Nord et Sud - Bande Annonce
Je ne connais rien à l’Économie Politique ni aux théories sur le commerce. J’ai essayé d’écrire conformément à la vérité, et si l’image que j’ai donnée dans mon récit confirme ou contredit un système, c’est bien involontairement.
Je considère que l’idée que je me suis faite de l’état d’esprit de trop nombreux ouvriers à Manchester, telle que je me suis efforcée de la rendre dans cette histoire (terminée il y a un an), a été confirmée par les événements survenus très récemment dans une classe semblable sur le Continent.
Elizabeth Gaskell. Octobre 1848.
NDL : les événements survenus récemment sur le Continent : la révolution de 1848 en France, entre autres.
Voyons, jamais Margaret n'envisagerait de s'attacher à un homme tel que lui, j'en suis certain. Jamais une idée pareille ne lui a traversé la tête.
- Il suffirait qu'elle lui ait traversé le coeur.
Les gens s’étonnaient parfois de constater que de si beaux parents avaient eu une fille à la beauté si peu régulière ; ou même totalement dépourvue de beauté, disaient certains. Elle avait une grande bouche, et non un bouton de rose tout juste capable de s’entrouvrir pour laisser passer un « oui », ou un « non » ou un « je vous en prie, monsieur ». Mais sa bouche généreuse formait une seule courbe, ses lèvres étaient rouges et pleines ; si sa peau n’avait pas la blancheur idéale, elle était lisse et délicate comme l’ivoire. Bien que Margaret affichât d’ordinaire une mine trop digne et réservée pour son jeune âge, en ces moments où elle parlait à son père son expression était vive comme le matin, tout en fossettes et en regards exprimant une joie enfantine et un espoir illimité en l’avenir.
- Ça m’ennuie de vous contredire, monsieur, pour l’heure. Mais c’est pas du manque de pouvoir des patrons que je parlais ; ce qui passe le plus mal chez nous, c’est de pas les voir disposés à remédier aux maux qui s’abattent comme des plaies sur les lieux de manufactures, alors que nous, on voit que les patrons peuvent arrêter le travail sans souffrir. […] Vous dites que notre conversation a servi à rien. Moi je dis que si. Je vois le point de vue que vous avez sur certaines choses, placé comme vous l’êtes. Je me souviendrai de ça le jour où j’aurai à vous juger ; je me dirai plus « est-ce qu’il a bien fait, compte tenu de la façon dont je vois les choses ? » mais « est-ce qu’il a bien fait de son point de vue ? » Voilà pourquoi ça m’a fait du bien de parler avec vous.

Pour mettre à exécution mon projet, j’aurais besoin que s’établissent des relations personnelles. Tout n’irait peut-être pas comme sur des roulettes au début, mais à chaque contretemps, un plus grand nombre d’hommes s’y intéresserait, et à la fin, tous seraient unis pour en souhaiter la réussite, car tous auraient participé à l’élaboration du projet. Au reste, je suis persuadé qu’il perdrait sa vitalité et cesserait d’être efficace dès qu’il ne serait plus porté par cet intérêt commun qui pousse invariablement les gens à trouver des moyens de se voir, de se connaître personnellement et de se familiariser avec leurs caractères respectifs, voire avec leurs humeurs et leurs façons de parler. Nous nous comprendrions mieux, et j’aime à croire que nous nous apprécierions davantage.
- Et ces projets, empêcheraient-ils les grèves ?
- Sûrement pas. J’espère seulement qu’ils les empêcheraient d’être les sources de haines aussi violentes et implacables que par le passé. Un homme plus idéaliste que moi espérerait peut-être que des relations plus étroites et meilleures entre maîtres et ouvriers arriveraient à faire disparaître les grèves. Mais je ne suis pas un optimiste.

Il ressemblait à beaucoup d’autres, hommes, femmes et enfants : soucieux de ce qui se passait au loin et indifférent à ce qui était près de lui. Il cherchait à se faire un nom dans les pays étrangers et sur les mers lointaines, en se mettant à la tête d’une maison qui serait connue pendant des générations ; et il lui avait fallu de longues années anonymes pour commencer à entrevoir ce qu’il pouvait être aujourd’hui dans son propre pays, sa propre ville, sa propre manufacture, parmi ses employés. Ils avaient mené, eux et lui, des vies parallèles – très proches, mais ne se rejoignant jamais, jusqu’à sa rencontre accidentelle, du moins à ce qu’il semblait, avec Higgins. Une fois mis en présence d’un individu issu des masses qui les entouraient, confrontés homme à homme, et – notez-le bien – une fois sortis de leurs rôles respectifs de patron et d’ouvrier, ils avaient chacun commencé à se rendre compte que le cœur humain est partout le même.
Un églantier sous la fenêtre embaumait l'endroit, et son odeur délicieuse lui rappela sa vieille maison. Il me semble que les odeurs affectent et stimulent la mémoire bien plus que la vue et l'ouïe;
Allons ! j'écoute vos objections. Vous êtes une femme, vous en avez donc toute une cargaison à opposer aux idées les plus raisonnables.
Elle se complaisait dans l'exercice de ses facultés intellectuelles, et aimait à connaître l'étendue infinie de son ignorance; car c'était pour elle un grand plaisir que d'apprendre - que de désirer et d'être satisfaite.
Oh, je suis tombée bien bas si l’on peut dire cela de moi ! Je n’aurais pu être aussi courageuse pour qui que ce soit d’autre, pour la simple raison que lui, il m’était totalement indifférent, voire franchement odieux. Je n’en ai été que plus soucieuse que la justice soit respectée de part et d’autre ; or, ladite justice, j’ai pu la mesurer ! Non, ce n’était pas juste, dit-elle avec véhémence, qu’il soit là, à l’abri, en attendant la troupe, qui aurait pu prendre ces malheureuses créatures dans un piège, sans le moindre effort de sa part pour les ramener à la raison. Et il était parfaitement injuste de leur part de l’agresser comme ils s’y préparaient. Si c’était à refaire, je le referais, quoi qu’on puisse dire. Si j’ai évité un seul coup, une seule action cruelle provoquée par la colère, j’ai fait mon devoir de femme. Qu’ils insultent ma pudeur et ma fierté à leur aise, j’ai ma conscience pour moi !