Hugo Tosi

- Pietre victoire...
- Piètre coït!
- C'était votre idée.
- C'était votre fantasme.
Il ne répond rien et s'habille devant elle, par provocation.
- Pourquoi m'avez-vous entrepris, alors?
- Pour un peu plus d'emprise sur vous. Pour vous faire comprendre que me résister était un pouvoir durable sur moi, que vous m'avez abandonné pour une brève et furtive satisfaction. Le sexe et le pouvoir sont indissociables, Orion.
- Philosophie de pacotille.
- Bien sûr que non. Le sexe est l'ultime récompense que s'arrogent ceux qui croient avoir déjà le pouvoir sur tout le reste. Et il est, d'une façon ou d'une autre, un des moyens d'y accéder pour ceux qui y prétendent.

Kinsky se vexe, rajuste ses lunettes et prend son temps pour répondre.

-D'abord, les constatations évidentes. Un homme à la viande fumée par les cigarettes et aux organes confits dans l'alcool. Ce genre de type, c'est comme une vieille bagnole au moteur scellé au cambouis, Pour il ne faut jamais chercher à réparer, sinon tout part en capilotade. Il n'allait pas mourir bientôt, il allait le sa se décomposer de l'intérieur. Pas un jour de sport de depuis les trente dernières années je suppose, et blanc comme un Batave au premier jour de l'été.
Loin d'un Apollon des plages.

Marion soupire en fermant les yeux, puis les regarde tour à tour, et les deux hommes comprennent que, d’une façon générale, elle n’est pas le genre de femme à qui on peut s’amuser à faire perdre son temps. Et ce matin en particulier.
— L’adjudant-chef a raison, en effet, et c’est donc une mort bien curieuse, reprend le légiste. Cet homme s’est retrouvé englué dans l’arbre et dans l’incapacité de se défaire du gluau. On peut penser qu’il s’est démené, mais plus il s’est épuisé à se débattre, plus il s’est englué. Je ne sais pas combien de temps il a réussi à tenir avant de renoncer et de s’abandonner à la mort.
— Alors, il va falloir faire un effort, parce que l’heure de son engluage m’intéresse plus que celle de son claquage, s’impatiente Marion.
— Eh bien puisque vous y mettez tant d’humanité, nous allons essayer de nous surpasser, mais c’est compliqué. Il était complètement déshydraté et brûlé par le soleil au deuxième degré quand je l’ai autopsié. Or mourir de soif, d’insolation ou d’épuisement, ça prend de toute évidence plusieurs jours.
— Mais vous pouvez évaluer ça, n’est-ce pas ?
— Oui, je peux, bien sûr que je peux, et je l’ai même déjà fait, c’est bien là le plus triste de l’histoire.
— Et pourquoi ça ?
— Parce que selon les lividités et la rigidité cadavériques, et le stade de développement des larves recueillies dans son corps aussi, cet homme est mort depuis moins de vingt-quatre heures. — Mais…
— Oui, je sais, d’après toutes les autres observations objectives et les indices matériels, il est probablement englué dans cet arbre depuis trois jours au moins.

C'est un grand gaillard en uniforme, simple gendarme de carrière d'après ses galons, du genre à croire que sa carrure l'autorise à parler au nom des autres. Marion l'imagine bien rouler des épaules devant des voleurs de scooters. Il bombe le torse et voudrait que sa posture soit une provocation, mais ses bras croisés disent qu'il reste sur la défensive. Un fanfaron comme on dit dans le coin, tout en rodomontades, un tartarin, un matamore.

Alors ils le font. IIs les lâchent, et les trois chiens au visage triste s'élancent vers lui. Presque beaux dans I'effort quand ils prennent leur élan, comme au ralenti, les muscles roulant sous leur pelage fauve, le cou tendu. Des cailloux giclent sous leurs griffes impatientes. La poussière du chemin vibrionne dans la lumière crue des phares. Leurs longues oreilles sombres battent l'air comme des ailes de Dumbo. La tache blanche sur leur poitrail l'hypnotise, il ne voit qu'elle, et soudain ils sont sur lui, hideux, la gueule baveuse et distendue, les yeux fous, les crocs jaunes hors de leurs babines purpurines. Et il hurle de terreur quand le premier lui déchire la gorge.

Dites moi une chose, pour tuer une poupée russe , doit-on éliminer celle qui contient toutes les autres, ou celle que toutes les autres cachent ?
Je suppose que la plus petite est celle qui donne la réponse, puisqu’elle est la seule à ne rien cacher.

Dans l'ascenseur à l'ancienne, Marion attend deux étages avant de se fâcher gentiment.
- Vous étiez à la limite du harcèlement ophtalmique, Cavaillon.
-Capitaine, à mon âge, ce n'était que de la contemplation platonique, rosit le vieux gendarme.

-Parole de tapineuse : lit de bois, lit de fer, si je mens, je me laisse faire.