La lune est belle ce soir.
Elle n'est pas blanche,
pas jaune. C'est entre les deux
mais aussi un peu différent.
Elle est, tout là-haut,
comme éclairée de l'intérieur.
Le village est vide ce soir.
Depuis le temps que je me tiens là,
debout devant la fenêtre
observant le dehors, je n'ai vu
que la chatte Maniague
filer la queue droite,
au ras du bas des murs.
En patois, Maniague,
ça veut dire à la fois
gentille et jolie. Je trouve
la lune bien maniague ce soir.
C'est une belle nuit d'automne,
toute claire. Je n'ai pas sommeil.
Papa m'explique. Il me fait toucher le rocher sous mes pieds, il me montre la limite. Là où ça glisse, un buisson où je peux me tenir en attendant, un rebord où m'appuyer.
J'ai peur à nouveau.
Autrefois, pour savoir le chemin, je comptais les virages. Pour être comme tout le monde. Sûr et certain. Maintenant je n’ai plus besoin. A leur forme, a la façon du chauffeur de les négocier, je pourrais vous dire exactement où l’on est
Je trouve sa main, repliée sous le drap. Une toute petite main aux phalanges boudinées. Je la déroule et je la pose dans la mienne. Je la garde là, dans le creux. Plus tard, je lui apprendrai à voir comme moi.
Le chien est tout mouillé en contrebas. Depuis l'îlot où il s'est hissé, ignorant les vaguelettes qui lui lèchent les pattes, il regarde Tom. Les yeux écarquillés, confiant et protecteur.
Alors, c'est du bout des doigts que Tom vient chercher ce sourire au fond du berceau. C'est sans yeux qu'il voit les lèvres aux commissures retroussées, et la bouche, qui au contact machinalement s'entrouvre. Des mains, il continue son chemin délicat, parcourant avec précaution le petit visage. Comme pour le modeler mais c'est l'inverse. Ce sont les formes qui dans les mains s'inscrivent. Et c'est là, d'abord, que les creux, les courbes et les bosses viennent en mémoire prendre leur place. (p.45-46)
Alors, un jour peut-être, ils me laisseront faire partie d'un gang qui entre dans les maisons la nuit pour prendre les choses qui valent très cher comme les bijoux des belles femmes dans les publicités pour les parfums.
- C'est la vie qui vous tombe dessus. Chaque jour. Même à ça, on ne s'habitue pas. Chaque jour est une naissance. Pour chacun. (p.32)
La mort ? Certains l'appellent la faucheuse mais elle préfère la bêcheuse. Jasmine prétend que si on l'ignore, si on la snobe, qu'on la regarde crânement, bien droit en face, elle perd ses moyens, nous laisse tranquille et va bouder dans son coin. Hasards d'infortune, sales coups de l'Histoire, la mort bute assez qu'on ne veut pas de malheurs.
Préparer un bel endroit pour quelqu'un. Un endroit où on n'ira pas. Juste pour l'autre, comme un présent. Qu'on imagine qu'il lui plairait, qu'on apprête. C'est plaisir, alors, de mettre tout son savoir-faire en branle; de s'y donner du mal.