Citations de Jean de La Fontaine (678)
L'adversaire d'une vraie liberté est un désir excessif de sécurité.
L'esprit malin voyant sa contenance,
Riait sous cape, alléguait les trois fois ;
Dont Matheo suait en son harnois,
Pressait, priait, conjurait avec larmes.
Le tout en vain : plus il est en alarmes,
Plus l'autre rit. Enfin le manant dit
Que sur ce Diable il n'avait nul crédit.
On vous le happe et mène à la potence.
Comme il allait haranguer l'assistance,
Nécessité lui suggéra ce tour :
Il dit tout bas qu'on battît le tambour,
Ce qui fut fait ; de quoi l'esprit immonde
Un peu surpris au manant demanda :
Pourquoi ce bruit ? coquin, qu'entends-je là ?
L'autre répond : C'est Madame Honnesta
Qui vous réclame, et va pour tout le monde
Cherchant l'époux que le Ciel lui donna.
Incontinent le Diable décampa,
S'enfuit au fond des enfers et conta
Tout le succès qu'avait eu son voyage :
Sire, dit-il, le noeud du mariage
Damne aussi dru qu'aucuns autres états.
Votre grandeur voit tomber ici-bas,
Non par flocons, mais menu comme pluie,
Ceux que l'hymen fait de sa confrérie,
J'ai par moi-même examiné le cas.
Non que de soi la chose ne soit bonne :
Elle eut jadis un plus heureux destin ;
Mais comment tout se corrompt à la fin,
Plus beau fleuron n'est en votre couronne.
Satan le crut : il fut récompensé ;
Encore qu'il eût son retour avancé ;
Car qu'eût-il fait ? Ce n'était pas merveilles
Qu'ayant sans cesse un Diable à ses oreilles,
Toujours le même et toujours sur un ton,
Il fût contraint d'enfiler la venelle ;
Dans les enfers encore en change-t-on ;
L'autre peine est à mon sens plus cruelle.
Je voudrais voir quelque Saint y durer.
Elle eût à Job fait tourner la cervelle.
De tout ceci que prétends-je inférer ?
Premièrement je ne sais pire chose
Que de changer son logis en prison ;
En second lieu si par quelque raison
Votre ascendant à l'hymen vous expose,
N'épousez point d'Honnesta s'il se peut ;
N'a pas pourtant une Honnesta qui veut.
— Jean de la Fontaine,
Les Fables XII ,27
L’accoutumance ainsi nous rend tout familier: / Ce qui nous paraissait terrible et singulier / S’apprivoise avec notre vue / Quand ce vient à la continue. (Le chameau et les bâtons flottants).
LA LICE ET SA COMPAGNE
Une Lice étant sur son terme,
Et ne sachant où mettre un fardeau si pressant,
Fait si bien qu'à la fin sa Compagne consent
De lui prêter sa hutte, où la Lice s'enferme.
Au bout de quelque temps sa Compagne revient.
La Lice lui demande encore une quinzaine.
Ses petits ne marchaient, disait-elle, qu'à peine.
Pour faire court, elle l'obtient.
Ce second terme échu, l'autre lui redemande
Sa maison, sa chambre, son lit.
La Lice cette fois montre les dents, et dit :
Je suis prête à sortir avec toute ma bande,
Si vous pouvez nous mettre hors.
Ses enfants étaient déjà forts.
Ce qu'on donne aux méchants, toujours on le regrette.
Pour tirer d'eux ce qu'on leur prête,
Il faut que l'on en vienne aux coups ;
Il faut plaider, il faut combattre :
Laissez-leur prendre un pied chez vous,
Ils en auront bientôt pris quatre.
Jours devenus moments, moments filés de soie,
Délicieux moments, vous ne reviendrez plus.
C'est double plaisir de tromper le trompeur.
(Le coq et le renard)
Mais quittons ces pensers : Oronte nous appelle.
Vous, dont il a rendu la demeure si belle,
Nymphes, qui lui devez vos plus charmants appas,
Si le long de vos bords Louis porte ses pas,
Tâchez de l'adoucir, fléchissez son courage :
Il aime ses sujets, il est juste, il est sage ;
Du titre de Clément rendez-le ambitieux :
C'est par là que les rois sont semblables aux dieux.
Du magnanime Henri qu'il contemple la vie ;
Dès qu'il put se venger, il en perdit l'envie.
Inspirez à Louis cette même douceur :
La plus belle victoire est de vaincre son coeur.
.
Elégie aux nymphes de Vaux.
; Le Geai
paré des plumes
Du PAON
« Un paon muait : un Geai
prit son plumage ;
Puis après se l’accommoda ;
Puis parmi d’autres Paons
tout fier se panada ,
Croyant être un beau
personnage
Quelqu’un le reconnut :
Il se vit bafoué ,
Berné, sifflé , moqué, joué,
Et par messieurs les Paons
plumé d’étrange sorte ;
Même vers ses pareils
s’étant réfugié , Il fut par eux mis à la porte .
Il est assez de Geais
à deux pieds comme lui,
Qui se parent souvent
des dépouilles d’autrui ,
Et que l’on nomme plagiaires .
Je m’en tais; et ne veux
leur causer nul ennui ;
Ce ne sont pas là mes affaires » …..
Les vents me sont moins qu'à vous redoutables ;
Je plie, et ne romps pas.
(Le chêne et le roseau)
Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.
On rencontre sa destinée souvent par les chemins qu'on prend pour l'éviter.
" Il faut s'entraider , c'est la loi de la nature "
Epitaphe d'un paresseux :
Quant à son temps, bien le sut dispenser :
Deux parts en fit, dont il soulait passer
L'une à dormir et l'autre à ne rien faire.
Le Chat et un vieux Rat
J’ai lu chez un conteur de Fables,
Qu’un second Rodilard, l’Alexandre des Chats,
L’Attila, le fléau des Rats,
Rendait ces derniers misérables :
J’ai lu, dis-je, en certain Auteur,
Que ce Chat exterminateur,
Vrai Cerbère, était craint une lieue à la ronde :
Il voulait de Souris dépeupler tout le monde.
Les planches qu’on suspend sur un léger appui,
La mort aux Rats, les Souricières,
N’étaient que jeux au prix de lui.
Comme il voit que dans leurs tanières
Les Souris étaient prisonnières,
Qu’elles n’osaient sortir, qu’il avait beau chercher,
Le galant fait le mort, et du haut d’un plancher
Se pend la tête en bas : la bête scélérate
A de certains cordons se tenait par la patte.
Le peuple des Souris croit que c’est châtiment,
Qu’il a fait un larcin de rôt ou de fromage,
Egratigné quelqu’un, causé quelque dommage,
Enfin qu’on a pendu le mauvais garnement.
Toutes, dis-je, unanimement
Se promettent de rire à son enterrement,
Mettent le nez à l’air, montrent un peu la tête,
Puis rentrent dans leurs nids à rats,
Puis ressortant font quatre pas,
Puis enfin se mettent en quête.
Mais voici bien une autre fête :
Le pendu ressuscite ; et sur ses pieds tombant,
Attrape les plus paresseuses.
« Nous en savons plus d’un, dit-il en les gobant :
C’est tour de vieille guerre ; et vos cavernes creuses
Ne vous sauveront pas, je vous en avertis :
Vous viendrez toutes au logis. »
Il prophétisait vrai : notre maître Mitis
Pour la seconde fois les trompe et les affine,
Blanchit sa robe et s’enfarine,
Et de la sorte déguisé,
Se niche et se blottit dans une huche ouverte.
Ce fut à lui bien avisé :
La gent trotte-menu s’en vient chercher sa perte.
Un Rat, sans plus, s’abstient d’aller flairer autour :
C’était un vieux routier, il savait plus d’un tour ;
Même il avait perdu sa queue à la bataille.
« Ce bloc enfariné ne me dit rien qui vaille,
S’écria-t-il de loin au Général des Chats.
Je soupçonne dessous encor quelque machine.
Rien ne te sert d’être farine ;
Car, quand tu serais sac, je n’approcherais pas.
C’était bien dit à lui ; j’approuve sa prudence :
Il était expérimenté,
Et savait que la méfiance
Est mère de la sûreté.
La cigale , ayant chanté
Tout l' été ,
Se trouva dépourvue
Quand la bise fut venue :
Pas un seul morceau
De mouche ou de vermisseau .
Elle alla crier famine
Chez la fourmi sa voisine ,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu à la saison nouvelle .
Je vous paierai , lui dit-elle ,
Avant l' oût , foi d' animal ,
Intérêt et principal .
La fourmi n' est pas prêteuse :
C' est là son moindre défaut .
Que faisiez-vous au temps chaud ?
Dit-elle à cette emprunteuse : -
Nuit et jour à tout venant
Je chantais , ne vous déplaise -
Vous chantiez ! j' en suis fort aise .
Eh bien ! dansez maintenant .
.
L'avarice perd tout en voulant tout gagner.
(La poule aux œufs d'or)
Patience et longueur de temps
Font plus que force ni que rage.
Deux coqs vivaient en paix ; une poule survint.
Et voilà la guerre allumée.
LES DEUX COQS
Deux Coqs vivaient en paix ; une Poule survint,
Et voilà la guerre allumée.
Amour, tu perdis Troie ; et c'est de toi que vint
Cette querelle envenimée,
Où du sang des Dieux même on vit le Xanthe teint.
Longtemps entre nos Coqs le combat se maintint.
Le bruit s'en répandit par tout le voisinage.
La gent qui porte crête au spectacle accourut.
Plus d'une Hélène au beau plumage
Fut le prix du vainqueur ; le vaincu disparut.
Il alla se cacher au fond de sa retraite,
Pleura sa gloire et ses amours,
Ses amours qu'un rival tout fier de sa défaite
Possédait à ses yeux. Il voyait tous les jours
Cet objet rallumer sa haine et son courage.
Il aiguisait son bec, battait l'air et ses flancs,
Et s'exerçant contre les vents
S'armait d'une jalouse rage.
Il n'en eut pas besoin. Son vainqueur sur les toits
S'alla percher, et chanter sa victoire.
Un Vautour entendit sa voix :
Adieu les amours et la gloire.
Tout cet orgueil périt sous l'ongle du Vautour.
Enfin par un fatal retour
Son rival autour de la Poule
S'en revint faire le coquet :
Je laisse à penser quel caquet,
Car il eut des femmes en foule.
La Fortune se plaît à faire de ces coups ;
Tout vainqueur insolent à sa perte travaille.
Défions-nous du sort, et prenons garde à nous
Après le gain d'une bataille.
(livre VII, fable XII)
Les Deux Taureaux et une Grenouille
Deux taureaux combattaient à qui possèderait
Une génisse avec l'empire.
Une grenouille en soupirait.
"Qu'avez-vous? se mit à lui dire
Quelqu'un du peuple croassant.
-- Et ne voyez-vous pas, dit-elle,
Que la fin de cette querelle
Sera l'exil de l'un; que l'autre le chassant
Le fera renoncer aux campagnes fleuries?
Il ne règnera plus sur l'herbe des prairies,
Viendra dans nos marais régner sur les roseaux,
Et, nous foulant aux pieds jusques au fond des eaux,
Tantôt l'une, et puis l'autre, il faudra qu'on pâtisse
Du combat qu'a causé madame la Génisse."
Cette crainte était de bon sens;
L'un des taureaux en leur demeure
S'alla cacher à leurs dépens:
Il en écrasait vingt par heure.
Hélas: On voit que de tout temps
Les petits ont pâti des sottises des grands.
(Livre deuxième, fable IV)