’une culture », qui ressent la poésie comme « une passion d’être, un combat ».



Je ne suis pas près d’oublier l’exceptionnelle force évocatrice des mots du poète.



« Je suis sur la place publique avec les miens

La poésie n’a pas à rougir de moi

J’ai su qu’une espérance soulevait ce monde jusqu’ici »



***
Lien : http://www.httpsilartetaitco..
Commenter  J’apprécie          319
Poèmes épars

Miron est Québécois, Montréalais, un cousin,un ami, un compagnon de langue.

Miron est emportant à vous emmenotter à ses mots.

Je ne connaissais pas ce poète et puis, au détour d'un spectacle, il y a quelques temps déjà, j'ai entendu J.L. Trintignant déclamer "La marche à l'amour" en mémoire de sa fille assassinée (dans le même spectacle il récitait aussi "Je voudrais pas crever" de Vian) avec des tonnes de tripes. A vous faire chialer longtemps. Je n'ai pas oublié. Je n'oublierai pas de sitôt. C'est un peu comme un leitmotiv, un truc qui est collé en soi, un vers, une expression, une image et l'on oublie le temps pour citer Ferré.

Alors, j'ai découvert un enchanteur, un faiseur de mots, un amoureux de la nature, un musicien de la poésie, bref un magnifique jongleur de lettres, quelqu'un qui transporte et qui apporte la joie, la paix à ses lecteurs.

Pour ceux qui aiment la poésie, il faut lire (et déclamer) Gaston Miron.


Lien : https://www.babelio.com/livr..
Commenter  J’apprécie          283
L'homme rapaillé

Je connaissais de réputation mais n'avais jamais lu la poésie de Miron. L'homme rapaillé : l'homme éparpillé, qui doit ramasser ses morceaux répandus, les rassembler pour enfin reprendre forme... Cette oeuvre unique qu'il a poli et peaufiné tout au long de sa vie et qui est devenu emblématique du Québec et d'une époque.



J'ai été agréablement surprise par son vocabulaire coloré et foisonnant qui raconte si bien la québécitude. Un classique à redécouvrir!
Commenter  J’apprécie          90
L'homme rapaillé

Miron avance en poésie « comme un cheval de trait », tantôt navré et tracassé, tantôt marchant à l'amour d'un pas tranquille, en murmurant ses harmonies. Chemin de colère et de délivrance, son recueil mène au jour un être qui fait l'apprentissage de sa lucidité. Il témoigne d'un combat, milite pour une langue et lui ouvre une issue. Mais sa valeur outrepasse la cause et l'idéologie pour lesquelles il s'engage: il est moins véhicule d'idées qu'emportement et distribution de signes, voix donnée au muet et puissance de conjonction. C'est pour cela que près de trente ans après sa première édition, L'homme rapaillé conserve sa force: exemplaire d'une réponse proprement poétique « à la situation qui dissocie, qui sépare le dehors et le dedans », il oppose son amour au « non-amour sans espace » et ses liens électifs à la vie incertaine. Il ne retranche pas la poésie en quelque tour d'ivoire où elle ne se préoccuperait plus que de ses seuls reflets, il ne la galvaude pas non plus en chants patriotiques : il cherche, il creuse, il s'entête, il fait bouger la langue, il s'insurge contre ce qui l'étouffe, il défend et illustre sa puissance articulatoire, il rétablit des reliefs, des écarts, des accidents et des surprises là où le nivellement menace. Il garde vivante la pensée.



Commenter  J’apprécie          90
L'homme rapaillé

Magnifique recueil très politique et très engagé.
Commenter  J’apprécie          40
L'homme rapaillé

Que peut-on dire après une telle oeuvre? Parole-Monument, elle l'est surtout par sa O combien complexe... verve! Simplicité?! Si peu! Oeuvre qui s'est construite dans la constance et la fulgurance, et qui s'est exprimée O combien! Dans l'Ame et l'Amour de Tout Un Peuple! En marche!
Commenter  J’apprécie          30


Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Gaston Miron (254)Voir plus

Quiz Voir plus

Harry Potter pour les nuls (niveau facile)

Combien de tomes contient la série Harry Potter

6
7
8
9

7 questions
17029 lecteurs ont répondu
Thème : Harry Potter, tome 1 : Harry Potter à l'école des sorciers de J. K. RowlingCréer un quiz sur cet auteur

{* *}