Citations de Iman Bassalah (80)
« Mon fils, ne fais pas comme les autres que tu vois à la télévision qui viennent de perdre un fils. Il faut comprendre leur colère, mais ne crois pas que ton malheur vient de tes frères musulmans. Il y a des gens qui veulent faire le mal, et des gens qui veulent faire le bien, sache distinguer et ne mélange pas tout.» Il lui répondait, en massant à son tour du bout des doigts la tendre paume sur sa tête : «Ma mère, pour faire du pan, tu ne mélanges pas la farine, la levure et l'eau ? Mélange ce que tu veux et laisse-moi mélanger ce que je veux. Je ne t'aide pas comme il faut avec mon salaire ? Je suis un bon fils, c'est tout ce que tu dois me demander.»
- Ma mère, malgré ses origines populaires, m'a donné un éducation libre. Je me suis exprimée contre le régime tunisien, plusieurs fois. Je ne savais pas que les conséquences seraient si graves. On a peu à peu tout perdu, et je suis allée en prison. Pour trois fois rien. Quand je vois tout ce qu'on peut dire ici d'un président à la télévision, devant des millions de gens... !
- Zineb, tu es trop orgueilleuse, c'est le Chitane qui te fait parler. C'st aussi ça que tu as transmis à ta fille, l'orgueil. Elle n'aurait pas subi tout ce qui lui est arrivé et ne nous aurait pas apporté le malheur si elle avait su rester à sa place, faire ses études, se marier, élever ses enfants. Nos petits-enfants, Zineb, ceux qu'on ne verra jamais ! On a été malheureuses, nous, parce qu'on n'a pas eu la liberté ? Ouvre les yeux, Zineb, le vrai malheur, c'est la liberté !
Merci à toi, mon vis à vis de l'autre coté de la mer,
Au moins, maintenant, je sais qu'il reste encore,
Un espoir au fond de la conscience humaine,
Pour résoudre l'émigration clandestine,
En créant du travail aux pauvres chômeurs,
Pour que leurs corps n'errent plus sur la mer.
Elle jeta la guitare sur le sable et s'allongea , les bras et les jambes écartés , haletante de joie de vivre sous les étoiles.
Le vieil homme face à lui-même et à ses souvenirs, trace ainsi sur le sable le nom de la femme qu'il a le plus aimée. Un geste que nous avons tous fait!
Je ne rejette pas ma part d’Arabe, j’en suis fière, au contraire, mais je veux qu’elle perce ses propres trous. Je n’ai jamais préparé un seul couscous de ma vie, ni même un seul plat, si j’y réfléchis bien, parce que je n’avais pas envie de ressembler à une « fatma », comme ils disaient dans les bistrots.
haram sexuel, c’était donc juste ce truc de mère attentive, la prévention de la pédophilie, dans un moment jugé propice. Peut-être alors à cause de mes cousines, les étés en Tunisie, ce vieux plan de la virginité qui traînait dans l’air ? Je m’étais moquée de l’une d’elles, pressée de se marier, mineure, pour accéder à la nuit de noces dont elle rêvait, mais au moins elle avait perdu sa virginité dans des conditions moins glauques que moi, avec ce guitariste grec que je n’aimais pas du tout, pour faire comme les autres Parisiennes.
Je sais d’avance que dans les titres, il y aura plein de sujets sur les Arabes, l’islam, le terrorisme, le drapeau en berne de la laïcité, tout ce qui empêche de déjeuner en paix… Peut-être un nouvel attentat. Que peuvent les lois, que peuvent les hommes contre un gars, même pas connu des services, qui un beau matin regarde des tutoriels sur la décapitation, comme d’autres surfent sur Marmiton, s’empare d’un couteau de boucher et se précipite sur une victime de choix qu’il achève du premier coup, alors qu’il n’a pas de diplôme de boucher ou de médecin légiste en poche ? et peut-être même jamais égorgé de mouton de l’Aïd ? Pas un qui ne retourne le couteau contre lui à la dernière minute : prennent-ils une sorte de drogue du tueur pour se faciliter la tâche ? Faut-il mettre sous scellés tous les couteaux de boucher ? La victime n’est pas forcément identifiée par des menaces sur les réseaux. Ben Laden avait dit à ses hommes d’arrêter la décapitation. Pas Daech.
Au début, je n’aimais pas quand Albert m’appelait habiba (« bien-aimée »). Je me demandais s’il n’y avait pas là une sorte de relent colonialiste, quelque chose de malsain, qui me gommait, de l’ordre des représentations orientalistes de la femme par le « nabab blanc hégémonique » – Albert aime décrire ses ennemis en ces termes. Et je le sais capable de se penser lui-même comme ça. Les jours de doute, par exemple ceux où il a fait du mal à quelqu’un, stratégie ou mégarde, je lis ça dans son regard ciel.
L’époque n’est pas qu’enfumages. Il y a l’amour, il y a la solidarité. Il y a les lendemains où ça ne décapite pas au petit déj.
Il m’a fallu tomber amoureuse d’un homme deux fois plus âgé que moi pour connaître les affres de la jalousie. À part ça, des hommes sollicités, j’en avais rencontré avant. En réalité, c’est pas l’âge : sauf à quelques heures noires, Albert a souvent plus du double de mon énergie et le charisme qui va avec. Encore que dans ses moments de désespoir, et même après avoir perdu l’usage de son bras, on sent que la coupe reste pleine, quelque part. C’est plutôt qu’il m’a fallu tomber amoureuse d’un homme auquel je crois… Giuseppe, c’était pas pareil, je l’ai aimé très fort, mais il portait un drame.
Nous avons un sacré goût des autres, Albert et moi, et ça peut prendre cette voie-là, celle du désir. La journaliste israélienne, c’est une très belle femme, plus âgée que moi. Je me demande, en regardant ses traits burinés par le soleil et ses cils surchargés de noir, si je ne suis pas inconsistante à côté d’elle, avec mon âge. Peut-être ne suis-je pas assez flatteuse avec mon grand homme, car elle, elle l’encense et acquiesce presque à tout, même en relisant ses fiches.
«Vous n'avez rien vu ?»
- Rien, à part, les oiseaux dans le ciel. Tu as vu comme ils tournent en rond à cette heure-ci, ces enfants de saint François ? Ils demandent de la pluie au Seigneur ! Allez, rentrez chez vous, mes fils, la chaleur va vous donner mal à rester debout là comme des arbres.
Bien avant Albert, et mon mariage avec Giuseppe, j’ai beaucoup flirté. Libre de tout, aventurière, curieuse, passions courtes, vite retombées. Du fait de moi, du fait de l’autre ? Vie de bazar, au jour le jour, fragilités ou forces qui se heurtent ? En tout cas, pas volage, pas nymphomane. Une sorte de vie expérimentale, entre deux histoires importantes. Je m’aperçois, avec le recul des ans, que dans le tas il y a eu des avocats, il y a eu des acteurs… mais jamais il n’y a eu de médecin.
Ce que l’on dit des acteurs des premières pièces romaines, des gestes qui cherchent trop l’effet, sortis des prétoires, à l’ancienne. Et la voix qui porte… On me dit aussi que ma voix porte : « Tu parles trop fort », répètent les collègues, épuisés de m’entendre derrière la paroi. « Arrête de crier, je t’entends ! » me sermonne même Zita. Giuseppe, la Méditerranée, ça ne l’a jamais dérangé. Albert non plus, c’est pratique pour se parler d’un bout à l’autre de chez lui.
Les mauvaises choses sont plus fréquentes que les bonnes. Une fois cette réalité posée, je peux tomber très bas, un rien m’achève certains jours, mais tout de même, je me relève. Quand Zita demande s’il y a un trou blanc, pour sortir, quand on est aspiré par le trou noir, ce truc astronomique qui la fait flipper depuis qu’elle l’a vu dans un dessin animé, je réponds que oui, j’en suis la preuve.
Cette envie de tout raconter comme à la veille de mourir, d’aimer pour toujours, ou de disparaître sans laisser de traces, nous et cette fête autour, après les explosions de la manifestation, m’avait galvanisée. Nous ne nous étions plus embrassés après le baiser du porche, je commençais à me demander si ce baiser n’était pas accidentel.
Les femmes dont j’ai le plus peur, ce sont les prisonnières, avec Albert. Il me parle de ce lien particulier. Une terroriste algérienne, surtout, poseuse de bombes en Europe. Jamais de victimes, attentats ratés, attrapée lors du dernier avec une grenade dans chaque bonnet de son soutien-gorge. Je me demande si les terroristes masculins la moquent ou l’admirent.
Quand j’essaie de lui parler arabe, elle m’imite en déformant exprès, moqueuse. Plus tard, elle s’apercevra que son morceau d’ombre est un soleil, celui que ma mère recherchait à travers le hublot de sa cuisine, cité Massue. Celui que ma grand-mère guettait entre les rameaux des palmiers. Celui que je trouve dans les bras d’Albert.
Quelle sera sa part d’Arabe ? Qu’en gardera-t-elle de beau ? Son prénom et son nom sont italiens, même si zit, c’est l’huile d’olive dans la langue de mon sang. L’huile des champs d’oliviers récupérés tard par mon père, mais dont j’ai entendu crier la souffrance depuis toujours : « Si ton père reprenait les champs, nous n’aurions plus de problèmes d’argent », répétait ma mère. Parfois elle ajoutait : « Ils viennent de Californie arracher les oliviers de mille ans, Ayed n’aurait jamais permis ça ! » Cette huile très forte de l’île qui partait en jarres conquérir les mers.