Issu d'un peuple où les épées ennemies fauchent bien trop souvent la jeunesse des hommes, Khlit avait eu la chance de survivre à de nombreuses guerres. Le vieux guerrier avait marché sur la Pologne et dévasté les territoires des khans sur des centaines de verstes, le long de la Volga. Sa demeure, à Rusk, renfermait des trésors, témoins de ces combats : des armes dérobées aux non-croyants, des rançons arrachées à de riches turcs ou encore des butins rapportés de cités saccagées. Les yeux de Khlit n'étaient pourtant pas tournés vers Rusk. Ils surveillaient les rives du Dniepr, à la recherche d'un signe annonçant l'arrivée de l’ennemi.
Existe-t-il quoi que ce soit de plus rapide qu'un cheval lancé à bride abattue dans les plaines ?
Ou qu'une flèche bien tirée ?
Oui, la sombre main de la mort.
Proverbe tatar.
- As-tu une autre paire de bottes, ou bien, à défaut, un peu d'argent pour en acheter ? s'enquit Khlit après avoir examiné quelques instants son interlocuteur, dont il reconnaissait à présent les traits. Car il semble qu'une guerre approche.
- Ah ! De l'argent ? grimaça le géant en secouant la tête. J'ai donné jusqu'à mon sou fétiche aux juifs en échange de brandy, hier soir. Il ne me reste pas même l'ombre d'un sequin.
- Dans ce cas, commença Khlit, va voir l'hetman de notre kuren de ma part, demande-lui des bottes et tout ce dont tu pourrais avoir besoin. La guerre est à nos portes et les troupes vont se mettre en route.
- Oh ! Parfait ! gloussa le Cosaque, je vais pouvoir me pavaner devant les jeunes troupes, ce soir.
- Tu devrais surtout te réjouir de ne pas avoir perdu ton épée, porc arrogant ! rétorqua Khlit. Car un Cosaque et sa lame sont liés jusqu'à la mort.
N’est-il pas écrit dans le Coran que la plus désagréable de toutes les voix est celle de l’idiot ?
Les Polonais ne sont bons qu’à aiguiser les lames de la Sietch. Ils sont doux comme des agneaux. Le véritable ennemi de l’Ukraine se trouve de l’autre côté du Père Dniepr.
Il s'éloigna, chancelant, bien conscient qu'il ne boirait plus la moindre goutte d'alcool. Le mot magique, « guerre », avait agi comme un talisman, guidant ses pas lourds et ses yeux injectés de sang vers la lumière. Lorsque la Sietch entre en guerre, l'ivresse n'est plus tolérée.