L'imaginaire au féminin - Salon entre les Mondes 2019
Lorsqu'il quitta frère Théosophe, Art trouva la ville telle qu'il s'attendait à la découvrir. Évidemment, il y avait eu les nombreux films destinés à faciliter sa réincorporation, mais il ressentait en outre une curieuse sensation de "déjà vu".
Les couloirs métalliques, l'enfilade des portes numérotées, les grilles des boutiques, l'éclairage froid, le plafond à hauteur variable, quelque fois si bas qu'il fallait se courber, d'autre fois tellement haut qu'on ne parvenait plus à le distinguer dans l'éclairage violent des carrefours.
Les gens vaquaient à leurs occupations, le visage fermé et indifférent.
Tous avaient une démarche étrange. Une certaine mélancolie se discernait dans leurs yeux ternes. La tenue de travail, d'un gris sombre, accentuait encore le malaise qui avait pris Art à la gorge.
Il se souvenait des rues animées et chaleureuses, avec leurs passants bruyants et colorés, leur musique presque joyeuse faite d'exclamations, de rires et de chants.
Rien ici n'inspirait le désir de vivre, ni même celui de mourir. Il se souvenait....
(extrait de "Méné, Tékel, Parsin" - ("Compté, pesé, divisé") - première partie du volume paru dans la collection "Présence du futur" en 1976)
Jeune homme, sache que l'on arrive pas à mon âge sans avoir maintes fois considéré que le monde que nous voyons, que nous observons et que nous analysons n'est pas le seul qui nous entoure. Il existe, sois-en persuadé, un autre monde tout aussi réel, et bien plus dangereux, qui n'est ni visible, ni palpable, ni observable, mais dont nous ressentons parfois la présence et qui ne se prive pas de s'introduire dans le nôtre si nous ne pouvons pas, nous mêmes, y accéder avant notre propre mort.
(Extrait du Pied Jadois)
À présent , Art se tenait dans le sas . L'entrée venait d'en être verrouillée . À l'intérieur , il y avait juste assez d'air pour qu' Art puisse se préparer à affronter les conditions épouvantables de la surface planétaire . Avec calme , fataliste , il enfila la combinaison qui devait lui assurer deux journées d'oxygène . Deux petites journées de survie .
« Les victimes, pour la plupart, n’avaient guère que le temps de vomir avant de rendre l’âme. » (p. 27)
Art sut qu'il était tout à la fois en dehors et en dedans de lui-même.
Ayaelle ne répondit pas. Le halaguen tourna la tête dans sa direction. Ce qu'il découvrit le glaça d'horreur. Là-haut, sur le roc, la jeune princesse luttait contre une chose étrange, noire, aux reflets métalliques, dont les membres emprisonnaient ses bras et ses jambes. La frayeur l'avait empêchée d'appeler jusque là. Mais lorsqu'elle vit Sigan accourir, elle hurla :
- Non ! Non, Silgan ! Ils sont trop nombreux …
Il ne tint aucun compte de l'avertissement. Ayaelle était en danger. Cette seule pensée lui était insupportable.
Il faillit tomber. Une corde s'était brusquement tendue à ses pieds. Il s'arrêta en cherchant à deviner la nature de la menace. Une clameur féroce monta des rocs. Au même instant, une horde de guerriers hirsutes, vêtus de peaux, le cerna en le menaçant de longs sabres à lame dentelée. Sigan recula pour se donner du champ, puis, tirant l'estramaçon, il entama un formidable moulinet et marcha contre ses adversaires en poussant son cri de guerre :
- BA - GES - TON !
Une tête tomba, deux hommes gémirent avant de s'écrouler, des sabres furent brisés. L'étau se rompit sous cette formidable charge.
« À présent, un cadavre de plus sur le macadam déjà surchargé de viande froide, ça ne se sentait pas plus mauvais. » (p. 62)