Citations de Jean-Louis Ezine (14)
Chez nous, quand ça se tait, il faut avoir l'oreille fine pour distinguer la pudeur de l'indifférence. (p. 57)
Pourquoi l'homme est-il un animal qui ne sait plus du tout qui il est quand il ne sait pas d'où il vient ? (p. 72)
Au reste, je dois convenir qu’il n’avait pas eu de mauvais geste personnel à mon égard. Pour ça, il avait maman. Fatalement, un mauvais geste n’aurait pas manqué de nous engager dans une relation quelconque, lui et moi, une relation humaine, comme on dit. Et c’est justement ce qui était impossible entre nous, une relation, un rapport humain.
Qu’est-ce d’autre, écrire, que chercher son double perdu, son frère, son lecteur ? Des deux côtés dut texte, c’est la compassion même qui nous motive. Je cachais ma plaie. J’écorchais celle des autres.
Si on n'est pas chez soi dans sa tête, où pourrait-on l'être ?
C’est feutré, l’écrit, ça n’a pas la violence d’un abordage frontal, ça ménage les distances et les sentiments et ça laisse la mémoire faire son chemin.
Voyons les choses simplement. il nous manque à tous quelque chose. Et à tous, quelque chose d'essentiel, il ne faut pas se leurrer. Il est inutile de s'attarder aux injustices qui nous font penser que certains doivent endurer des carences plus cruelles que d'autres, c'est égal. Ce qu'il faut, c'est aller chercher ce qui manque. Et ne pas craindre l'échec. Ce qui compte, c'est de chercher, c'est ça qui donne un sens à la vie.
(P101)
Je ne me suis pas toujours appelé du nom que je porte, et c'est comme si j'avais vécu une autre fois. C'est comme si j'avais été un autre. Mais de cet autre, je n'ai aucun souvenir. Rien qui puisse se dire tel, plutôt les ombres floues des réminiscences où s'évanouissent, aux limites de la mémoire, les ultimes rayons d'un monde éteint. J'étais trop jeune pour les souvenirs, quand j'ai cessé d'être lui. Et cependant il a toujours occupé ma pensée, toute ma pensée. Il ne m'arrive rien d'important, ou de misérable, ou de triste ou d'heureux que je n'aie le sentiment étrange de recevoir par délégation. Nous sommes pourtant très différents, lui et moi. Pour commencer, lui avait un père, tandis que moi, je n'ai eu que le manque.
Je ne me suis pas toujours appelé du nom que je porte, et c’est comme si j’avais vécu une autre fois. C’est comme si j’avais été un autre. Mais de cet autre, je n’ai aucun souvenir. Rien qui puisse se dire tel, plutôt les ombres floues des réminiscences ou s’évanouissent, aux limites de la mémoire, les ultimes rayons d’un monde éteint. J’étais trop jeune pour les souvenirs, quand j’ai cessé d’être lui. Et cependant il a toujours occupé ma pensée, toute ma pensée. Il ne m’arrive rien d’important, ou de misérable, ou de triste ou d’heureux que je n’aie le sentiment étrange de recevoir par délégation. Nous sommes pourtant très différents, lui et moi. Pour commencer, lui avait un père, tandis que moi, je n’ai eu que le manque. Tout, depuis toujours, a gravité autour de ce trou noir.
Je me heurte tous les jours au fantôme de celui que je fus quand je portais un autre nom.
« Je ne me suis pas toujours appelé du nom que je porte, et c’est comme si j’avais vécu une autre fois. C’est comme si j’avais été un autre. Mais de cet autre, je n’ai aucun souvenir. Rien qui puisse se dire tel, plutôt les ombres floues des réminiscences où s’évanouissent, aux limites de la mémoire, les ultimes rayons d’un monde éteint. J’étais trop jeune pour les souvenirs, quand j’ai cessé d’être lui. Et cependant il a toujours occupé ma pensée, toute ma pensée. Il ne m’arrive rien d’important, ou de misérable, ou de triste ou d’heureux que je n’aie le sentiment étrange de recevoir par délégation. Nous sommes pourtant très différents, lui et moi. Pour commencer, lui avait un père, tandis que moi, je n’ai eu que le manque. Tout, depuis toujours, a gravité autour de ce trou noir.
Je me heurte tous les jours au fantôme de celui que je fus quand je portais un autre nom."
"Christian von Wolff, qui a créé tout le langage philosophique allemand, a dit que l’existence était complémentaire de la possibilité, une doctrine qui, me semble-t-il, remet l’existence à sa place. Qu’est-ce qu’une crise d’identité? C’est l’irruption d’un possible inattendu dans une existence laquelle elle offre un complément. Je n’ai pas mon pareil, dans ce genre de crise.
En réalité, j’ai mon pareil, bien sûr. J’ai mon double. Il aurait été à l’aise dans cette fête ,si seulement il avait vécu, celui que j’étais quand je portais un autre nom. De loin en loin, toutefois, il se réveille de son sommeil de mort. Chaque fois c’est vers moi qu’il se tourne. Il n’a que moi. Il sort de son étui un violoncelle et il joue pour moi seul, bien maladroitement, parce que son sommeil de mort lui a laissé les doigts gourds, un lied de Schubert, toujours le même; Il torture alors cette mélodie, déjà déchirante quand elle est bien jouée, que Schubert a composée d’après ce fameux poème, Der Doppelgänger,où Heine s’imagine marcher à côté de son double. Le violoncelle de mon pareil a la sonorité profonde des forêts du Schleswig-Holstein, mais je ne l’écoute pas jouer. Je regarde les petits nuages de colophane qui s’élèvent au dessus des cordes dans les aigus, ça m’évite de penser à tout ce chagrin massacré."
Ils sont bizarres les Anglais. Ils n'ont pas l'air de la subir la guerre, mais plutôt de s'installer dedans, comme si c'était un salon et que chaque chose dût s'y trouver à sa place.
"Chacun de ces papillons est la mémoire de l’espèce. A lui seul la mémoire infaillible de l’espèce entière. Et l’espèce, c’est l’unité c’est la durée, c’est l’harmonie. Pourquoi n’en va-t-il pas ainsi pour les hommes? Pourquoi l’homme est-il un animal qui ne sait plus du tout qui il est quand il ne sait pas d’où il vient? Alors que le plus démuni des papillons ,ne se sachant pas papillon, est à lui seul la mémoire de son espèce tout entière, et donc la sienne tout singulièrement?
J’enjolive, j’extrapole, c’était l’idée. Aujourd’hui, je connais la réponse: à la différence du bombyx du mûrier, qui n’a pas eu l’idée de soumettre à concours l’agrégation de ver à soie, l’homme a besoin d’un miroir. Pour savoir ce qu’il fabrique sur terre, il a besoin de se regarder être. Un besoin vital du miroir. Le miroir est sacré. Il nous vient par les pères. Moi, mon miroir, on me l’avait cassé. Ou caché. Mais j’en avais l’ombre au front."
Depuis ce moment invraisemblable, je n'ai plus cessé de croire aux fantômes ni de leur parler quand vivre fait peur.
(P66)