La petite lampe
J'allume à ma fenêtre une petite lampe,
une petite lampe bleue comme mon coeur
afin que tous les mots qui traînent dans la nuit
- les mots perdus, les mots blessés,
les mots ivres de clair de lune,
les mots amoureux de la brume,
les bons mots, les mauvais mots,
les petits et les gros mots,
les mots qui volent, qui rampent,
les mots qui luisent,
les mots qui chantent,
les obscurs,
les délaissés -
afin que tous les mots de la nuit
sachent qu'il y a ici, au bord du ciel,
la maison d'un poète
qui est prêt à les accueillir
pour les bercer, les réchauffer,
les serrer contre son cœur.
Rumeur du monde
Écoute
autour de la maison
l'âpre rumeur du monde :
meurtres, massacres,
épouvante, incendie,
tyrannie et torture.
En d'autres lieux, dans d'autres cœurs
bien sûr !
Mais ne te crois ni agneau ni colombe.
Comme chacun
tu portes en toi le loup, le tigre
et la vipère,
en toi dans des ténèbres
où leur rage enchaînée
sourdement siffle et gronde.
Dans l'angoisse, la crainte
mais aussi l’espérance,
veille sur les remparts, en toi,
et prie pour que les chaînes ne se rompent.
Avoir pour seul compagnon
Un très joli papillon
Qui de saison en saison
Changerait de couleur.
Il serait vert au printemps
Comme les feuilles mignonnes,
Bleu en été, couleur du temps,
Marron dès que viendrait l’automne
Et, dans les mois d’hiver, tout blanc.
Parfois, pour la fantaisie,
Rose, violet, mauve ou gris,
Mais jamais le papillon noir
De l’ennui et du désespoir.
« L’amitié des bêtes »
J'aime qu'un arbre
dans le sable prenne racines
et qu'il ose tenter contre la nuit
un langage de feuilles,
un vaste geste d'oiseaux.
Noces de sable - Chemins de terre
Visages, miroirs
Lorsque je suis entré dans la chambre
celle qui dormait ne s'est pas éveillée.
Lorsque je me suis assis dans la chambre
celle qui veillait ne m'a pas regardé.
Lorsque je suis sorti de la chambre
celle qui pleurait ne s'est pas retournée.
Ô visage, nuage !
La lune s'est noyée dans le miroir.
Maison de miroirs
COURS, POÈTE !
Cours, poète, cours
dans la forêt du verbe,
respire, inspire,
avale au vol une virgule,
souffle une métaphore.
Cours, poète, cours,
cours plus vite encore,
car la nuit tombe
et tu entends, derrière toi,
courir toujours plus vite,
toujours plus près,
courir, souffler et geindre
une grande ombre sans visage.
Je comprenais aussi que c'est dans le dénuement que l'on sent tout le prix des choses les plus simples, et combien leur absence nous appauvrit. (p.163)
Au mur, un tableau
A coups de hache
et grandes sueurs
un homme abat un arbre.
Leurs deux souffrances conjuguées
feront le feu
dans un très proche hiver
que présagent sur les collines
une buée de neige
et un vol d'oiseaux gris.
TRACES
Sur le ciment frais d’une allée
un oiseau jadis laissa
pigeon, colombe ou tourterelle,
l’empreinte de ses pas.
l’oiseau sans doute s’envola
vécut de saison an saison
puis fut mangé par la terre.
Mais la trace à jamais demeure
comme une longue et belle phrase énigmatique.
Il en est ainsi du poète
sur le chemin de l’écriture
dans une secrète espérance.
CELUI QUI MARCHE…
Celui qui marche dans la boue
n’y verra jamais que son ombre.
Celui qui marche sur le sable
parlera langage d’oiseaux.
Celui qui marche sur les eaux
Dialogue avec les étoiles.