« Nous autres Aragonais avons, sans aucun doute, la tête dure. Au moins aussi dure que celle qu'en France ont les Bretons. Je suis venu avec ma famille à Barcelone et c'est à l'université dans cette ville que j'ai étudié le droit et la criminologie. La proximité de la grande mer a adouci avec les années la rudesse de mon caractère. Et je suis toujours là, à pied d'œuvre. »
Ainsi se définit lui-même Javier Toméo, dont l’un des nombreux paradoxes est qu’il est l’un des auteurs contemporains espagnols les plus joués au théâtre en Europe alors qu’il déclare ne s’être jamais intéressé au genre théâtral.
Histoires minimales est pourtant un recueil de sketches très courts, écrits tous sous la même forme : un nombre de personnages limités (souvent deux) désignés par leurs titres sans plus de précision : « le fils » et « la mère », « le matelot » et « le capitaine » ou même tout simplement « le guerrier A » et « le guerrier B ». Dialogues absurdes entre un philosophe et un marmiton, un phoque et un chameau, le clown et le dompteur, le fou et le docteur, ou encore le toréador et le taureau. Dans ces scénettes, les didascalies sont au moins aussi importantes que les dialogues, témoin ces introductions très symptomatiques de son style :
« LA GRANDE SALLE DU PALAIS du DUC de B. Le DUC, assis en face de la fenêtre, derrière laquelle languit un soir automnal, nuancé de rougeâtres et lointains éclats. C’est un être minuscule, une aristocratique microscopité, qui doit utiliser de petits souliers de plomb pour que le vent ne l’emporte pas. Sur son visage, on peut lire toute la fatigue et toute la mollesse des races antiques, empoisonnées par un sang pourri, mais, envers et contre tout, jalousement transmis de génération en génération. Allongée au pieds du DUC, comme un chien de salon, la COMTESSE de K. Le PETIT DUC soupire profondément, sans détourner son regard du crépuscule. »
En général dans ses sketches Javier Toméo procède par une accumulation de détails illogiques jusqu'à l'introduction de l'absurde au milieu de la réalité la plus quotidienne. Ainsi ces deux squelettes qui s’encouragent mutuellement dans l’attente de « retourner à la chair » mais quand l’un des deux crie « Haut les cœurs » l’autre ne peut s’empêcher de faire remarquer au premier qu’ils n’en n’ont plus ….
Mais derrière ces sarcasmes, il y a une vraie tendresse pour les déçus de la vie, les ratés, les oubliés, les moches, les décrépis ou les célibataires. Nous sommes au royaume de l’absurde, dans un univers que certains apparentent à Beckett, Ionesco ou Kafka. Ou bien encore, sachant que Javier Toméo est aragonais, un univers qu’on peut rapprocher d’autres aragonais, comme Goya, Gracian ou mieux encore de Buñuel.
Javier Toméo dévoile toutes nos petites bassesses, nos conventions sociales, religieuses ou politiques, et notre incommunicabilité flagrante. Est-ce parce qu’il a commencé par une licence de Droit et de Criminologie à l'Université de Barcelone ? Toujours est-il que sous sa plume l’espèce humaine semble observée comme à travers la lentille d’un microscope.
Beaucoup de ses protagonistes en effet sont des personnages solitaires, autistes ou du moins avec des problèmes de communication. Il déteste en général les moyens de communication (la télévision par-dessus tout) et préfère défendre l’animalité, les instincts et la monstruosité des êtres humains.
Auteur de plusieurs romans traduits en français, « le château de la lettre codée », « le chasseur de lions » ou »Monstre aimé » publié aux Editions Christian Bourgois, son style est sobre, minimaliste avec des phrases courtes. Pas d’envolée lyrique sous sa plume, mais plutôt la langue populaire espagnole qui fait partie du quotidien, qui est vraiment la langue parlée par tous dans la vie, à la fois brutale et élégante.
C’est aussi un maître du conte, qu’il rassemble en collections selon leur forme, comme dans ses Histoires minimales ou selon leur thématique comme dans Histoires naturelles.
Dans « le chasseur » , un homme s'enferme pour toujours dans une pièce de sa propre maison comme un ermite et n'a plus de contacts qu'avec sa mère. On pense à Lydie Salvayre et à la « Méthode Mila ». Ou encore à une autre Lydia, portugaise celle-ci, Lydia Jorge et à son univers ubuesque comme dans « la dernière femme ».
Javier TOMEO est donc un auteur très imaginatif, qui possède un univers bien à lui, mais qui possède également comme le dit son éditeur « un goût pour le fort, l’étrange et l’absurde, un humour en lame de rasoir, un œil qui sait voir. De la voracité, mais à distance. » Un auteur à découvrir pour illustrer l’absurdité de la vie – ou pour chercher à lui trouver un sens – à chacun le sien, assurément.
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