"Je pourrais moi aussi errer en pèlerinage en quelques lieux sacrés qu'elle foula de son pas d'écureuil léger, me persuader, comme ces travel writer sur les pas de leur grand homme, qu'il y flotte encore dans l'air quelques particules de leur génie, reconstituer certains de ses itinéraires dont la symbolique topographique me procurerait quelques analogies propres à soulager mon petit besoin d'écrire, me mettre en scène en train d'arpenter rues, boulevards et boutiques où mon héroïne avait ses habitudes tout en m'enivrant de l'inévitable génie des lieux pour faire venir à moi tout le suc de l'inspiration, m'asseoir seul aux tables de cafés qui nous étaient coutumières afin d'y guetter quelques non moins inévitables apparitions fantomatiques que je consignerais soigneusement sur mon carnet noir de moleskine, dévider à plus soif - histoire d'étoffer un peu le volume - adresses, dates et noms d'acolytes croisés en chemin, malmener artistement la chronologie en jonglant sur de subtils allers et retours entre l'immédiat, le révolu et l'intemporel, le tout en faisant étalage de touchants scrupules quant au bien-fondé de ma quête. On a vu, et on verra encore, que je ne suis pas le dernier à sacrifier à ces petits rites de littérateurs, ce qui me donne l'envie furieuse de balancer tout ça par le feu."
A peine esquissés, nos gestes de tennis trahissent notre histoire intime, ils sont la marque irréductible de notre identité profonde, le signe irrécusable de notre présence au monde.
Chaque fois que je la voyais, une exclamation muette sur sa beauté l'accompagnait ; je la lisais dans le regard des autres, dans tous ces premiers regards qui tombaient sur elle avec une sorte de stupéfaction, dans l’œil des passants...
"Le simulacre de vie qu'offre un matche de tennis suffit à mon existence. Ce n'est que dans cet espace rectangulaire séparé dans son exact milieu par un filet tendu à quatre-vingt-treize centimètres du sol que je me repais de la contrainte, des mille et une servitudes d'une vie au quotidien pour laquelle je n'ai aucun goût, fuyant toute espèce de responsabilités avec la même célérité que je tente de rattraper une amortie rétro. N'ayant aucun talent pour considérer le monde comme un jeu, je pratique le jeu à l'écart du monde. La seule vie convenable est dans la lecture des livres, entre les bras des femmes et sur un court de tennis."
Elle aimait, peut-être trop, ces amitiés radicales, ces complicités d'existence, ces amours impossibles, tout ce qui perçait la bulle invisible dans laquelle, me disait-elle, elle s'isolait, elle s'enfermait...
Ma vie entre tes mains
Ma course entre tes rêves
Ma chair entre tes poings
Ma jambe entre tes jambes
Ma nuque entre tes dents
Ma liesse entre tes cris
Ma barbe entre tes doigts
Ma nuit entre tes cils.