Dans une région sauvage nommée le Sud mais que l'on peut vraisemblablement situer en Camargue, un architecte Simon Durbain a le projet de construire une ville portuaire, Callages, sous forme de pyramides, qui s'élèverait dans un paysage de sable et de marais. Embarquant le narrateur dans cette aventure risquée, voilà ces hommes du Nord partis bâtir ce rêve fou en embauchant la population locale plutôt hostile, des hommes du marais, des montagnards, des gitans.
Marc, le narrateur, va succomber au charme de la région et d'une jeune femme du coin malgré son enthousiasme pour le projet. Mais bientôt quelques hommes d'affaire vont flairer la possibilité d'exploiter l'idée alors que de mystérieux opposants expriment leur désaccord la nuit par des actes de sabotage. Des équipes de surveillance s'installent alors que les difficultés s'amoncellent sur le chantier, les éléments naturels n'étant pas en reste.
Jean Joubert a écrit un très beau texte où s'opposent plusieurs sociétés, celle d'hommes simples qui vivent proches de la nature, prêts à défendre leur territoire, celle d'utopistes qui veulent construire mais en respectant la beauté des lieux, habités par un idéal, et les profiteurs, prêts à saccager un lieu idyllique si ça peut rapporter…et à en détruire la faune et la flore… Finalement la guerre aura le dernier mot, la ville inachevée va tomber en ruines et la nature reprendre ses droits. Simon n'est plus mais Marc est resté. le temps a passé, les souvenirs seuls peuvent expliquer le mystère de cette cité maudite...
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L'horizon s'était brusquement ouvert, le labyrinthe de roseaux laissant place à une plaine alluviale où la terre et l'eau, également imprécises, se disputaient une maigre végétation couleur d'oxyde de cuivre, de lie de vin et de vieux sang. Le tout vénéneux et quelque peu irréel. Au loin brillait comme une plaque de métal la surface d'un étang que nous finîmes par longer, le bruit du moteur inquiétant à peine de petits échassiers qui piquaient la vase près de la berge.
Le marais, je n'avais fait jusqu'alors que l'entrevoir de la route principale, ou aux alentours de Callages. Autant dire que je n'en savais rien. C'est un monde dans lequel il faut entrer. Garde-t-on ses distances, on ne le connaît guère mieux qu'une femme que l'on effleure. Et si l'image d'une femme me vient à l'esprit, c'est que j'avais compris que, de ce genre de paysage, on tombe facilement amoureux. Je sentais aussi que cela risquait de m'arriver.
Oui, nous vivons dans une époque assez basse, et je n'envie pas ceux qui s'y sentent à l'aise. Le culte du présent, de la vitesse, des apparences: comme si l'homme n'était fait que de cela ! La surface, rien que la surface ! À force d'argent et d'objets, on essaie de masquer le vide. Quand on parle du sacré, cela fait rire. Je me demande si l'Église n'a pas souscrit, elle aussi, à la mort de Dieu, et ses prêtres me donnent souvent l'impression d'illusionnistes qui s'évertuent à faire apparaître un simulacre dans les coins sombres. Entre les gratte-ciel, on ne manque pas de tables tournantes métaphysiques, et l'Esprit Saint sort d'un chapeau. Jusqu'où n'iront-ils pas ? Vous le savez, il y a des temples où les prêtres se déguisent en clowns pour attirer les enfants, d'autres où l'on peint en rouge les idoles selon les recettes de la publicité, d'autres où l'on célèbre le culte dans l'argot des faubourgs, avec accompagnement de tam-tam, depuis que le tam-tam est à la mode. Et bizarrement, dans ce siècle qui se veut positiviste, on voit surgir une armée de mages, de sorciers, de prophètes, d'astrologues, de chiromanciens, qui ne méprisent pas l'ordinateur et le compte en banque. Des sectes se forment. On adore n'importe quoi : une prostituée, un chien noir, un fœtus. Et l'année dernière, vous vous en souvenez, on a beaucoup parlé d'un groupe qui célébrait, dans je ne sais quelle cave, le culte de la mort... Alors, où est Dieu, quel que soit le nom que vous lui donniez ?
Elle n'insista pas. J'eus l'impression que déjà elle pensait à autre chose. J'aurais voulu qu'elle dise, avec cette voix que je connaissais bien : « Moi, j'irai ! », ou encore « Je n'y retournerai jamais ! » Une phrase dans laquelle il y eût au moins de la passion.
Poèmes de Jean Joubert, extraits de "Longtemps j'ai courtisé la nuit", et de Jean-Marie Berthier, extraits de "Ne te retourne plus".