Me croirez-vous ?
Me croirez-vous si je vous dis que les bidonvilles et leurs horreurs peuvent être racontés à l'aune de la poésie ? Que la crasse, la misère, la violence, les instincts les plus primaires peuvent atteindre leur paroxysme pour venir mieux nous percuter, lames d'acier, lorsque la poésie s'en mêle ?
Me croirez-vous si je vous dis que la poésie est alors une arme puissante pour scalper l'horreur, pour la disséquer au point d'en faire jaillir des gouttes d'essence, larmes noires, qui éclaboussent avant d'infuser en nous ?
Me croirez-vous si je vous promets que dans ce livre s'entremêlent poésie coup de poing, dénonciatrice et parfois crue, et poésie d'amour, lumineuse et sublime, de sorte que vous pourrez respirer et espérer, un peu, un tout petit peu ?
Le bidonville, imbroglio de lames et de larmes larvées, armé de poésie, Jean d'Amérique s'en fait le chantre.
Voilà la prouesse de ce jeune poète haïtien dont c'est le premier roman. Décrire l'horreur des bidonvilles, plus particulièrement d'un bidonville, « lieu exsangue où le parfum des soleils s'abime entre vies fangeuses et pluie de cadavres », dénoncer les gouvernements, qui « donnent des armes et quelques rations de riz pour asseoir leurs dessins malhonnêtes déguisés en démocratie », chanter l'amour aussi, espoir d'eau fraîche sur les fleurs massacrées d'une enfance, celle d'une petite fille de douze ans.
Une petite fille qui tente de coudre son soleil alors que les fils du temps s'entremêlent au lieu de se tisser. Son aiguille : l'écriture. Écrire l'amour. Envers et contre tout. Elle rature souvent, et fait « royaume de papiers froissés ».
« Je suis une épave chevauchée par la solitude dans cette vallée ténébreuse où j'écris une interminable lettre à ma bien-aimée ».
Voici l'histoire, atroce, de cette petite fille, Tête Fêlée, de sa maman Fleur d'Orange, prostituée, et de Papa, le compagnon de Fleur d'Orange mais qui n'est pas le père de la petite fille, bras droit du terrible Ange du Métal, chef de la mafia locale. Papa qui, lorsque il enfile sa robe-colère, inflige de sacrées raclées à la petite, surtout lorsqu'elle écrit ou qu'elle lit. Papa qui oblige Tête Fêlée à s'associer à ses méfaits. Kidnappings, vente de pistolets, piratages, trafics de drogues, braquages. Au mieux. Exécution sommaire sur gage. Au pire.
La poésie de Jean d'Amérique s'infiltre partout, tantôt elle laisse deviner avec pudeur, tantôt elle hurle avec ostentation, tantôt elle entremêle pudeur et cris, jugez plutôt lorsque l'auteur décrit les cases qui font office de lieu d'habitation :
« Face au mur. Dos au mur. Des mains libèrent leur saleté en l'imposant aux murs. Des bestioles se font écraser contre le mur où leur cadavre espère en vain des funérailles pendant très longtemps. Un corps – le plus souvent d'enfant ou de femme – se blottit contre les murs pour amortir une raclée. Les mains séparant la tête du mur, quelqu'un pleure. Les paumes luttant contre le mur, quelqu'un accueille le membre d'un autre par-derrière. Les murs témoignent ainsi de tant de passages. Les murs brandissent la mémoire riche d'un million d'étreintes ».
La fin du livre m'a laissée bouche bée. Glacée. Je l'ai refermé les yeux dans le vide. le coeur serré.
Ce livre est un coup de poing, ce livre est un cri, ce livre est magnifique. Ce livre montre à quel point la poésie est nécessaire pour hurler. Hurler la violence, hurler les inégalités, hurler le sexe non consenti ou tarifé. Hurler la beauté, aussi :
« Dehors, le ciel ramasse ses dentelles. Les lueurs du jour accrochent silencieusement leur voile au bout d'un vent invisible. C'est la nuit qui vient nous l'apprendre. Flots d'ombres qui épongent le crépuscule ».
Oui, les poètes ont des poings énormes !
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♪ Emmenez-moi au bout de la terre
Emmenez-moi au pays des merveilles
Il me semble que la misère
Serait moins pénible au soleil ♫
Comme quoi, tout le monde peut dire des conneries…
Croyez vous vraiment qu’un SDF vive mieux la rue sous la canicule que dans le givre d’un matin d’hiver ? Croyez vous vraiment qu’une personne ayant faim, maitrise ses crampes d’estomac avec plus de joie sous le cagnard que sous la neige ?
Si vous pensez vraiment que la misère est sensible à la météo alors venez perdre vos illusions dans le premier roman de Jean D’Amérique, venez vous abimer dans les faubourgs de Port au Prince où la chaleur humaine n’amènera malheureusement aucune canicule, venez vous égarer dans un des pays les plus pauvres de la planète, Haïti en pleine mer des Caraïbes qui, elle, fait tant rêver.
« Tête fêlée » a douze ans, elle vit avec sa mère, alcoolique et prostituée, et son beau père, homme de main du caïd d’un bidonville local. Douze ans et déjà la rage, douze ans et tant de douceur, tant d’amour à donner. Tant de sordide déjà vécu, tant d’innommable et pourtant un espoir, son amoureuse. Une pensée pour elle et la petite fille que « Tête fêlée » n’est déjà plus (l’a-t-elle été un jour ?), retrouve au moins le chemin du beau, du tendre, de l’estime de soi, de l’autre.
Comment vivre la violence de la misère quand elle mêle l’exploitation de l’homme et ici plus particulièrement celle de la femme, ce commerce dans ce qu’il a de plus glauque, de plus immonde, à la peur des balles perdues par des gangs se faisant des concours bien burnés pour savoir qui a la plus grosse (des cons courts oui)… influence sur les différents trafics (what else ?).
Comment vivre le dénuement quand le mot avenir enchaîne les CDD d’une heure ou jusqu’au soir pour les plus optimistes ?
Comment garder la tête hors de l’eau quand on a douze ans ?
L’auteur donne la parole à « Tête fêlée » pendant 134 trop courtes pages et le moins que l’on puisse dire c’est que la « petite », elle envoie du force 10 !!!
Quand la poésie se met au service de la contestation, Jean D’Amérique n’est pas loin. Une écriture où la crudité du propos alterne avec quelques mots doux à l’âme et au cœur.
Chaque mot est à sa place et un chat est appelé un chat n’en déplaise aux âmes pures et sensibles. C’est rempli de poésie, de cette poésie qui crache, qui gifle le ressenti avant de l’apaiser quelques pages plus loin.
« Soleil à coudre » c’est l’humanité balafrée, c’est une blessure infectée par un système, c’est une cicatrice qui ne se refermera jamais complètement.
Oui la misère est violente et ce livre parle de cette violence faite à la vie, ce livre parle de la vulgarité de laisser se propager et d’’entretenir cette misère.
J’ai « rencontré » Jean D’Amérique le mois dernier grâce à « Masse critique » et le grand « Cathédrale des cochons ». Pas loin pour moi d’être la meilleure pioche des « masse critiques » auxquelles j’ai participé. J’attendais déjà impatiemment son premier roman, me voilà déjà à scruter l’horizon, surveillant sa prochaine parution.
Finalement, âmes sensibles ne pas s’abstenir. Paru chez Actes Sud, ça devrait rassurer le lecteur hésitant quant à la qualité du fond comme de la forme… ou pas.
Une lecture coup de poing que je souhaite à tous.
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Je découvre ici pour la première fois les mots de Jean d'Amérique, jeune poète et dramaturge haïtien, je découvre sa parole poétique à travers ce recueil qui m'a touché, bousculé, Atelier du silence.
Dans un élan viscéral tendu comme un rap ou enroulé dans un slam, les mots sont martelés, les phrases sont lacérées, tout au long de ce recueil. Ce sont autant de coups portés aux murs du silence avec beauté et douleur pour dire les soubresauts et les blessures d'une terre natale.
C'est une poésie souterraine, tellurique, vertigineuse.
Dans cet Atelier du silence, des mots nouveaux se forgent, continuent de porter leurs coups, comblent le vide, arment peut-être pour la vie des coeurs jusqu'ici fragiles. L'Atelier du silence devient alors cet arsenal du bonheur...
« Au vent nos enfances, mais le sang remonte à la source assécher toute lumière, le chant tète aux mamelles que durcit un sanglot. Gorge infertile face à la partition libre, quelle récolte à poindre ? Tout oiseau, sans doute, reconnaît dans la région muette la plus froide saison. »
Belle, rebelle, en colère... Elle est ainsi cette poésie que je découvre, celle de Jean d'Amérique...
Il célèbre le rythme inlassable des saisons que les maux de la terre cherchent à rendre incohérent. Des fleuves, des arbres, des pierres, des choses tiennent lieu en apparence d'un paysage ordinaire et immuable... Mais on peut brusquement les voir comme des choses fragiles, éphémères.
Vouloir les étreindre comme des êtres chers, les tenir dans nos bras, nos gestes eux aussi éphémères...
Et si la poésie était le dernier art qu'il nous restait pour nous indigner ?
C'est une clameur humaine, où le poète dit la souffrance d'ici-bas et partout sur la terre.
La souffrance du monde, les contrées meurtries par les tragédies, qui pourrait mieux les dire et nous les transmettre qu'un poète ?
Il juxtapose les maux de notre humanité, ceux qui altèrent les paysages géographiques, ceux qui abiment les visages, les peaux, les gestes, les coeurs, les rêves... Les paysages humains...
La poésie sensible de Jean d'Amérique est à la lisière de notre monde à la dérive. Il nous fait y accoster le temps de quelques fragments de texte.
« sous les ponts ce qui se passe relève
d'un nom plus tragique que l'absence
d'amants dessus »
L'égarement du monde ressemble à ce qui anime nos pas de lecteurs.
Il y a forcément une dimension politique dans la poésie de Jean d'Amérique.
Toute poésie devrait être politique au sens noble du terme. Aimer, n'est-ce pas s'unir dans une cité ? Y ancrer cet amour ? Durablement, parfois contre vents et marées. Vivre, n'est-ce pas vivre dans une cité ? Souffrir... Mourir... Combattre... S'ériger contre... Aimer, donc...
La figure maternelle surgit brusquement, irradie la poésie de Jean d'Amérique. Elle ne vient pas de nulle part, comme cela par hasard, elle donne sens au texte.
Atelier du silence est un texte à l'écoute de notre époque. C'est cette poésie d'aujourd'hui qui doit nous aider à tenir debout, à nous accompagner, parce que tenir debout dans ce monde brutal est un combat, une lutte sans merci.
« robe au cyclone
perdre pied dans vos déluges
dans vos pluies m'étancher
quelle fête
si j'ouvre ma fenêtre
c'est que vous êtes une promesse »
Jean d'Amérique nous propose des clefs, nous délivre de nos doutes brusquement, de nos hésitations, nous donne envie d'affronter ce monde à la fois si proche de nous et qui ressemble de plus en plus à une terre inconnue au fur et à mesure qu'on avance...
Alors la poésie de Jean d'Amérique devient un territoire intime, un rivage, une île.
« L'éternité se penche
pour peupler passages »
Nous étourdir de chagrin et de rage, y mettre de la fureur, ou peut-être simplement de la détresse, allumer des feux pour guider celui qui va venir, la personne qu'on attend peut-être déjà depuis longtemps...
En découvrant un poète nouveau pour moi, chaque fois je me pose toujours la même question : est-ce un être comme un autre ? Ou bien est-il différent de nous ? Et si oui, en quoi est-il différent de nous ? En quoi participe-t-il à la beauté du monde qui m'est si chère ? En quoi ses mots pourront-ils s'ajouter à ceux des autres poètes et former une citadelle pour mieux nous protéger des barbaries, de la bêtise, des petits tracas ordinaires... ?
Les mots de Jean d'Amérique sont des briques qui scintillent, se posent l'une sur l'autre pour construire un édifice imprenable au milieu d'une volée d'oiseaux... Dans l'impatience de leur ailes.
Alors j'ai eu envie de m'envoler à mon tour...
« Si j'avais la parole
je demanderais une minute de silence
pour ma liberté d'expression étouffée. »
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Comme un coup de projecteur éblouissant et indiscret au fond des gouffres, voici un Soleil à coudre, de toute urgence, à la noirceur de la misère.
À coudre à poings serrés?
Coudre le sexe en rut à la fleur délicate d'un amour interdit.
Coudre la poésie des images à la crudité des mots.
Coudre les vertiges de l'ivresse, les vapes de l'herbe bleue à la tête froide qui condamne, à la bouche qui commande, à la main qui exécute.
Ou à la main qui écrit.
C'est Jean d'Amérique l'assembleur habile et inspiré de ce patchwork contrasté où violence et poésie se marient dans le creuset dépaysant d'une langue neuve, forte, surprenante.
Une langue de chair et de feu, faite pour le cri ou le baiser. Une langue qui rend aux situations les plus romanesques et éculées un air de jamais vu, un air inconvenant et incongru. Une langue à la fois brute de décoffrage et exquisement recherchée.
L'histoire , cette langue ne la raconte pas: elle la fait exploser dans une sorte de présent sans mémoire, dans un feu d'artifice qui éclaire l'instant. Sans futur et sans passé. Des tableaux vifs, colorés, comme des morceaux d'existence qu'on n'aura jamais le temps d'organiser , de coudre ensemble.
On va essayer pourtant.
L'histoire se passe à Haïti, à Port-au-Prince, dans Le Quartier - un chaudron de sorcières où prostituées, drogués, ivrognes, assassins et sicaires, petits gangs artisanaux et racailles de haut vol grenouillent et mijotent à l'envi.
Parfois certains cumulent les fonctions: Papa est un gangster et un assassin, Maman dite Fleur d'Orange, une prostituée et une ivrognesse.
De temps en temps un politicien dont le cul est fait pour toutes les chaises passe, graisse les pattes, satisfait sa lubricité, monnaye son ascension, commande un meurtre, ou se fait bêtement trucider.
Tête fêlée, la narratrice est une toute jeune adolescente déjà rompue aux exercices du crime -Papa a ses arguments pour la faire obéir- mais sa passion pour une petite camarade de classe riche et préservée lui donne les ailes de la poésie. Elle rêve de la retrouver dans la lointaine ville américaine où sa famille l'a mise à l'abri. Elle lui écrit des pages fiévreuses jamais achevées. Elle a peur de se retrouver seule dans la nuit noire de son destin.
Un canevas des plus simple, presque simpliste.
Mais l'histoire n'est rien. C'est la façon de la raconter qui crève le coeur, les yeux, l'imagination. Qui fait éclater temps et espace, balaye d'un revers de manche les conventions d'usage: l'effet de réel, la vraisemblance, la psychologie, la linéarité, les causes et les effets.
Pour nous balancer sans cérémonie dans une réalité bien plus vraie, dans une sociologie brutale , une mythologie en action qui vous prend à la gorge. Rien qu'avec des images poétiques d'une inventivité foudroyante et des ruptures narratives qui brisent en morceaux le récit comme on casse un jouet ennuyeux.
Seule la poésie a ce pouvoir-là. Elle l'a aussi, et on l'avait presque oublié
Dire autrement ce qui est tellement autre que si on s'y prenait normalement ça n'aurait aucun sens.
Merci Pascal pour m'avoir fait decouvrir ce livre inattendu, insolite.
Mon cher Henri Michaux aurait aimé je crois ce
Soleil à coudre, cette espèce de voyage en grande Garabagne..
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Merci à Babélio et aux éditions Théâtrales pour l’envoi de « Cathédrale des cochons » pour l’opération masse critique. Merci pour le petit mot glissé par l’éditeur, ça ne coûte rien et ça fait moins impersonnel.
Pour tout dire, « Cathédrale des cochons » est un choix par défaut. Vu les horaires d’ouverture de « masse critique », neuf fois sur dix le choix restant quand je suis disponible, est minime.
« Cathédrale des cochons » trônait là au milieu des laissés pour compte. A peine sorti d’Haïti avec Lyonel Trouillot et son remarquable « Antoine des Gommiers », je n’ai pas hésité une seconde à y retourner.
Laissé pour compte, c’est une expression qui prend toute sa signification dans un pays comme Haïti.
Jean D’Amérique, poète Haïtien, offre un grand texte à la face d’un monde fermé, peureux, égoïste.
Un long poème qui bouscule, qui gifle. Un long poème qui se récite haut et fort, un texte qui se scande, qui se déclame sur scène en un seul acte. Un acte militant.
« Cathédrale des cochons » c’est la liberté embastillée, la parole emmurée, la pensée sclérosée, la vie niée. C’est le poète emprisonné pour, ici, un amour que certains encore aujourd’hui appellent « contre nature », là pour des publications poétiques mettant probablement la sureté de l’état en danger ou je ne sais quelle autre justification à deux balles. Un « contre nature » où la nature fait payer la misère d’un pays au prix fort entre raz de marées et tremblements de terre.
« Cathédrale des cochons » c’est l’église des porcs et leurs évangiles où sont écrits en lettres capitales PORC au PRINCE ou plutôt porcs de princes, successeurs des duvalier et autres aristide. Corruption et intimidation qui font de Haïti l’un des pays les plus pauvres au monde.
La famine n’épargne pas la population, cette famine qui tue chaque seconde plus de monde sur la planète qu’un mois de corona, cette famine entretenue et qui ne fait pas la une des journaux chaque jour.
« Cathédrale des cochons » c’est un cri, un hurlement, un appel à la conscience, à la révolte, un courage de mettre en accord actes et paroles. Une clameur teintée de défiance adressée aux «uns puissants » qui nous gouvernent.
« Cathédrale des cochons », c’est une revendication humanitaire, de la poésie à l’état brut, une poésie qui vient du fin fond des entrailles. Oh oui il y en a des tripes dans ces pages où les mots bousculent et touchent là où ça fait mal.
Court et musclé, excellent texte, nécessaire.
Début mars le premier roman de Jean D’Amérique paraîtra chez Actes Sud, un gage de qualité pour moi. Inutile de préciser que je serai de ses futurs lecteurs et que je vais me pencher sur ses recueils déjà parus.
« Je connais les mots que j’ai du mal à prononcer
Ils sont là piégés dans cet alphabet entouré de barbelés
Ils respirent mal
Ravagés par l’hiver traversant mon sang
Face au rebelle qu’on torpille sans obstacle dans la foule
Ils sont là écrasés
Rassemblés sous des cieux rouges
Qui pèsent trop fort sur ma poitrine
Je connais ces mots que bloque mon mal
Ils se préparent à mourir
Ils vont bientôt mourir
Contusionnés par des sanglots dont
Seul un coup d’œil au pénitencier national détient la recette »
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Tu seras seule dans la grande nuit, cette petite voix intérieure qui se répète.
Tu seras seule sous les étoiles de Port-au-Prince, la ritournelle d’Haïti.
Tu seras seule.
Tête fêlée, une jeune adolescente.
Fleur d’Orange, une mère putain et alcoolique.
Papa, un gangster qui n’en est pas à son premier meurtre.
Silence, une fleur dans cette constellation.
Silence, une beauté, un sourire aux jambes caramélisées.
Silence, une femme qui s’est enfuie et dont Tête fêlée rêve de retrouver.
De l’autre côté du rivage.
De l’autre côté des vagues.
De l’autre côté de l’océan.
De l'autre côté de la nuit.
Le soleil d’Haïti chauffe les êtres tellement qu’ils en deviennent fêlés. De cette terre qui n’est pas une terre mais un bidonville puant de merde et de désespoir, vit une belle âme à la Tête fêlée éprise d’amour dans cet immonde cloaque. Seule au milieu d’un enchaînement de violence, déchaînement de vents et de poussières, d’effluves nauséabondes et de vagues acérées. Seule dans la grande nuit.
Une histoire d’amour sous le soleil. Une histoire de pauvreté, de misère, de sexe, de violence. Un instant de désespoir, si triste mais si beau. Des immondices de la vie nait la poésie. Celle de Jean d’Amérique, un nom bien haïtien pour un portrait peu glorieux de son île. Mais quelle île ! Elle est magnifique, si belle, si chaude, si fiévreuse. Mais quelle rage, quelle intensité, quelle émotion…
La nuit t’appelle. Tu seras seule. La solitude t’attend, tu seras seule la nuit. Les étoiles éclairent les coins sombres de la rue, un chat sauvage, le chant du vent. Tu seras seule dans la grande nuit. La violence coule sur le rivage, de vieilles seringues comme des coquillages. Des cris s’immiscent dans la nuit, ébats violentés et débats éméchés. Une jeune fille à la Tête fêlée découvre ce monde, immonde. Elle rêve, d’amour, de toujours. Mais il n’y a que des corps à chevaucher, enjamber encore. En corps et en cri, la nuit. Elle change de trottoir, nouvel abattoir : la nuit est en sang, indécent. Je veux mourir comme une étoile qui brille sous ce voile noir. Cruel, ce soleil.
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Tête fêlée vit dans un bidonville haïtien. Elle n'a que douze ans mais dans ce monde de violence et de survie l'enfance n'a pas de place. Elle a donc l'âge de ses souffrances,de ses peurs,de ses rêves. Elle n'a pas d'âge. Une phrase maudite est ancrée en elle. Celle dont l'a assénee Papa,qui n'est pas son père mais l'amant de sa mère et un caïd au service d'un plus fort,l'Ange de métal: " tu seras seule" "tu seras seule dans la grande nuit". Pourtant un soleil foudroyant éclaire sa vie. Il s'appelle Silence et il est incarné par une élève de sa classe d'un tout autre milieu social qu'elle.
Dans une prose magnifique, jean d'Amérique donne naissance comme par magie à une poésie singulière et poignante. Une fleur splendide sur un tas de fumier. Du plus sordide contexte il émerveille par un texte hors du commun.
Je ne m'attendais pas à une fin heureuse mais la chute de ce roman conclue par une gifle frigorifiante !
C'est le deuxième roman haïtien que je lis après celui de René Depestre. La langue est différente mais j'y ai retrouvé le même vocabulaire imagé visiblement propre à la culture haïtienne. Je trouve que cet univers et la poésie violente de René d'Amérique est assez proche de l'écrivaine B.Evaristo.
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Nul chemin dans la peau que saignante étreinte.
Quel titre !!! Quel recueil !!!
Troisième rencontre avec Jean d’Amérique, poète Haïtien, depuis le début de l’année et troisième claque.
Pour claquer, ça claque fort et dur la poésie de Jeannot. Il n’y a pas à dire, la poésie est définitivement le genre de lecture qui me parle le plus.
Ah cette saignante étreinte, comme un sillon sous cutané prenant le chemin des écoliers sur la route du cœur.
De Port au Prince à Alep, le goût du sans est le même. D’éraflure en griffure, de fêlure en fracture, c’est la vie qu’on mutile. Alors la révolte, alors l’insoumission, le courage. Alors la résistance. Et c’est, au moins, la dignité qui renaît de ses cendres.
Pour combattre un système qui entretient la misère ou des gangs qui sèment la terreur, Jean d’Amérique a choisi son arme. Les mots.
Des mots comme un coup de poing dans la gueule, des mots comme un poing levé fermé, comme un appel qui m’inspire, qui m’aspire.
Un poing levé fermé
Pour un rêve infirmé
Une planète rouge
Où jamais rien ne bouge
Deux poings larvés formés
Combat à continuer
J’ai rêvé des dix doigts
Un poing dans une main
Dans une main tendue
Tendue vers un demain
Vers un demain tant dû
Tant dû par ces deux mains
Ces deux mains étendues
Un poing levé fermé
Pour un rêve affirmé
Une planète bleue
Au respect contagieux
Deux poings lovés formés
Une trêve amitié.
Bon, les textes du recueil sont beaucoup plus violent que les quelques mots qui me viennent mais l’idée est là.
Avant d’arriver à un jour meilleur, la lutte continuera, dans la rue, dans les livres, dans les âmes, dans le sang.
La poésie, si elle est multiple, est un état d’esprit avant tout et peu importe la façon dont elle s’habille. La poésie c’est une question de moment, d’instant. C’est aussi la solitude face au monde tel qu’il est, la solitude face à l’autre.
Croyez le, la poésie ce n’est pas que des niaiseries rimées, ces niaiseries dont certains se gavent à longueur de bouquins non estampillés « Poésie ».
La poésie, ce n’est pas que des mots placés là pour faire joli ni un truc complètement hermétique destiné à quelques initiés.
La poésie, c’est vous, c’est moi, c’est nous, c’est juste la vie.
Je mets en commentaire le lien d’un superbe billet ailleurs qui j’espère, pour ceux qui auront la curiosité d’aller lire, saura vous convaincre que ça vaut vraiment le coup d’aller s’écorcher sur quelques bris de vers de Jean d’Amérique.
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ATTENTION COUP DE COEUR
Pas facile de grandir dans un bidonville d’une grande ville d’un pays « en voie de développement », comme on dit pudiquement, dans un « lieu exsangue où le parfum des soleils s’abîme entre vies fangeuses et pluie de cadavres. ». Pas facile de grandir dans « la Cité de Dieu, et ce n’est ni un film, ni un roman fantastique. Ici l’on voit les averses du dénuement sur les joues, les lignes brisées des regards, le gouffre dressé dans les yeux, les gueules qui se racontent au vide, le si lointain exil du pain, d’instruction ou de nutrition, les gosses sans soleil à l’horizon qui rampent dans l’ombre de la violence » dans un pays « qui écrase les rêves »…
Pas facile d’être la fille d’une mère « pirogue voguant sur l’ivresse même », alcoolo et à moitié putain, qui pense que « se noyer est le meilleur chemin pour tirer son auréole des abysses ». Pas facile d’être la fille d’un père qui est « le cercueil de la tendresse », un homme « qui ne se sent traversé par la vie que quand il cogne. Je frappe donc je suis ».
Et pourtant, la rage de vivre, car même si les « mains enlacent le néant » pour «coudre sa vie au fil des balles, dans la mortelle périphérie du sang. Ils ne lui ont point offert de bonheur, ne lui ont rien apporté dans la vie, mais lui ont permis de vivre, et ça c’est grand. »
Et pourtant la rage d’écrire, en « quête d’un asile au bout des lettres ». Écrire, même si c’est une tâche ardue, si c’est difficile de « capter quelque lueur de cette aubaine, fixer sur la page cet éclair qui se répand en un long frisson dans mes artères. Ratures », s’il s’agit souvent de faire « royaume de papiers froissés ».
Et pourtant la rage d’aimer. Aimer une autre jeune fille pour qui elle a « des roses coincées dans le cœur, des papillons au coin des yeux à lui dessiner ». Elle « rêve d’avoir la tendresse des fleurs pour s’approcher de sa beauté, de se muer en rosée pour convenir à son aurore. ». Une autre jeune fille qui est « sa lune » dans la nuit qui « arrose les cauchemars jusqu’au bout du matin».
Et se demander si la seule vérité n’est-elle pas de « marcher dans l’autre » ?
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Tête Fêlée, adolescente, vivote entre les passes de Fleur d’Orange, sa mère, les magouilles de Papa, son beau-père, auxquelles elle participe, aidant l’Ange du Métal, le chef craint du bidonville de la Cité de Dieu, à faire encore plus de profit. Dans sa cabane familiale de tôle, elle s’essaie à l’écriture d’une lettre pour son amoureuse, Silence, la fille de son professeur, sans succès. Jusqu’à la multiplication de drames, qu’elle en soit coupable ou victime, qui vont poser les cartes de son destin jusqu’au bout, destin énoncé, comme un leitmotiv, par Papa, dès les premiers chapitres : « Tu seras seule dans la grande nuit ».
De la violence dans le sang, en un conditionnement qui s’est fait progressif, entre le bidonville, Papa, et Fleur d’Orange, Tête Fêlée est celle qui raconte Haïti en une poésie âpre, rugueuse, noire, qui transfigure la misère, le meurtre, le vol, le viol, la prostitution, le personnifie en une entité dévoreuse d’humanité, d’espoir, dans lequel la seule source de salut, bien que relative, semble être cette même transfiguration, faisant osciller la plume de Jean d’Amérique entre lumière et obscurité, entre beauté poétique et laideur prosaïque de la réalité, entre gravité et grotesque, en un carnaval de sens, de mots, de sentiments, de scènes, qui frappent, qui choquent, qui sidèrent, qui éblouissent aussi.
Que ce Soleil à coudre est brillant, exceptionnel ! J’ai, encore une fois, été estomaquée par la virtuosité de l’auteur à nous prendre au cœur et aux tripes pour nous livrer, corps et âme, son pays, dans tous ses paradoxes. Le reste de son œuvre poétique encore non lue est dans ma PAL : je n’attendrai, cette fois, pas deux ans, comme je l’ai fait pour ce roman, à la faire patienter.
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Jean d’Amérique, poète et romancier Haïtien ou comment mon parti pris plus que favorable a explosé en vol…
Bon, il faut dire que le vol fut plutôt court. Peut être un nouveau concept de voyage conçu par les éditions Cheyne et leurs auteurs, les vols mini courrier.
J’aime l’écriture de Jean d’Amérique, sa poésie qui bouscule, sa révolte, ses recueils et son premier roman, le sublime « Soleil à coudre » mais là…
Oh Jeannot !!! C’est quoi cette arnaque ? Trente pages dont une sur deux occupée par une illustration (Evelyne Mary) digne de mes livres de maternelle. Sur les pages noircies avec des lettres, même ambiance. Quatre lignes (parfois six ou huit, soyons fous) avec une police qui devrait mettre au chômage quelques chiens d’aveugle. Tout ça pour la modique somme de 15 balles, 100 francs pour les nostalgiques du siècle dernier, tu nous a pris pour des cons Jeannot !!!
Oui mais le fond me direz vous ?
Bah… l’eau ça mouille, le feu ça brûle, mal c’est pas bien, enfin vous voyez l’idée, je vais pas vous faire un dessin, il y en a déjà assez dans le… recueil…
Bref, je l’ai déjà lu plus inspiré le Jeannot.
Encore une fois, voilà un truc qui va faire une bonne pub à la poésie. C’est vrai qu’avec les têtes de gondoles qui en librairie croulent sous les recueils, le genre se porte bien…
Allez Jeannot, la déception va passer et j’attends malgré tout avec impatience un prochain roman et une traversée au long courS digne de ce que tu avais écrit jusque là.
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Quel soleil à coudre quand ton horizon sombre est bouché ?
C’est pourtant bien ce que cherche à faire Tête fêlée, petite haïtienne de 12 ans qui vit dans le bidonville de la Cité de Dieu, « Sale quartier, à l’image de son nom propre ».
Sa vie dans une cabane, avec sa mère Fleur d’Orange, prostituée, alcoolique, son Papa qui n’est pas son père et est le bras droit du chef de gang local.
Sa vie entre l’école et les diverses missions que lui confie Papa… L’école qu’elle fréquente régulièrement non pas parce qu’elle croit en l’institution mais pour voir son amoureuse, « Je viens ici pour deux raisons : répondre au mensonge d’une société vendeuse de diplômes et surtout guetter la lune de ma vie, celle qui règle mes frissons. » « Tout ce qu’on apprend ici n’a rien à voir avec ce qui se passe ailleurs, en dehors de ce bâtiment ». L’école qui lui fournit l’uniforme de l’innocente écolière bien pratique pour livrer un calibre dans la boite à lunch…
Sa vie faite des rumeurs, des légendes « de la bouche qui donne et de l’oreille qui reçoit » mais aussi la prédiction que Papa ne manque de lui asséner régulièrement « Tu seras seule dans la grande nuit ».
Un récit court et pourtant complet quand il s’agit de dresser le portrait d’Haïti à travers celui de cette fillette. Elle est pleine d’espoir et en même temps désabusée. Comme toute la jeunesse haïtienne, elle rêve d’autre chose mais est écrasée par la violence.
Un récit poétique et en même temps brutal.
Un chant, un cri.
Et une chute déchirante….
Merci à @TerrainsVagues dont le billet m'a permis de découvrir ce jeune auteur plus que prometteur.
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C’est le premier roman d’un jeune auteur haïtien, qui a débuté son œuvre par la poésie puis qui l’a continué par le théâtre.
Nous sommes à Port-au-Prince, dans un bidonville. Nous suivons une pré-adolescente, appelée Tête Fêlée dans son quotidien sordide. Sa mère se prostitue, l’homme qui vit avec elle, Papa, n’est pas son vrai père et il travaille comme homme de main pour un caïd du quartier. Vols, meurtre, trafics divers sont le quotidien de la famille, Tête Fêlée devant donner un coup de main à l’occasion, tout en suivant tant bien que mal sa scolarité. La jeune fille tombe amoureuse d’une camarade de classe d’un milieu plus favorisé, mais pas plus sain pour autant. Car tout semble pourri en Haïti, et tout le monde est au final voyou et malhonnête, du voleur déclarée au ministre, tout le monde se connaît, se fréquente et s’utilise à l’occasion.
L’auteur dépeint son pays d’une manière effrayante. Tout est noir, pas la moindre lueur d’espoir. La violence, la mort plus ou moins rapide, et très rapide pour la plupart des gens. Le roman est comme un cri de désespoir et d’agonie.
J’avoue qu’au bout d’un moment, tout cela m’a pesé, d’autant plus que je n’ai pas réellement accroché à l’écriture poétique, censée transcender, donner force. Cela m’a semblé même un peu artificiel parfois. Une forme de sobriété m’aurait peut-être plus convenu dans ce récit au combien sombre. Là j’ai eu peu décroché au bout d’un moment, tant l’accumulation d’horreurs a fini par créer un effet de saturation.
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Si vous souhaitez sortir des sentiers battus, être surpris, et n'avez pas peur d'être parfois déconcertés, alors, je vous recommande chaudement ce premier roman de ce jeune auteur haïtien.
Comment mettre de la poésie au milieu de la violence de la société haïtienne ? Et bien cet auteur a su le faire et même très bien le faire.
A travers le destin de Tête Fêlée, une jeune écolière qui vit dans un bidonville avec sa mère, Fleur d'Orange, prostituée et son père adoptif, un voyou aux ordres d'Ange de Métal chef de gang, on parcourt une partie d'Haïti, cette île oubliée de tous, livrée à la violence sous toutes ses formes. On croisera le Seigneur de l'Entrecuisse, le Politicien dont le cul est fabriqué pour toutes les chaises, Charme de Gaule, Silence, Sang-Mêlé, des personnages bruts, hauts en couleur.
Une narration poétique pour raconter la misère, la pauvreté, la violence, le quotidien de ces âmes perdues. La beauté des mots, le sens de la formule pour alléger le poids de ces vies fracassées et évoquer "la légende de la bouche qui donne et l'oreille qui reçoit".
Étonnant, original, percutant, puissant. A découvrir.
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Poésie construite sur les ruines
d’un monde, d’une ville.
Le beau titre du recueil porte en
creux une saignante souffrance.
Soulignée par un style remarquable,
cette écriture doucement humaine
éclaire de façon lumineuse les abîmes,
les grands vides de l'existence.
Des formules verbales remarquables
fourmillent et ensoleillent ce recueil :
" J'ai le cœur infecté du sang
pourri des frontières.
" mes jambes de figue
" un ciel mouillé sous les paupières
" je ne suis qu'un verre
à réfugier des coups de pierres
" je marche
ouvrant la porte aux vertiges
" je marche
je suis l'allégorie du vide
Ci-dessous quelques pages
permettent d'apprécier
cette poésie.
" Contre les murs ivres d'éclats, chute le soleil.
Nom brisé de la fleur.
Cœur qui tremble est plus lourd que l'attente
du marin.
Arrogante prière du vide que de battre des ailes.
Mais que vaut-il d'être debout quand traîne
la lumière au sol ?
Par devoir d'insomnie
ou nécessaire chanson de chair,
la nuit cassée à corps battant de noctambules.
Surgit l'aube des chaînes.
Bleu comptant la course des vagues.
Tel secret de pluie, quelle longue route l'espoir.
p.9
" Mon chapeau est un torrent d'été des Caraïbes que la
vie a déposé sur ma tête. Mes lunettes sont des masses
d'ombres taillées du chaos. J'ai le cœur infecté du sang
pourri des frontières. Une veste noire saupoudrée
du sable des préjugés couve mon calibre suicidaire.
Ma terre, mon passé, mes ancêtres sous ma peau, j'ai
mes jambes de figue et je porte un pantalon skinny à
l'envers saturé d'épines.
p.11
" j'ai violé tant d'horizons de tendresse
un sel de tristesse
m'arrache la langue
un ciel mouillé sous les paupières
le sang sec
comme un signal de panne de cœur
ma voix rouillée…
des sanglots sur le clavier
je m'en vais
me droguer de musique
je ne suis qu'un verre
à réfugier des coups de pierres
p.12
" je marche
pour maudire les trottoirs
mon visage
fait saigner ceux des passants
je voulais vivre
mais ne suis que moteur
d'un amas de chagrins
je marche
ouvrant la porte aux vertiges
l'âme si pâle
défiant le soleil
ne reste de mon nom
qu'un hommage au silence
je marche
je suis l'allégorie du vide
p.13
" …
je marche
dans mon calvaire d'errance
pour tresser des colliers de sang
p.15
" …
Fuir front nu pour revendiquer le soleil.
Là sera mon chant de traversée*.
p.19
" …
ma ville d'heures difficiles
quel temps ne croule à ta vue
p.21
" à rougir
les cathédrales
je m'érige en phrases impures
syntaxe entaillée
je me corrige
dans ma grammaire de sang
p.35
" au passage
les terres foulées
le chant des astres
les gorges nouées
puis libérées à force de nourrir le cri
l'échos du verbe
dévale les sanglots
la sueur des mots
devance le sang des jours
p.40
" au passage
un dialogue de visages
de sourires
de sel
et de pirogue libre
l'histoire traverse
nous attrapons
l'héritage
de lumière
p.41
" Ce n'était pas toi.
Ta langue ne connaît pas le sel des talons.
Le ciel des insoumis n'a point de pacte avec la boue.
Le ciel indigné ne rampe pas avec les dos courbés.
p.44
" ce que
chante l'horizon neuf
c'est l'oiseau fou qui l'attrape
au bord du rêve
marche la rage
p.56
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Magnifique lecture. L’histoire est cruelle mais le langage est tellement poétique.
Un beau phrasé pour nous raconter la pénible vie de cette gamine.
Tête fêlée à 12 ans, elle vit dans un bidonville d’Haïti avec sa mère Fleur d’orange – qui se prostitue - et son père, qui n’est pas son vrai père, un homme qui ne connait que la violence comme langage.
Son seul moment d’évasion, c’est lorsqu'elle rêve de Silence, une fille de sa classe dont elle est tombée amoureuse.
Tout est violent dans ce récit, tout est sale, moche…. mais c’est tellement bien écrit - bien décrit, que le lecteur reçoit cette histoire en plein cœur.
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Le style, d’abord le style. De la poésie qui coule comme un fleuve de feu, brûlant tout sur son passage. Des mots qui lacèrent, qui fouaillent les cœurs.
Une histoire d’amour, pure comme le sont les premières amours, une histoire de sang, de sexe, de violence et de haine.
« Ma tête se consume.
Je demande au vent d’emporter mon tourment, à l’océan de boire ma peine et à l’instant de me faire don d’idées claires. J’appelle l’aube à me donner la main.
Demain est une autre nuit. »
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