Citations de Jeremy Narby (74)
L'anthropologie se mit ainsi à prendre conscience que son propre regard était un outil de domination et qu'elle n'était pas seulement née dans le colonialisme, mais qu'elle servait encore la cause coloniale par sa propre pratique. Ce que l'on a appelé "le langage neutre et supra-culturel de l'observateur" était en réalité un discours colonial et une forme de domination.
J'avais déjà compris que, malgré leur désordre apparent, les jardins indigènes étaient des chefs-d'oeuvre de polyculture qui contenaient jusqu'à soixante-dix plantes différentes mélangées de façon chaotique, mais rarement innocente.
Le chamanisme est du reste fréquemment dystone à l’égard de la culture elle-même. C’est là un fait abondamment documenté et néanmoins systématiquement méconnu. Le chaman est donc bien souvent ce que j’ai appelé ailleurs un « élément social perturbateur ».
(p.133)
Selon Townsley (...) : « L'approche métaphorique ne désigne pas faussement les choses, mais, au contraire, constitue la seule manière de les nommer correctement. »
Quelques semaines plus tard, j'allais montrer [les peintures de Pablo Amaringo] à un ami qui possède de bonnes connaissances en biologie moléculaire. Il réagit de la même façon que les vegetalistas à qui Luna les avait montrées : « Tiens, voilà du collagène... Et là, le réseau embryonnaire de l'axone avec ses névrites... Ca, c'est des triples hélices... Voilà l'ADN vu de loin ressemblant à un cordon de téléphone... Ici, on dirait des chromosomes à un stade spécifique... Voilà la forme étalée de l'ADN, et juste à côté des bobines de l'ADN avec leur structure en nucléosome », etc.
Claude Lévi-Strauss lui-même en vint à dire : « Les sciences humaines ne sont des sciences que par une flatteuse imposture. Elles se heurtent à une limite infranchissable, car les réalités qu'elles aspirent à connaître sont du même ordre de complexité que les moyens intellectuels qu'elles mettent en œuvre. De ce fait, elles sont et seront toujours incapables de maîtriser leur objet. »
Je sens mon esprit craquer, et dans la faille, je vois l'arrogance sans fond de mes a priori. Il est profondément vrai que je ne suis qu'un être humain, et que la plupart du temps, j'ai l'impression de tout comprendre, alors qu'ici, je me retrouve dans une réalité plus puissante que je ne comprends pas du tout et que je ne soupçonnais même pas, dans mon arrogance, d'exister. J'ai envie de pleurer devant l'énormité de ces révélations, puis l'idée me vient que cet auto-apitoiement fait partie de mon arrogance. J'ai tellement honte que je n'ose plus avoir honte.
D’autre part, les plantes ne communiquent pas, du moins pas comme les humains. Certes, une fleur transmet de l’information à une abeille en émettant son parfum. Mais les théories scientifiques de la communication considèrent que seuls les êtres humains emploient des symboles abstraits, comme des mots ou des images”. Les plantes ne relayent pas d’information par l’intermédiaire de signes abstraits prenant la forme d’images mentales. La science considère que le cerveau humain est la source des images hallucinatoires et que les plantes psychoactives ne font que déclencher ces images par l’intermédiaire des molécules hallucinogènes qu’elles contiennent.
Cet ouvrage ne démontre rien sur le plan scientifique, il ne fait qu’énoncer des hypothèses. Mais les réflexions autour de la thèse présentée prennent un sens profond à l’heure où les humains réalisent ce qu’ils ont fait à la Terre, à défaut de réaliser ce qu’ils se sont fait les uns aux autres. Il donne également à réfléchir sur la démarche de recherche scientifique, sur nos aveuglements inconscients, sur la nécessité d’être humble quand on fait de la science, l’obligation mais aussi la difficulté, voire l’impossibilité d’être parfaitement objectif.
74% des drogues ou remèdes d’origine végétale utilisés dans la pharmacopée moderne ont été découverts en premier lieu par les sociétés « traditionnelles ». Moins de 2% des espèces végétales ont subi des tests scientifiques complets en laboratoire. La majorité des 98% restants se trouvent dans les forêts tropicales.
/…/ sans le savoir botanique des peuples indigènes, les biotechniciens en seraient réduits à tester au hasard les propriétés médicinales de quelque 250 000 espèces de plantes de la planète.
/…/ compagnies pharmaceutiques qui viennent de longue date en Amazonie échantillonner les remèdes végétaux indigènes, puis en synthétisent et brevètent les ingrédients actifs dans leurs laboratoires, gardant pour eux les bénéfices.
Une attitude commune des gens était d’enseigner par l’exemple et non par l’explication. Ainsi, les parents encourageaient les enfants à les accompagner dans leurs activités.
/…/ un des sujets favoris de conversation était de me demander comment je fabriquais mes objets : boites à cassettes, briquets, bottes en caoutchouc, couteau suisse, piles électriques, etc. Lorsque j’expliquais que je ne savais pas vraiment, personne n’avait l’air de me croire.
La plupart des projets que j'ai présentés, à des individus, des communes, des groupements de citoyens, des fondations et même une organisation gouvernementale, ont été financés, puis réalisés sur le terrain. Au cours de cette période, j'ai appris à donner des conférences publiques pour expliquer pourquoi il était écologiquement utile de confier la forêt tropicale à ses habitants ancestraux. Dans mes présentations, j'exposais la nature rationnelle de leur utilisation de ce milieu fragile, insistant par exemple sur le rôle-clé, dans les techniques agricoles indigènes, de la polyculture et du déboisement de petites surfaces. Mais plus je parlais, plus je me rendais compte que je taisais une partie de ce que je pensais.
Je ne disais pas que ces indiens, qui détiennent un savoir empirique attesté par la science, affirment que celui-ci provient des hallucinations induites par certaines plantes. J'avais moi-même expérimenté ces hallucinogènes végétaux sous leur direction, et ma rencontre avec les serpents fluorescents avait véritablement modifier ma manière de considérer la réalité. En hallucinant, j'avais appris des choses importantes pour moi - à commencer par le fait que je ne suis qu'un être humain intimement lié aux autres formes de vie et que la vraie réalité est plus complexe que ce que nos yeux nous font voir et croire habituellement. Telle était devenue ma conviction.
Shapiro [et] Watson écrivent : "Malheureusement, il est impossible d'obtenir des preuves directes pour quelque théorie que ce soit concernant l'origine de la vie. La simple vérité est que même si tous les experts dans le domaine de l'évolution moléculaire s'accordaient sur la façon dont la vie avait pris forme, la théorie serait encore au mieux une conjecture [a best guess] plutôt qu'un fait".
Les anthropologues ont écrit une telle ribambelle de textes illisibles que la théoricienne littéraire Pratt (1986) s'exclame, après en avoir lu un certain nombre : "On se demande continuellement comment des personnes si intéressantes, faisant des choses si captivantes, peuvent produire des livres si ennuyeux.
Chandebois [...] : ... il est tout à fait possible de concevoir un rôle utile pour le hasard dans un système qui n'y trouve pas son origine.
... le fumeur moyen absorbe l'équivalent des doses de 250 à 300 radiographies pulmonaires par an." [...] Curieusement, la question de la radioactivité de la fumée de cigarette est rarement mentionnée dans la majorité des articles sur la toxicité de ce produit. Concernant les différentes formes de cancer provoquées par les cigarettes.
Y a-t-il un but à la vie ? Existons-nous (et mourons-nous) pour une raison ? Personnellement, je le crois, et je pense que la combinaison du chamanisme et de la biologie apporte des réponses intéressantes à ces questions. Mais je ne me sens pas prêt à en parler d'un point de vue personnel.
Evidemment, une culture indigène, disposant de territoires suffisants et d'éducation bilingue et interculturelle, est mieux à même d'entretenir et de cultiver a mythologie et son chamanisme. Au contraire, la confiscation de leurs terres et l'imposition d'une éducation étrangère qu transforme leurs jeunes en amnésiques, menace non seulement la survie de ces peuples, mais toute une voie de connaissance. C'est comme si l'on brûlait, l'une après l'autre, les plus vieilles universités du monde et leurs bibliothèques sacrifiant ainsi le savoir des générations futures de la planète entière.
... les apparences sont trompeuses et la réalité est souvent double : le métissage, qui implique une certaine dilution, constitue aussi une des plus anciennes stratégies de survie pratiquée par les autochtones. L'indigène à l'état pur, le "vrai Indien", qui n'est jamais sorti de sa forêt, ne parle pas un mot d'espagnol ou de portugais, n'utilise pas d'outil métallique et se promène tout nu décodé de nombreuses plumes, n'existe que dans l'imaginaire européen. Heureusement d'ailleurs pour les véritables Indiens, qui doivent déjà affronter suffisamment d'obstacles pour mener la vie qu'ils entendent.
A y regarder de près, le chamanisme ressemble à une discipline académique (comme l'anthropologie, ou la biologie moléculaire). Il constitue une manière de saisir le monde qui évolue, et il existe à géométrie variable, avec ses praticiens, ses chercheurs fondamentaux, ses spécialistes, et ses écoles de pensée.