Par l'auteur & Laura Cahen
Festival Paris en toutes lettres
Il vient d'apprendre les circonstances précises de la mort de sa mère, quand il avait six ans. Aujourd'hui jeune adulte, il rêve de la voir réapparaître au détour d'une rue, il cherche à faire parler son père, peu disert
À défaut de pouvoir comprendre, il se perd dans les nuits du Hangar où s'étreignent les garçons. Là, au moins, il n'a qu'à suivre son désir. Mère et fils marchent côte à côte dans une nuit imaginaire : « Elle vers la gare de Lyon, son terminus, et moi perdu dans la nuit infinie de ma jeunesse. » Jusqu'à ce que le jeune homme tombe par hasard sur une photo d'elle qui pourrait tout changer.
Hugo Lindenberg confirme qu'il est un superbe écrivain, et grand styliste. Et puis, son roman indique une voie, une très belle voie, celle du dépassement.
« L'automne. J'y décelais une invitation inédite à remettre à l'heure les aiguilles de mon présent. Après l'hiver, plus rien ne serait jamais figé. »
Hugo Lindenberg, La nuit imaginaire
À lire Hugo Lindenberg, La nuit imaginaire, Flammarion, 2023.
Son : François Turpin
Lumière : Iris Feix, assistée par Hannah Droulin
Direction technique : Guillaume Parra
Captation : Claire Jarlan
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Je ne veux surtout pas qu'on me retrouve, seulement que quelqu'un me cherche.
La vérité c’est que j’absorbais tout ce que je pouvais jusqu’à devenir l’air autour d’eux, jusqu’à être aspiré dans leurs poumons, puis recraché, puis aspiré encore pour saisir l’essence même de leur bonheur. J’aurais bu leur sang si ça m’avait permis de comprendre ce que c’est que d’avoir une famille comme les autres.
Et puis la faire rire aussi. C’est incroyable quand je la fais rire, c’est un dépaysement. Comme cette fois où des cousins sont venus nous rendre visite d’Israël et qu’elle a bu et qu’elle a ri. Jamais je n’avais vu ça. Le plateau chinois, les petits verres à brandy, tout ce qui dort habituellement dans les vitrines de la salle à manger ; soudain utile. Et le cou de ma grand-mère se renversant tandis qu’elle riait.
Alors je ne fais rien d’autre qu’attendre que ma grand-mère se réveille de sa sieste et que reprenne la valse des tâches ménagères qui rythment nos journées. Petit-déjeuner, se laver, s’habiller, déjeuner, dîner, se baigner, se déshabiller, se coucher. Notre vie est une symphonie de robinets qui coulent, de chasses tirées, de bains vidés, de vaisselle lavée, de linge essoré. Et pour se divertir de ce déluge : la mer.
(page 18)
Ce que mon ami ignore, c’est que depuis le début de l’été, le péril urticant des méduses m’a tenu éloigné de l’eau. Leur présence massive sur les côtes, largement commentée par les vacanciers, m’a servi d’excuse auprès de ma grand-mère pour ne pas aller nager et rester avec elle dans le rectangle rassurant d’une natte en osier. Seul avec mes livres et mes pensées, malgré les remontrances qu’elle m’adresse sans même lever les yeux de son tricot.
(page 21)
Qu’elle est belle ma grand-mère dans la rue, ses cheveux courts dans le vent, une natte coincée sous le bras, gilet de laine noir sur blouse bucolique orange, tenant le ballon à deux mains, une dessus, une dessous, comme si elle avait la garde de la Terre. Derrière elle une grosse folle et un enfant.
(page 69)
Alors j’ai ri, entraînant Baptiste avec moi. Deux petites têtes hilares dépassant de l’eau. Le visage édenté de mon ami disparaissait derrière la dune d’une vague naissante pour réapparaître aussi naïf et franc l’instant d’après, riant de plus belle. Et je l’aimais tant que j’aurais voulu le noyer.
(page 35)
Tantôt Baptiste avance devant et je mets mes pas dans les siens et tantôt c’est lui qui me suit. Mais qu’il soit devant ou derrière, que je l’entende dans mon dos ou que je regarde sa nuque, j’ai l’impression qu’il m’échappe. Alors que nous sommes seuls sur le sentier, Baptiste me manque plus cruellement que lorsqu’il n’est pas là. Je ressens même de l’agacement contre lui. Contre ses foulées conquérantes. Je lui en veux pour toutes les pensées qu’il me cause. Lui qui suit le fil des siennes en m’accordant l’attention d’un maître pour son chien.
(pages 164-165)
J’imagine son espace mental comme une très grande maison aérée, avec plafonds de trois mètres de hauteur et parquet ciré, un piano à queue et de grandes fenêtres ouvertes sur un jardin luxuriant. Quelque chose de bien plus confortable que le taudis aux persiennes duquel j’observe le monde.
(page 143)
Mon monde sous-marin ne connaît pas la rage. J’y suis souverain. Comme mon corps, mes idées sont légères et gracieuses. J’étouffe le monde du dehors le temps d’épuiser l’oxygène emprisonné à la hâte dans mes poumons.