Citations de Gérard Le Gouic (93)
Quand le chat s'allonge
Dans le fauteuil de ma chambre,
La nuit devient plus sereine.
Dans les ténèbres veille
La flamme sans sommeil
De sa vigilance secrète.
Je ne perçois pas son souffle,
Ni ses griffes sur le tissu,
Que son âme légère répandue
Comme un parfum qui me rassure
Puis rapidement m'endort.
(" Les poèmes ont des oreilles")
La campagne semble morte…
La campagne semble morte
à côté des villes,
pourtant des déserts aux cités
il n’ y a qu’un pas,
un pont de fumée,
un sanglot dont nous ignorons
s’il brise ou raccommode.
Une ville déborde
de lambeaux,
de vides qui se superposent,
d’instants futurs déjà gravés
que nous recouvrirons par nos mains.
Dans la campagne le mouvement naît
d’échanges invisibles,
chaque désordre rejoint sa place,
la vie boîte d’un pas de buveur,
la mort ronge sa mauvaise humeur
que l’éternité dure le temps
d’un trou de mémoire.
//Revue Le nouvel écriterres, N°3, Automne 1990
Je ne crois pas en Vous
mais ma lutte contre vous
Vous octroie une présence supérieure
à celle que je voulais détruire.
Je t’attendrai
dans une chambre
aux quatre murs de mer.
Ce sera
un dimanche d’automne,
avec ses fumées transparentes,
sa rosée encore bleue
qui te ressemble,
un dimanche où l’on fuit
sans jamais rien rattraper.
Ici
se perd l’usage des mots,
ne se transmettent
que les parlers du silence.
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Ici
tout se superpose :
la mer, le ciel,
le cercle à plat du soleil,
les nuages et l’écume autour des rochers
le sel
seule l’île déchire.
Dans les yeux
j’ai le mot oiseau,
dans les cheveux
le mot vent,
le mot amour
entre les lèvres,
source
dans la gorge,
dans la poitrine
j’ai le mot arbre,
quant au mot liberté
je l’ai dans la peau constamment.
La pie
Elle ne sait pas, la pie,
en quelle année elle vit,
sous quelle république ou royauté,
elle ne sait pas, la pie de mon jardin,
que la mer existe pas très loin
même si sa présence invisible l’inquiète
comme le ciel dans ma fenêtre.
Elle ne connaît, la pie,
que le jour et la nuit,
le vent, les nuages,
la niche du chien,
le chêne et le hêtre du creux du chemin,
le chapeau renversé de son nid.
Elle ne sait pas
quelles monnaies ont cours,
comment on achète, comment on vote,
à quoi sert une borne.
La pie n’a nulle envie
de devenir un homme.
Et moi je prie
pour que le soleil et la pluie
me transforment en pie.
Je les retrouve les yeux fermés
les chemins de mon enfance
qui s'échappent du bourg
comme les rubans d'un chapeau.(...)
J'entends les merles
dans le fou rire de leur fuite,
les ruisseaux à saute-mouton
sous le préau des arbres.
Je les retrouve de même
les chemins immuables
qui tournent le dos à la mer
mais toujours me ramènent
vers les feuillus océans.
(" À contre-silence")
Les mots d’un poème
sont des poignées d’oiseaux
que libère le poète.
Pourquoi faut-il
que la page blanche
au lieu de leur azur
devienne leur cage?
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Ici
la mer se déverse dans la mer,
la mer s’escalade sans cesse
jusqu’à dresser une montagne
que surmonte l’île
comme sa chair éternelle.
Ne rien posséder que l'errance,
ses parcours obsolètes,
ses bagages allégés,
ne rien détenir que les adresses
approximatives des auberges du vent,
des motels de la pluie,
ne subir d'autre destin que le halage des fleuves,
transmettre les atolls aléatoires des amitiés apatrides,
des amours au sein des cités grotesques.
Où je suis creux
tu es pointe.
Où je suis vague
tu es sable.
Où je suis voix
tu es poème.
Où je suis cri
tu es plainte.
Où je suis blasphème
tu es prière.
Où je suis cercle
tu es centre.
Où je suis feu
tu es flamme et non cendres.
J’écris
parfois sur mes paupières
« fermé pour cause de rêve ».
J’écris
parfois sur mes lèvres
« fermé pour cause d’ennui ».
J’écris
parfois sur mes mains
« fermé pour cause de guerre ».
J’écris
parfois sur ma poitrine
« fermé pour cause d’amour ».
J’écris
souvent sur ma boutique
« fermé pour cause de poésie ».
Je n’ai pas un langage pour les dimanches,
des habits pour la semaine,
un lit pour aimer,
un autre pour oublier,
tout se passe dans le même
où j’aurai une vieillesse heureuse,
une agonie désespérée et batailleuse.
Je suis quotidien comme un arbre,
sédentaire comme la mer,
immobile, ô si immobile
qu’autour de moi ce sont les pierres
qui vont d’îles en îles.
Quand je te rencontrerai
ce sera l’hiver.
Par ton corps fruitier
Passera le goût de la pluie,
l’odeur essentielle
de la mousse mouillée.
Quand je t’enlacerai
le printemps sera revenu.
Je cueillerai des paupières végétales
sous les premières moiteurs des arbres,
des effleurements tièdes
sur tes seins primevères.
Quand je t’embrasserai
l’été ouvrira ses volières de rosée.
Je te boirai,
m’inonderai de toi comme d’une cruche d’eau
après une journée de travaux
dans la poussière des charrois.
Quand tu seras nue enfin
l’automne se déhanchera
sur les échelles des nouvelles pluies.
Comme un oracle entre les pierres des fontaines,
je lirai, je me devinerai
dans les taches de rousseur de tes reins.
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Ici
les couches d’écume s’empilent
comme des draps pliés.
On dirait que le sable
se glisse sous l’eau.
Les vagues ont hauteur de talus,
les cargos sur l’horizon
prennent allure de cathédrale.
J’imaginais
que tout pouvait se bâtir
en dehors des lois de l’amour
et j’ai vu
au fond d’une cour
une herbe frêle
vaincre la pesanteur
pour se tendre vers le soleil
et lui déclarer son amour.
Ici
l’envers du vent
se lit dans la mer
et par temps bleu
l’envers des courants
sinue sur le toit horizontal des nuages
Seule l’île
est sans miroir et sans contraire.
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Ici
la mer en hiver
s’habille en bretonne :
de velours noir
de blanches dentelles.