Joanna Goodman

«  Celui qui plante une semence sème la vie ».

«  Même toi qui ressembles au chiendent,
Comme moi, sauvage et négligée,
La nature t’aime comme son enfant,
Les yeux baissés , je t’ai remarquée .

Tant d’autres dans leurs abris sauvages
Revêtues de modestes effets
Exhalent un effluve si suave,
Aussi doux que les fleurs du bosquet .

Et comme toi, chaque herbe insolente,
Dont les fleurs ignorées comme toi,
Sans réconfort, remontent à la semence,
Sauvage et négligée , comme moi » .


À une fleur anodine, obscurément éclose dans une clairière solitaire .
« John Clare »1820.

Tout le monde parlait de la loi de l’attraction et du fait qu’on pouvait avoir tout ce qu’on voulait dans la vie uniquement en y pensant, mais qu’on pouvait aussi attirer ce qu’on ne voulait pas uniquement en y pensant. Le concept était simpliste et il a été surexploité, mais il contenait une part de vérité. Je crois que la peur en moi a fini par se transformer en une tumeur qui s’est installée dans mon sein. Elle était rendue au stade 4 quand on a diagnostiqué le cancer. Dix-sept ganglions lymphatiques atteints. C’est beaucoup de peur.

À 16 ans, Maggie a elle-même une semence qui croît dans son ventre et qui est presque arrivée à maturité. Le bébé bouge et lui donne des coups avec entrain, lui rappelant avec ses pieds et ses coudes la façon dont il a bouleversé sa confortable existence, la terrible transgression qu’elle a commise et la honte qu’elle a subie.

Celui qui plante une semence sème la vie.

Elle est sans âge et pourrait tout aussi bien avoir quarante-cinq que cinquante-cinq ans. Elle n’est pas très jolie et a une coiffure masculine très peu flatteuse ; on dirait qu’elle s’est coupé les cheveux elle-même en se servant de ciseaux de cuisine. Pourtant, il y a quelque chose de chaleureux dans ses yeux marron. Ou peut-être est-ce la façon dont elle sourit, comme si elle était absolument ravie de faire la connaissance des deux femmes.

La peur. C’était ça mon problème. Je me suis toujours sentie comme une enfant recroquevillée dans un coin. Étrangement, la seule chose dont je n’aie pas eu peur, c’est la mort. J’avais peur de ne pas être aimée, de ne pas être assez bonne, de ne pas avoir de valeur, de ne pas être respectée, de ne pas être belle, de ne pas être heureuse ou utile ou productive ; j’avais peur d’être exposée, abandonnée, vue, jugée, rejetée.

J’adore la photo. J’ai même fait une exposition dans une petite galerie à Williamsburg en 1999, mais ma confiance n’a pas résisté à l’examen – au fait de montrer un travail que les gens jugeraient. Je ne me sentais même pas digne de l’attention que l’événement a suscitée. Je n’ai rien vendu. Je n’étais pas très bonne de toute façon. Et j’ai continué à faire de la photo comme passe-temps.

... Nous sommes maintenant un hôpital psychiatrique. Il n'y a plus d'orphelinat ni d'orphelins. À partir d'aujourd'hui, vous êtes des malades mentales...

Il est toujours fâché contre elle. Elle a ses propres raisons d’être en colère contre lui, mais pour le moment, elle veut surtout obtenir des réponses de lui. À Montréal, elle a découvert un avocat du nom de Sonny Goldbaum, mais elle n’a pas réussi à le joindre à cause des vacances de fin d’année. En attendant, elle va chercher à découvrir ce qu’il y a dans l’enveloppe de papier kraft.

Être une femme dans un monde d’hommes ne doit pas être plus facile qu’être un Canadien français dans un monde de Canadiens anglais, qu’en penses-tu?

Elle a tout de même un peu peur – car elle doit encore convaincre les médecins qu’elle n’est ni arriérée ni folle – et elle appréhende de savoir où on l’enverra, mais rien ne saurait l’emporter sur sa joie.

Les enfants grandissent sans affection. Ce n’est pas normal. Je ne supporte pas de ne pas pouvoir prendre les petits dans mes bras lorsqu’ils pleurent.

Son rêve d’avoir cet enfant avec lui commence à s’estomper. Pourtant, malgré de fréquentes vagues de désespoir, elle persiste à avoir confiance – ou à se faire des illusions. Elle ne renoncera pas à lui, ce qui explique pourquoi elle donnera naissance à cet enfant seule, plutôt qu’auprès de Roland qui assurerait sa sécurité. Elle interprète son propre comportement comme de la foi, plus que toute autre chose.

Elle n’est ni aimable ni amicale, mais sa sévérité se transforme rarement en maltraitance. Tout ce qu’elle veut, c’est que le travail se fasse.

C’est fait, ils ne peuvent plus revenir en arrière. Elle va également lui dire ce qui lui est arrivé à Frelighsburg – le viol, la grossesse, l’obligation d’abandonner le bébé. Elle veut se libérer de tous ses secrets et prendre un nouveau départ dans la vie. Le destin a voulu qu’ils se retrouvent; elle doit la vérité à Gabriel. Il a été tenu dans l’ignorance trop longtemps.

Bien qu’il soit blessé dans ses sentiments et dans son orgueil, il est en train de se faire à l’idée qu’il peut recommencer sa vie avec quelqu’un qui voudra exactement la même chose que lui: une gentille femme fertile, dont les aspirations en matière de famille et de conjugalité correspondront aux siennes. Maggie n’aurait jamais pu être cette femme. Il ne l’admettra pas devant elle, mais elle est certaine qu’il est en train d’en arriver à la même conclusion.

J’ai fait beaucoup d’efforts pour être la personne que tu voulais que je sois, dit-elle. J’ai essayé de te donner un bébé, je n’ai pas tenu compte de la pression que cela mettait sur moi, j’ai prétendu ne pas remarquer que cela tuait lentement le respect que nous avions l’un pour l’autre, et ce qui restait d’attirance entre nous. Je veux plus, Roland. Mon travail avec Godbout m’a aidée à renouer avec cette partie de moi-même.

Évidemment, ces derniers temps, ça ne va pas toujours comme sur des roulettes, mais je crois qu’en fondant une famille, nous remédierons à la situation. Un enfant réglera tout.

L’impulsivité ne lui a causé que des problèmes. Pour la première fois de sa vie, elle se sent sûre d’elle, elle sait ce qu’elle veut et elle ne craint pas l’échec.