Citations de Gulwali Passarlay (19)
L'amour n'est pas réellement quelque chose dont on discute en Afghanistan. Les familles passent des accords matrimoniaux fondés sur des critères sociaux ou tribaux ou même pour faciliter des accords commerciaux. Personne ne s'attend à être amoureux ni même ne désire l'être. On se contente de faire ce que ses parents exigent, et on s'arrange au mieux pour que son mariage marche - il le faut bien, puisque le divorce est interdit aux femmes.
Si je fais un seul rêve, c'est celui-ci : que, dans le futur, un enfant lise ce livre et demande : "C'est quoi un réfugié ?"
L'une des choses les plus étranges à propos de ce voyage, c'est qu'à chaque fois qu'un passeur, ou un chauffeur, nous donnait un ordre, nous le suivions. Que ce soit "Montez dans la voiture !", "Restez silencieux !", "Suivez-moi !", "Mangez ça !", "Rasez vous la barbe !", "Donnez-moi vos passeports !", nous obéissions, tout simplement. Sans poser de questions ni même vraiment réfléchir, nous remettions chaque fois nos vies entre les mains de parfaits étrangers. Nous n'avions pas le choix. Quand ils disaient "Venez !", nous autres, pauvres petites brebis perdues, il nous fallait suivre.
Je m'imaginais courir jusqu'à un Français de haut rang et le secouer en exigeant des réponses. Ce n'était pas ma faute si je n'étais pas né en Europe. Mon pays était une zone de guerre - est-ce que cela me rendait moins vivant ?
L'ennemi de l'amour, ce n'est pas la haine, c'est l'indifférence.
La vie est une éducation, Gulwali. Et toute vie doit avoir un but.
J'étais en train de comprendre que les agents sont les représenttants de commerce du monde des passeurs. Ils doivent vous vendre de gros mensonges et de minces espoirs pour vous convaince de continuer à avancer, ce qui est dans leur intérêt parce que s'ils ne vous emmènent pas jusqu'à votre prochaine destination, ils ne sont pas payés. Ils vous diront n'importe quoi pour vous convaincre.
Une des constantes, quand vous êtes en fuite, c'est que lorsque vous pensez être aussi malheureux que possible, la vie se débrouille pour vous rire au nez encore plus fort.
La vérité, c'est qu'en temps de guerre, les familles ordinaires telles que la nôtre sont condamnées à des choix difficiles : si vous vivez en paix avec un camp, vous vous faites un ennemi de l'autre, si vous tentez un geste d'apaisement vers le premier, le second veut savoir pourquoi. On ne peut pas gagner. Le mieux qu'on puisse faire, c'est de s'en tenir autant que possible à un juste milieu en essayant de contenter tout le monde. Ainsi assure-t-on au mieux la sécurité de ses proches.
Ce sont les choix que nous faisons qui définissent nos chemins, déterminent nos itinéraires personnels et font de nous la personne que nous sommes.
En fait, il s'était rarement passé un jour sans que je sois témoin de l'inhumanité de l'homme envers l'homme.
J'avais entendu dire que la motr par noyade est une mort paisible. Celui qui a dit ça n'a pas vu des hommes adultes faire sur eux de peur, à bord d'un bateau surpeuplé tombé en panne, en plein milieu d'un orage sur la Méditerranée.
Je continuais d'être étonné que, même après avoir traversé la moitié du monde, des Afghans butent sans cesse sur d'autres Afghans. J'ai supposé que, au fond, ce n'était pas tellement surprenant puisque nous nous dirigions tous vers le Royaume-Uni. Je savais que c'était la destination d'une majorité des gens qui se trouvaient là. Il y a cette idée, cette notion que, parce qu'il est le plus difficile à atteindre, c'est le meilleur endroit, le dernier arrêt, la fin de la route. La fin du jeu.
J'attendais tellement de Paris, la ville où le parfum pleuvait des cieux ! Et tout ce que j'avais pu voir, c'était une cité sale, malodorante et froide, pleine de Parisiens qui s'écartaient de nous avec horreur.
Nos agents du moment continuaient de nous dire qu'ils travaillaient à un plan pour nous faire passer en Grèce. Chaque fois qu'ils venaient nous voir, nous entendions la même promesse :
- Demain, vous partez pour la Grèce !
Demain mettait terriblement longtemps à arriver.
J'étais à la merci des chauffeurs, des propriétaires des logements et de leurs chefs, les agents du véritable passeur. Toutefois, il n'y avait rien que je pouvais faire.
Il était évident que le bateau allait chavirer. Pendant un bref et étrange moment, je me suis senti calme, résigné. Ainsi, Gulwali, c'est comme ça que tu vas mourir. Je l'ai imaginé - me noyer - dans les moindres détails : la fraîcheur propre de l'eau au moment où les ténèbres se refermaient au-dessus de ma tête, ma vie qui commencerait à défiler devant mes yeux...
Je songeais sans arrêt à quel point ce serait plaisant en Grèce - juste de me laver, de ne plus puer la pisse et le vomi. Ça peut paraître stupide mais, plutôt que de nourriture, je rêvais d'habits neufs, et de la sensation tellement agréable qu'ils produiraient sur ma peau propre.
Avant de mourir, j'ai songé à comment ça serait, de se noyer. Il était clair désormais que c'était ainsi que je m'en irais ; loin de l'affection de ma mère, de la force de mon père et de l'amour de ma famille. Les vagues blanches allaient me dévorer, m'avaler tout entier avec leurs mâchoires terrifiantes, puis rejeter mon jeune corps qui sombrerait lentement dans les profondeurs froides et sombres.
- Morya ! Morya ! ai-je crié en implorant ma mère de venir, de prendre son fils de douze ans et de le mettre en sûreté.
Le voyage était supposé être le commencement de ma vie, pas sa fin.