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Critiques de Georg Christoph Lichtenberg (2)
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Le miroir de l'âme

Lire ce livre, cet auteur, c’est faire l’expérience de sautes d’humeur qui font une sorte d’humour que rien n’oblige à dire noir.
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Le Miroir de l'Âme

« Le Miroir de l’âme » de Georg Christoph Lichtenberg, traduit et préfacé par Charles Le Blanc (1997, José Corti, Domaine Romantique, 619 p.)

On ne présente pas Georg Christoph Lichtenberg (1742-1799), vu qu’il fréquentait son ami le roi George III d’Angleterre, soit 2 George avant le grand-père donc de la même famille des « III ». Les japonais ne sont pas idiots, eux qui font coïncider les ères avec la vie de leur empereur. On aurait comme cela une unité de règne, des George en Angleterre, des Louis en France, etc…

Pour en revenir à Lichtenberg à Londres, il y a également rencontré Goethe qui cherchait son soutien dans le cadre de sa théorie des couleurs. Il fût aussi bossu, philosophe, mathématicien et probabiliste, le tout en même temps. Il est également l’introducteur du paratonnerre en Allemagne. En termes savants on appelle cela les « Figures de Lichtenberg ». Ce sont des arborescences électriques parfois provoquées par des décharges électriques à l’intérieur d’un matériel isolant. Par exemple lors de coups de foudre. J’y reviendrai plus loin.

On lui doit aussi l’inestimable « Über die Pronunciation der Schupse des alten Griechenlands (Sur la prononciation des moutons de l’ancienne Grèce) ». Comme quoi la linguistique ovine permet de différencier les apports de carcasses moutonnières entre les rives de l'Elbe et les Balkans. Etudes qui seront fort utiles dans le livre de Adam Bodor « La Vallée de la Sinistra », (2014, Cambourakis, 240 p.). Et pourtant, c’est le dix-septième enfant d’un pasteur, mais une chute à l’âge de 8 ans lui laissera une déformation de sa colonne vertébrale, d’où sa gibbosité. Une bourse lui permet de suivre des cours à l’Université de Göttingen. Il étudie les mathématiques, l’astronomie et les sciences naturelles, et ne néglige pas l’histoire et la littérature.

Goethe écrivait de lui : « Les écrits de Lichtenberg peuvent nous servir comme la plus merveilleuse lanterne magique : là où il rit, c’est qu’un problème se cache » (mais cela, c’était un demi-siècle après que Goethe ait séjourné à Strasbourg, à côté de la Cathédrale). A un poil près, il aurait pu rencontrer le fils des voisins, le poète Jean Hans Arp. En comparaison, Lichtenberg ne se cachait point lorsqu’un problème lui souriait. Toujours l’opposition entre les deux cultures, scientifique et littéraire, que dénonçait Julian Jaynes dans « La naissance de la conscience dans l'effondrement de l'esprit » (1994, Presses Universitaires de France, 528 p.). Il faut par ailleurs reconnaître que question moutons, notamment nuageux, Goethe s’y connaissait un peu. Lire pour cela « La forme des nuages d’après Howard, suivi de Essai de théorie météorologique » du grand Johan Wolfgang Goethe traduit par Claude Maillard (1999, Editions Premières Pierres, 64 p.).

En plus de cet intérêt pour la race ovine, il était un grand amateur de pâté de lièvre, autrement appelé « Hasepfeffer » en Alsace. C’est un régal, aussi bon que le lièvre à la royale, auquel il ressemble. Il faut bien entendu un lièvre, du sang de lièvre, un soupçon de foie gras et un bon cuisinier. Hélas, les contraintes médico-sanitaires font que de nos jours le sang de lièvre est rare et cher. Dur à conserver, souvent remplacé par du sang de porc. Pour en revenir, non pas à nos moutons, mais au mathématicien-philosophe (car c’en était aussi un), il me paraît important de rappeler que « il avait donné des noms à ses deux pantoufles ». C’est en effet à ces points, qui peuvent paraître mineurs à certains, que l’on reconnait l’homme d’ordre et au parcours droit.

A ce propos, je ne ferai pas de lâche et facile jeu de mot sur sa bosse, son esprit tortueux et ses écrits. Je sais que certains y voient une lecture distordue du monde (une gibbosité littéraire). Voir et lire ses références à « de l’hypocondrie comme genre littéraire » et « de l’excroissance comme exégèse ». Par contre, il me semble tout de suite mettre au point ces problèmes de tortuosité et de déformation consécutive à une chute dès l’âge de huit ans. Une proposition existe selon laquelle « un lichtenberg (1 licht) pourrait être l’indice de courbure médiane pour évaluer la gibbosité d’un homme », avec ses sous-multiples « centilcht et millilicht », et multiples « décalicht » jusqu’à « kilolicht ». C’est effectivement une proposition qui mériterait d’être présentée auprès du Pavillon de Breteuil où sont conservés les étalons métriques. Toujours à propos de licht, ce n’est pas sans rappeler les derniers mots de Goethe, toujours lui qui réclamait « Mehr Licht ! Mehr Licht ! » (Plus de lumière ! Plus de lumière !). Avec lui s’éteint le Siècle des Lumières. Lichtenberg conclut : « Les Lumières, pour toutes les classes sociales, résident en fait dans des conceptions justes de nos besoins essentiels ».

En sciences, la tortuosité caractérise une double propriété, géométrique et cinématique. Par exemple, dans une roche perméable, un fluide ou de l’eau, doit contourner tous les grains de la roche pour couler. Ce chemin est bien plus long que celui qui joindrait en ligne droite les deux faces de la roche (à vol d’oiseau pourrait-on dire). La tortuosité est alors le rapport entre ces deux chemins. C’est aussi le rapport du temps que le flux de fluide mettrait entre ces deux extrémités en empruntant les deux chemins précédents. Dans ce cas, on oppose la tortuosité à la léprosité, temps le plus court. C’est un peu l’analogue des parallèles qui ne se rejoignent pas en géométrie classique alors qu’elles peuvent s’intersecter dans un espace non-euclidien. A vrai dire, cela dépend aussi de leur volonté propre et de leurs points de similitude selon tous les modèles d’affinité des clubs de rencontre. La démonstration se fait simplement par l’annulation de la double négation des non-parallèles et de l’espace non-euclidien. Par ailleurs, cette tortuosité, déviation par rapport à la linéarité, fait de suite penser à ce qui fait obstacle à cette dernière, donc aux nœuds, ou nodosité. Ce qui en marine s’est traduit par une unité de vitesse, ou nœud maritime. C’est la longueur d’un filin trainé par le bateau le temps qu’un jeune mousse en défasse un nœud simple ou nœud de tête. Cette unité, développée au début de la marine à vapeur, ne doit cependant pas être confondue avec celle utilisée dans la marine à voile, depuis l’antiquité. Beaucoup plus lente, on utilisait alors le nœud gordien, plus difficile à défaire. Il faut rappeler que « être Lichtenberg, c’est être bossu, mais ne pas faire de sa gibbosité une donnée de la biologie, seulement un objet mathématique – et si elle est une monstruosité, la considérer comme l’une des exceptions à la règle. »

Toutefois, Lichtenberg reste méfiant à l’égard de l’érudition, qui a tendance à considérer l’homme comme une valeur en soi. « La culture c’est maintenant ce qui manque lorsque l’on a tout appris ». D’où la nécessaire alliance de l’observation, la réflexion et l’expérimentation. Et d’où un rapport naturel avec Spinoza, et de l’unité qui existe entre force et matière dans la nature. « Nous n’observons jamais ce qui est, de manière que lorsque nous croyons faire quelque chose, celle-ci a déjà été accomplie ». Par rapport au libre arbitre, l’homme n’est pas libre, mais l’illusion de la liberté est féconde. « Je crois en définitive que l’homme est un être si libre que l’on ne peut lui contester le droit d’être ce qu’il croit qu’il est ».

A propos de Baruch Spinoza (1632-1677), on lira avec intérêt, et avec passion la thèse du tout jeune homme de 86 ans, Henri Atlan qui soutient une thèse de philosophie en Sorbonne, fin 2017 « Cours de philosophie biologique et cognitive, Spinoza et la biologie actuelle » (2018, Odile Jacob, 636 p.). Cela après avoir été professeur de biophysique et promoteur de la théorie de la complexité ainsi que de l’auto organisation du vivant. Un livre remarquable, malgré un sujet quelquefois très technique, mais qui se lit comme un roman.

Lichtenberg reste également une figure de référence pour les problèmes d’électrostatique. En particulier, il s’est beaucoup intéressé aux orages et à la foudre. On peut encore trouver de lui un « De nova methodo naturam ac motum fluidi electrici investigandi commentatio posterior » (1778) réimprimé (2009, Kensinger Publishing, 15 p.) et de façon plus commode un « Physikvorlesung » (Cours de Physique) réimprimé il y a peu (2007, Marix Verlag GMBH, Wiesbaden, 431 p.). Ce qui montre que le savant est toujours honoré et même lu.

Et son rapport au paratonnerre est complexe. Parmi ses aphorismes il y en a trois sur ce thème. « Ce n'est pas parce qu'on prêche dans les églises que les paratonnerres y sont inutiles ». Il invente la « Potence avec paratonnerre ». Il a toutefois ce mot pour son concurrent Benjamin Franklin. « A la mort de Franklin, on aurait dû pendre des crêpes aux paratonnerres ». Mais en tant qu’auteur littéraire, il suggère une utilisation non conventionnelle de l’objet. « Une préface pourrait être intitulée : paratonnerre ». En particulier, il a découvert que les électricités positive et négative ne se propagent pas de la même manière dans les matières isolantes. On lui doit les arborescences électriques, ou figures de Lichtenberg. Elles sont à la base de la xérographie moderne et de la kéraunopathologie qui étudie le foudroiement et les lésions occasionnées par la foudre sur un être vivant. A ne pas confondre avec les électrochocs qui sont aussi des applications du courant au traitement des maladies.

A propos de ces applications, ne surtout pas les confondre avec « The Lichtenberg Figures » est un recueil de poèmes de l’américain Ben Lerner (2004, Copper Canyon Press, 96 p.). Jeune poète, puisque c’est son premier ouvrage et qu’il remporte le « Hayden Carruth Award ». Ce prix est au nom du poète (1921-2008) qui a écrit plus de 30 ouvrages de poésie américaine, lorsqu’il enseignait à Syracuse University, pas très loin du lac Ontario dans l’Etat de New York. Le recueil a été nommé l'un des douze meilleurs livres de poésie de l'année à sa sortie. Rien que ça.

Il n’y aura pas de liste d’aphorismes spécifiques. Après tout, la compilation de Charles Le Blanc « Le miroir de l’âme » est là pour cela. L’ouvrage examine 12 « Cahier », « Mélanges » et 3 « Matériaux » qui vont de 1765 à 1799. Il en est tiré un florilège de 2100 pensées, soit l’anthologie la plus importante traduite, avec une longue introduction de près de 90 pages, une bibliographie et un index thématique d’une trentaine de pages. « Eveiller la méfiance envers les oracles : tel est mon but ». C’est une belle illustration de l’esprit anticlérical et universitaire de l’« Aufklärung » qui « combat pour la science contre l’érudition ».

En plus de ces reconstructions de romans, le livre présente une étude approfondie de l’hypocondrie. « L’hypocondrie est un genre littéraire, une science subtile parfois comme la recherche de la saveur du thé dans un bol d’eau chaude ». Il est évident que pendant la lecture, on est loin de l’eau tiède. Et en plus, force de notes et quelques aphorismes viennent renforcer les assertions démontrant que le livre n’est pas qu’un fait de mode ou une posture éditorialiste. « Je préfèrerai toujours l’homme qui écrit comme la mode pourrait être, à celui qui écrit comme elle est. ». Savant, on l’a vu précédemment dans ses théories reconnues sur la foudre, mais aussi en tant qu’expérimentaliste avéré, il est « plongé pendant des heures dans la contemplation de ses orteils pour en déduire une théorie de la croissance de l'ongle ».

Quelques dizaines d’années avant, Lichtenberg offrait « son corps aux empailleurs » après qu’il eût énoncé « la liste des soixante-douze dernières paroles à prononcer sublimement sur [son] lit de mort quand [il verra sa] fin venir ». Pourquoi soixante-douze, nombre divisible par 2, 3, 4, 6, 8 et 9 ? Un nombre tel que π eût été plus adéquat au mathématicien. On passe rapidement sur sa vie, il « n’a rien d’un candélabre : on devrait parler plutôt de lampadaire ». Tout y est dit : Lichtenberg éclairant le monde de par sa gibbosité. Funérailles à nouveau et passage à la postérité des « huit mille morceaux de papier » qui vont constituer ces fragments, bientôt éparpillés. L’honorable société des Lichtenbergiens, telle que Pierre Senges l’envisage dans son ouvrage « Fragments de Lichtenberg » (2008, Verticales, 632 p.) va s’efforcer de les rassembler, les recoller afin d’en extraire une exégèse complète. Non, c’est à une tâche hautement plus noble et difficile à laquelle vont s’atteler les Lichtenbergiens. Et André Breton de citer Lichtenberg « Je me fais fort de démontrer que l’on croit parfois à quelque chose, et que pourtant on n’y croit pas. Rien n’est insondable que le système des ressorts de nos actions »

Pour être complet sur « Le Miroir de l’Ame », il faut reprendre un slogan emprunté à la politicaille. « Tête Haute et Pieds Propres ». C’est-à-dire, ajouter aux idées de Lichtenberg celles de Pierre Dac dans « Les Pédicures de l’Ame » (1974, Éditions Saint-Germain-des-Prés, 293 p.). Mariage de la carpe et du lapin ? Non, simple continuité des opinions à un degré plus élevé, hors d’un humour uniquement fait pour rire. N’oublions pas que Lichtenberg était essentiellement un philosophe.

Dans ce livre, Jean-Marie Léopold Sallecomble, déjà âgé, 80 ans, revient dans son village natal, Villeneuve-la-Vieille, après 60 ans d’errance dans le monde. Il a fortement muri, pas encore blet, et va créer le « Cénacle Libre des Pédicures de l'Ame ». C’est un endroit de libres échanges et discussions où il souhaite partager son expérience à la population.

Discours introductif et fondateur de Pierre Dac. « Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, Mon Général, Ma Sœur/ Si j'ai choisi d'adopter « Les Pédicures de l'âme » comme titre à ce présent roman, c'est que, à mon avis conforme à mon opinion et réciproquement, il correspond à une nécessaire et suffisante philosophie hygiénique et morale. |…] / Je ne pouvais pas en dire moins, mais je n'en dirai pas plus, puisque mes lectrices et mes lecteurs trouveront, au cours de ces pages — à condition qu'ils les lisent, bien entendu — tout ce qui concerne la vie aventureuse et avant-coureuse de J.M.L.S. (surnommé le Platon français en raison de son inégalable et inébranlable sagesse universelle et macrocosmique) et de l'incomparable et inimitable Cénacle des Pédicures de l'âme dont il est le génial et mondial / créateur-fondateur et réciproquement. / Pierre DAC ».



Enfin je finirai par un mauvais jeu de mot sur un aphorisme de Lichtenberg « Un couteau sans lame dont il manque le manche ». Sujet à méditer. Je ne demande pas de réponse immédiate.



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