Prologue Ces dames aux chapeaux verts
Faites ici, mon enfant, votre éducation ménagère… vous voyez, nous profitons des beaux jours de l’été. Le linge doit sécher rapidement pour ne pas s’abîmer et assez lentement pour ne pas durcir. Il faut savoir apprécier le juste milieu… À Paris, on n’a pas de linge. On a des chemises en toiles d’araignée ; des draps qui sont des mouchoirs de poche ; des mouchoirs de poche qui sont des dessous de carafes… On a douze serviettes, trois nappes… Tandis qu’en province… Ah ! En province, c’est autre chose… Nous pourrions rester vingt-quatre mois sans faire aucune lessive. Nous n’avons que des pures toiles inusables. À chaque génération, avec chaque héritage, notre lingerie s’augmente…
Vieilles filles ? c'est certain que nous le sommes, vieilles filles ! mais pourquoi le sommes-nous, est-ce qu'on s'en inquiète ? (...) Il y a les femmes d'un seul amour, qui ont attendu d'un homme, qui ne leur a pas donné, l'aveu qu'une autre a reçu... Il y a les femmes de devoir, qui ont consacré leur jeunesse à des parents malades, à des enfants abandonnés, et qui se sont trouvées trop âgées pour en profiter, lorsque la liberté leur a été rendue... Il y a des femmes pauvres, dont le seul crime était de n'avoir pas de dot... Il y a... il y en a des quantités d'autres... mais surtout il y a le troupeau lamentable des femmes qui n'ont jamais été jolies. Peu importe qu'elles aient eu la bonté, l'éducation, l'intelligence, tout ce que la volonté personnelle peut acquérir ou développer. Les hommes sont passés, les dédaignant et ne disant : "Je vous aime" qu'aux créatures quelquefois sèches de coeur, mais riches d'une beauté qui n'a jamais dépendu d'elles... Vieilles filles ! on ne sait pas ce que cet état peut représenter de rancoeurs et de désillusions. On nous voit modestes et tranquilles. On ne cherche pas plus loin. Et pourtant nos coeurs ressemblent aux grands lacs au lendemain des tempêtes. Les eaux sont redevenues sereines, mais les berges sont ravagées...
-- Comme vous arrivez tard !
Aussitôt Arlette a senti que Telcide est son ennemie.
Pas un mot de bienvenue ! Pas une phrase gentille ! Rien qu'un baiser, plus froid que la plus banale des accolades.
– C’est du savon vert…
– Qu’à Paris on appelle du savon noir…
– Sans doute parce qu’il est jaune.. »
Des deux pavillons en brique qui sont dans la cour et que ces demoiselles Davernis appellent « leurs dépendances », des ballons de vapeur sortent. Une odeur se répand, faite de cent odeurs, de linge battu, de savon trempé, de sueur… Quatre femmes, le cou et les bras gonflés par la chaleur et l’effort, gesticulent dans cette atmosphère de buanderie en travail. Elles ont, pour jeter en monceau les toiles mouillées, le même geste que les pêcheurs lorsqu’ils jettent, avec un bruit de ventouse, les limandes, les soles et les grosses raies sur le carreau des halles.
Faites ici, mon enfant, votre éducation ménagère… vous voyez, nous profitons des beaux jours de l’été. Le linge doit sécher rapidement pour ne pas s’abîmer et assez lentement pour ne pas durcir. Il faut savoir apprécier le juste milieu… À Paris, on n’a pas de linge. On a des chemises en toiles d’araignée ; des draps qui sont des mouchoirs de poche ; des mouchoirs de poche qui sont des dessous de carafes… On a douze serviettes, trois nappes… Tandis qu’en province… Ah ! En province, c’est autre chose… Nous pourrions rester vingt-quatre mois sans faire aucune lessive. Nous n’avons que des pures toiles inusables. À chaque génération, avec chaque héritage, notre lingerie s’augmente…
Mais les collégiens sont des cancres, des mauvais garnements, qui n'ont pour tout génie que celui du mal. Ils ne comprennent rien parce qu'ils ne veulent rien comprendre.
p. 101
(texte écrit en 1922!)
Un samedi jour de marché.
La grande et la petite place sont bruyantes et
tumultueuses. Les appels des marchandes, les discus-
sions des ménagères se mêlent aux cris des canards,
aux gloussements des poules, aux hennissements des
chevaux. Des charlatans installent., aux carrefours,
des voitures coloriées et, montés sur le siège comme
dans une chaire, entreprennent de démontrer aux
foules que la pâte « Triplepâte » est capable à la fois
de combattre la migraine, de chasser les cors aux
pieds et de faire briller les métaux.
Un éteignoir... deux éteignoirs... trois éteignoirs...
Par une porte basse, ouverte dans un des côtés de la cathédrale, trois ombres, en forme d'éteignoirs, sortent. Ce sont Telcide, Rosalie et Jeanne Davernis, qui, vêtues de leurs houppelandes, modèle cloche, sont coiffées de capotes à brides.
- (...) La vie qui va vous emporter, est la vraie vie...
- Mais celle que nous menions...
- Elle ne l'est pas. Elle est calme, elle est ordonnée, elle n'est pas humaine. Nous n'y connaissons aucune joie, aucune souffrance, car nous ne participons à rien des joies et des souffrances universelles. Nous ressemblons à des lampes qu'on a mises au rancart, qui n'éclairent plus personne et qui s'éteignent peu à peu...
L'après-midi elle conquiert sa liberté en annonçant
son intention d'entretenir des résultats de la tombola
M. le Grand Doyen. Mensonge pieux! Si elle veut voir
M. Hyacinthe, il faut qu'elle soit chez lui dès une
heure et demie, sa classe commençant à deux heures.