Citations de Gilles Archambault (76)
C’est fou, le nombre d’erreurs qu’on peut commettre tout au long d’une vie. Surtout si on s’entête à vivre vieux.
Ne pas savoir lire coûte cher, nous apprend la presse canadienne. J'aimerais dire, quant à moi, que de savoir lire coûte cher aussi. En somme, vivre est au-dessus de nos moyens.
À percuter à tort et à travers, on ne produit qu'ennui et médiocrité. Comment discerner un cri bien senti dans une foule vociférante?
Prolonger la vie ? Je veux bien. Le plus longtemps possible. Mais si on veut m'empêcher de souffrir inutilement, j'aurais tendance à être reconnaissant, le moment venu. Une chose est certaine, je ne voudrais pas prolonger ma vie en compagnie de ceux qui prônent son respect à tout prix. Ils m'ennuient.
Tous ces gens qui s'attroupaient au moindre prétexte, [...] simplement autour d'une caisse de Molson, tous ces gens m'effrayaient.
Je survis tant bien que mal à l'homme que j'ai été. Justement, quel homme ai-je été ? Je ne l'ai jamais su et ne le saurai jamais. Cette interrogation à ce jour sans réponse m'a longtemps tarabusté.
J’ai toujours été malléable, les femmes en ont parfois abusé. Surtout celle-là. Elle avait du talent comme comédienne. Dans l’amour, du brio. Je n’avais jamais connu chez une femme un tel talent pour vous faire croire que vous étiez le maître, la révélation de sa vie. À cette époque, il ne m’arrivait que rarement de connaître des ratés, mon corps m’obéissait. Je n’étais pas assez sot pour croire que j’étais au lit le partenaire rêvé qu’elle affirmait voir en moi.
Pour moi, je le sais bien, tout se conjugue à l’imparfait. Ghislain, tu étais comédien, tu ne l’es plus. On t’applaudissait, les plus belles femmes du Québec rêvaient de te connaître, tout cela est terminé. Un serveur peut te traiter de haut et tu iras quand même à son restaurant.
Pour me calmer, je me suis versé un petit sancerre. Histoire de penser à Marie-Paule. Le sancerre, ce vin que nous buvions le soir où nous avons rompu. Si toutes mes histoires s’étaient terminées comme celle-là, j’aurais eu moins de maux de tête.
Une chose est certaine, il n’y a rien de contraignant pour elle dans cette conversation. Déjà trois fois qu’elle rit bruyamment. Elle doit parler avec Serge, à moins que ce ne soit avec Isabelle, sa compagne. Comment Valéria fait-elle pour vivre avec un éteignoir dans mon genre ? Nous n’avons presque plus de relations. Ghislain n’a jamais compris que je n’aie pas en ce domaine les mêmes attentes que lui. J’ai toujours été modéré. Méfie-toi, me rappelle Ghislain, quand tu auras atteint mon âge, que tu ne pourras plus baiser avec la même aisance, tu regretteras d’avoir fait le difficile.
J’ai l’habitude d’écrire des livres. Une bonne dizaine à ce jour. Je ne suis pourtant pas parvenu à me tenir pour un écrivain. Mes romans me sont parfois un poids, j’arrive mal à les assumer. Quand on paraît leur accorder une certaine importance, il me semble souvent que cet état de choses ne saurait durer. On s’apercevra bientôt qu’il y a dans l’entreprise même de mon écriture une fausseté, une tricherie qui sera mise au jour. À ce moment-là, comment vais-je réagir ? Vais-je imiter Ghislain, accuser le milieu, le taxer d’ingratitude ? Il ne s’est pas aperçu qu’il y avait dans son jeu une superficialité qui allait finir par l’anéantir. Mes romans feraient exception ? Je voudrais bien le croire.
Ghislain ne comprend pas que je ne sois pas un mari exubérant. Tellement obnubilé par le charme de Valéria, il ne voit pas que pour moi le mariage a presque toujours été un carcan. Marie-Paule me rappelait, l’autre jour, l’avis de Tolstoï pour qui le couple est formé de deux êtres condamnés aux travaux forcés à perpétuité, enchaînés l’un à l’autre.
Les années que nous avons passées ensemble ont été plutôt douces. À vrai dire, Ghislain ne se montrait irritable que lorsqu’il voulait être libre. J’ai mis longtemps à le comprendre. Il aurait tout donné pour être dans la vie le séducteur qu’il était à la scène. Les derniers mois, quand il était évident que nous ne pouvions plus vivre ensemble, il m’a avoué que rien ne le troublait autant que de faire l’amour avec une femme pour la première fois.
Il y a des jours où le passé me paralyse. De toute manière, il va falloir que je me défasse de tout un jour prochain. Elle avait raison, il n’est pas mal, mon appart. Un peu trop grand pour moi, sept pièces. Depuis que je vis seul, je ne sais plus où donner de la tête. Yves et Marie-Paule sont mes deux seuls amis. Luc, je l’aime bien, mais enfin. Les autres se sont évanouis. Au début, je m’en félicitais. Je trouvais un peu lassantes les mondanités qui jusque-là avaient été mon ordinaire. Vous, les artistes, me dit souvent Yves, vous avez besoin de cette rumeur-là. Et vous, les écrivains, de quoi vous nourrissez-vous, sinon de vos petits lancements, de vos prix ridicules, des médailles que de guerre lasse on finit par vous décerner ? De belles joutes qui se terminent toujours par un verre.
J’allais dire qu’elle est jolie, elle est belle. À peine plus de vingt ans, les cheveux très courts, d’un noir prononcé, le nez un peu fort, des narines palpitantes et des yeux d’une vivacité hors de l’ordinaire. J’ai quand même un peu le sens du ridicule, j’ai été prudent.
À quatorze ans déjà, on me prenait pour une lolita. J’avais des seins, je savais comment remuer les fesses en marchant. Au début, j’aimais bien. Les garçons ne m’étaient pas indifférents. Puis, je me suis lassée. Un temps, je me suis habillée sobrement. C’était au moment du tournage du film qui nous réunit ce soir. Quel en était le titre, au fait ? Je n’arrive jamais à le trouver. Tellement banal, ce film, je n’ai pas cru un seul instant à l’histoire qu’il racontait. Cette peine indéfinissable, voilà, je l’ai. Le scénario qu’Yves avait écrit n’était pas si mauvais, terne comme lui, mais ses dialogues étaient d’une fausseté lamentable.
Ce qui m’énerve surtout chez les hommes vieillissants, c’est leur condescendance. Ils me citent des noms, parlent de pièces et de romans que je ne connais pas, que je n’ai pas l’intention de connaître, me lancent des titres de films que je ne verrai jamais. S’il leur semble que je ne les suis pas, ils essaient de m’indiquer qu’ils ne sont pas out, ils affectent d’être à la pointe de ce qui se fait de plus nouveau.
Elle doit avoir trente-cinq ans. De beaux seins, qu’elle exhibe parfois sans qu’on la prie de le faire, des yeux pers qui doivent rendre les hommes fous, tout cela, je veux bien, mais est-ce une raison pour nous embêter ? Pour Ghislain, aucune hésitation, puisque Michel ne peut être présent, il lui faut sa fille. Tout le monde meurt autour de moi, dit-il. Maintenant qu’il ne travaille plus, il lit un peu. Dire qu’à l’époque il ne se rendait pas à la moitié du dernier Goncourt. Des quelques livres qu’il ouvre, il retient des passages qu’il nous sert à tout propos. Du moins, à moi.
Des gens de théâtre, probablement. Je saurai me débrouiller. Le milieu, je le connais un peu. Ces gens ne demandent qu’à parler, qu’à se mettre en valeur. Il suffit de leur poser une question ou deux et la conversation s’emballe. Pour ça, je n’ai pas mon pareil, je lance une phrase, l’air de rien, et j’observe. Pourvu que mes gencives ne me fassent pas trop souffrir. Si on me demande ce que je fais dans la vie, je finirai par dire que j’écris un roman. Ça impressionne.
Avec les comédiens, sait-on jamais où est la vérité ? Il me semblait que, cette fois, il ne jouait pas. Je me demande pourquoi j’ai prétendu que moi aussi j’étais amoureux fou de Marion. Peut-être le vieux ne sait-il pas qu’elle est morte, l’hiver dernier ? On est en avril, on oublie tout.
Écrire, c’est toute ma vie. Un besoin, un peu comme marcher, respirer.