Gill Hornby

" Les hommes ont toujours eu sur nous l'avantage d'avoir pu écrire l'histoire à leur façon (...) et ce sont eux qui tenaient la plume."
Persuasion
Jane Austen

Elle n'était pas encore en retard - elle n'était jamais en retard, et elle s'en faisait un point d'honneur. Simplement, il n'y avait pas assez d'heures dans la journée.

- Allo ! ( On aurait dit qu'on appelait de la lune.) Je suis bien chez Mme Miller ?
- Oui, c'est moi-même. En quoi puis-je vous être utile ? (...)
- Je m'appelle Ravi.
- Bonjour Ravi.(...) Appelez-moi Annie.
- Eh bien, euh, Annie, je voulais savoir si vous étiez satisfaite de votre fournisseur d'internet ?
- Alors , Ravi, vous êtes tombés sur le mauvais membre de la famille, s'esclaffa-t-elle (...). Ce n'est pas à moi qu'il faut poser la question. Je préférerais ne pas me faire fournir internet.(...)
Internet a tout changé mais pas pour le mieux. vous n'êtes pas d'accord ? Voilà comment je vois les choses : l'humanité progressait sur une trajectoire ascendante depuis - je ne sais pas, moi -pratiquement depuis le dix-huitième siècle, et puis internet est arrivé. Et tout d'un coup, c'est la folie. Tout part dans tous les sens.
- Mais êtes-vous satisfaite du prix de votre abonnement, madame Miller ?
- Je paierais pour qu'on m'en débarrasse, Ravi. (...) Je paierais. Honnêtement, je trouve que ma vie de famille n'a plus jamais été la même depuis. Ça n'est pas bien, tout ça, vous savez. Ces gens qui fourrent leur nez partout, dans le monde entier.

Rachel frappa et entra . Le directeur releva les yeux d'une feuille Excel .
- Ah, Madame Mason ?
Rachel eu envie de répondre : " Euh, je ne sais pas." Etant donné que M. Mason a foutu le camp , ce salaud , je ne sais pas si je suis encore Mme Mason . D'autant qu'apparemment la prochaine Mme Mason attend dans les coulisses .
Mais elle répondit "oui" et "bonjour" .

Billy comprenait-il quoi que ce soit au cycle de la vie ? Savait- il que l'amour et les soins, ça allait dans les deux sens ? Qu'on commençait par les recevoir, qu'ensuite on les rendait, et qu'enfin on était en droit de les recevoir à nouveau ?

Aux bénédictions d'un revenu important et d'un certain nombre d'acres, il pouvait ajouter trois charmants enfants et une belle épouse nantie d'une fortune personnelle. Pourquoi l'argent devait-il toujours épouser l'argent, alors que le monde eut été tellement plus heureux s'il n'en avait pas été ainsi ?

C'est tellement difficile de garder un secret, dans une petite ville...

Elizabeth était sincère quand elle disait penser avant tout à l'intérêt de ses belles-soeurs, mais l'idée qu'elle se faisait de ses intérêts était conditionnée à sa propre expérience. Comme la plupart des gens, elle était incapable de se décentrer.

Avec un peu de chance, quelqu'un, un jour, lui ferait comprendre que les petites vies d'apparence étriqués sont souvent, vues de l'intérieur, les plus belles.

Bien sûr, il était normal de pleurer ses parents : c'était le devoir de tous les enfants. Mais certains méritaient plus que d'autres le chagrin de leur progéniture.

Tracey avait rêvé d'une chose durant son interminable adolescence : être Karen Carpenter. Chanter, être écoutée, être regardée par le monde entier. Dans ses moments de réalisme ou de désespoir, elle se serait contentée de faire partie de Bananarama. Mais non. Même cette humble ambition lui avait été refusée. Le destin avait d'autres projets pour elle.

Je vous assure que c'est à peine si je connais ce gentleman. J'ignorais même qu'il eût une mère.
- La plupart des hommes en ont une, rétorqua Jane.

- Il y a tant à faire que je ne sais par où commencer, soupira Isabella. Il faut tout organiser...arranger... trier.
Autant de tâches pour lesquelles je n'ai aucun talent.
Elle avait donc des talents ? Cassandra aurait bien voulu qu'on les lui montrât, car elle n'avait jamais rien remarqué. Mais il fallait pourtant bien qu'elle en eût, si l'on croyait en un grand dessein de Dieu dans lequel chacun avait un rôle à jouer.

Vous savez à quoi vous me faites penser ? A une pop star française. Célèbre dans son pays, inconnue à l'étranger.

- Et pourtant regarde où tu en es maintenant . Tu végètes à la maison avec les enfants.
..en fait, c'est tout le contraire.
.Elle aurait voulu dire à Béa que sa vie actuelle était le summum de la créativité . Que tout ce qu'elle faisait - repas , jardins, bébés , foyer, famille - la comblait comme jamais . Qu'elle lisait plus de livres , écoutait plus de musique et jouissait d'une plus grande liberté qu'elle n'en avait jamais eue dans sa vie professionnelle . Elle pouvait penser ce qu'elle voulait quand elle le voulait . C'était un privilège insensé , sincèrement . Georgie se sentait plus intelligente maintenant qu'elle ne s'était jamais sentie de sa vie . Si intelligente d'ailleurs , qu'elle savait qu'il valait mieux ne rien dire ...

Elle savait bien que sa mère ne voulait pas dire ça . Mais le problème , C'était que Rachel ne savait pas ce que sa mère voulait dire , au juste . Ou voulait-elle en venir ? Leurs "petites conversations " sa déroulaient toujours de la même façon ; sa mère l'entraînait dans des méandres qui ne semblait ne déboucher sur rien , jusqu'à ce que Rachel soit complètement perdue , embrouillée , éclopée , et puis PAF ! Le but de la manoeuvre, le sujet sous-entendu , celui que sa mère voulait réellement aborder surgissait d'une ruelle obscure pour lui sauter à la gorge . La seule méthode qu'avait Rachel pour se défendre , c'était de résister d'un bout à l'autre .

Elle regardait beaucoup de séries policières à la télé - tout , de l'Inspecteur Barnaby à CSI . Elle les adorait ; elle ne s'en lassait jamais. Comme elle l'expliquait à Mark l'autre soir , elle était , à toutes fins pratiques , presque flic , tant elle connaissait les procédures.

Elle n'avait jamais fait "un saut" chez sa mère . D'ailleurs , elle ne faisait jamais " un saut" chez qui que ce soit . ça n'était pas sont truc . sans tomber dans la grandiloquence , elle en avait fait un article de foi : si Dieu avait voulu qu'on passe sa vie à faire des "sauts" chez tout un chacun , il ne se serait pas donné la peine de créer les serrures .

- .....Je ne sais pas moi, Les Hauts de Hurlevent ou un truc dans le genre.....
- J'ai lu ça moi ,Georgie? C'est quoi l'histoire?
- Tu sais bien Toujours la même rengaine . Tout le monde est malheureux , tout le monde est cinglé , tout le monde meurt à la fin

Si, un ou deux ans auparavant, vous aviez détaillé d'un œil impartial le site du futur hypermarché de London Road, à Bridgeford, vous auriez eu du mal à croire qu'on puisse en faire toute une histoire. Certes, c'était un grand terrain dégagé, mais personne n'aurait pu prétendre qu'il était beau. Il traînait au bord de la route depuis une éternité, désœuvré, comme s'il avait raté le dernier bus et qu'il n'avait pas le courage de rentrer à pied. Il n'avait jamais été construit, mais il avait cessé d'être vert depuis des années. Lorsqu'il avait été mis en vente, il n'était d'aucune utilité ni d'aucun intérêt pour quiconque, à part un chien errant de temps en temps, ou une touffe de chardons particulièrement dénuée d'ambition.
Mais ce jour-là, les manifestants devaient affronter les promoteurs : impossible, désormais, de rester impartial. Certes, ça restait un bout de terrain pourri, mais là n'était pas la question. La Bande de Gaza aussi, c'est un bout de terrain pourri, mais elle est d'une importance cruciale. D'abord pour ceux qui y vivent. Mais aussi pour le reste du monde. Évidemment, aucune vie n'était en péril à Bridgeford ; on n'y lançait ni bombes, ni roquettes, et le reste du monde n'en avait rien à faire. Mais tout de même : pour ceux qui vivaient dans ses environs, le site de London Road était, lui aussi, d'une importance cruciale.