Il faut certainement fréquenter le désert pour ressentir l’assourdissement du silence. Dès ma première traversée algérienne, je fus frappé par ce vertige, cette absence de son. Nous sommes habitués à vivre dans le bruit ; de la ville, de la circulation, du voisinage, de la radio ou de la télévision qui dans certains foyers fonctionne en permanence comme pour occuper l’espace. Il faut croire que le calme total est angoissant, un peu comme ces appartements meublés à l’excès afin de conjurer le vide.
Traversant le Ténéré avec des caravaniers touaregs, je fus touché par leurs prières, leurs actes de piété. Au sortir des reliefs de l’Aïr, une mosquée de pierres, simple alignement de cailloux à la surface du sol, recueillit leurs souhaits, leurs invocations, afin de mener à bien leur expédition. Chaque jour, en route, nombreux étaient les éleveurs qui priaient, vers l’est, le front contre le sable, avant de courir rejoindre leur place dans la file des bêtes, sans ostentation. Cette foi-là est personnelle ; ces prières dispersées répondent à la nécessité d’un recueillement, à l’appel d’une communion individuelle. Et le croyant éprouve le temps consacré, il doit regagner sa place à grandes enjambées..
La durée est notre bien le plus précieux, nous pouvons occuper le temps, jamais l'arrêter. L'horloge tourne inexorablement, les instants sont furtifs, drames et félicités s'enchainent : le bonheur est bref, il faut le renouveler, le mal est violent, il doit être surpassé. Rien n'est définitif, les divers états de la vie sont transitoires. Surpris en pleine nuit par la montée des eaux dans le nord du Burkina, j'ai cru ma dernière heure venue, puis, vaguement à l'abri, me suis raisonné grâce à cette banalité : le jour succède à la nuit, immanquablement ! Il suffit de patienter, et, d'autres instants, de sourire sans entraves au bonheur présent. Toujours sur quatre chemins, j'ai appris à profiter de la dernière nuit, de l'ultime repas partagé avec les êtres chers, conscient que ce pouvait être la dernière fois. Cette idée du temps, de l'intervalle, je la dois aux nomades, à ces maîtres de l'instant unique, chaque action à sa juste valeur...