Ce tome fait suite à Ringside Volume 1 (Kayfabe, épisodes 1 à 5) qu'il faut avoir lu pour comprendre qui sont les personnages et les relations qui existent entre eux, sans parler de leur histoire personnelle. Il contient les épisodes 6 à 10, initialement parus en 2016/2017, écrits par Joe Keatinge, dessinés et encrés par Nick Barber, avec une mise en couleurs réalisée par Simon Cough, c’est-à-dire la même équipe que pour le premier tome. Les couvertures sont l'œuvre de Sandra Lanz. Le tome se termine avec 3 pages de découpage de planches, et de crayonnés.
Le soir dans un bar, Eduard s'entretient avec Dorian, un de ses débiteurs et lui explique qu'il comprend bien qu'il soit en retard sur son paiement. Il ne reste qu'à finaliser le deal avec un document à l'arrière du bâtiment. Eduard remet Dorian aux mains de Daniel Knossos qui effectue son travail de gros bras aux frais de Dorian. Après avoir massacré Dorian à main nue, Knossos rentre chez lui dans son trailer. Hank Grisson, entraîneur de catcheurs dans un bled paumé se rend compte que Knossos est rentré aux États-Unis ; il se retrouve contraint d'en faire part à sa fille Chelsea qui est également sa partenaire dans son entreprise. Lorsque Knossos se réveille le lendemain matin, Teddy lui a préparé son petit déjeuner. Ragan se rend au studio d'enregistrement de Clem pour lui demander de composer un thème pour Reynolds, jeune catcheur débutant. Reynold conduit Davis (entraîneur) à l'aéroport pour son vol à destination de la Floride, ce dernier lui offre sa voiture.
Eduard convoque Daniel Knossos sur un parking désert. Il lui explique qu'il est en train d'étendre ses opérations et qu'il a besoin d'un individu fiable et obéissant, avec des gros bras, un peu plus au Nord. Il sait très bien que Knossos le hait, mais aussi qu'il obéira pour le bien de Teddy. Knossos accepte d'accomplir ce job pendant une année, et Eduard lui promet qu'au bout de cette période il aura payé sa dette. De manière inattendue, Reynolds se rend compte qu'il se retrouve à effectuer le même boulot que Davis, cette fois-ci au bénéfice de Sisman, un petit nouveau dans le monde du catch. De son côté, arrivé à destination, Knossos se présente à son nouveau chef, pour recevoir ses consignes professionnelles. Il doit veiller au calme dans un entrepôt où se déroulent des échanges de marchandises.
Le premier tome de la série avait séduit le lecteur à la fois pour montrer l'envers du décor des catcheurs professionnels (la manière dont ils sont réduits à l'état de produits pas beaucoup mis en avant par les responsables de fédération), à la fois pour le manque d'application pratique de leur force pour les situations de tous les jours. Daniel Knossos se heurtait à la réalité d'un monde indifférent à son existence, et au fait qu'il se trouve au bas de l'échelle sociale, un anonyme parmi tant d'autres, sans beaucoup de valeur marchande ou économique. Du coup, le lecteur se sent un peu dépité de voir que finalement Knossos a intégré facilement le rang, qu'il est devenu un homme de main sans conscience, capable de tabasser un individu en position de faiblesse, et de le laisser à terre, grièvement blessé, sans une once de remord. L'intrigue est rapidement rentrée dans le rang des polars classiques, à base de rackets, de trafics illégaux, et d'usage de la violence pour soumettre les plus faibles. Les principaux personnages subissent les décisions des petits chefs de gang, sans espoir de s'extraire de ce milieu, se retrouvant obligés de se plier à toutes les compromissions, devenant de plus en plus abjects à leurs propres yeux. Cette orientation plus convenue du récit s'accompagne également d'une évolution des dessins, semblant plus grossiers, avec une densité d'information ayant diminué de manière significative par rapport au premier tome. Le lecteur regarde Daniel Knossos, Reynolds, Ragan et Teddy s'enfoncer dans un quotidien désabusé, pour un futur sans espoir.
Effectivement, ces 5 épisodes se lisent rapidement, mais le point de vue si particulier du premier tome semble avoir laissé la place à un autre plus convenu. Nick Barber détoure toutes les formes par un trait d'épaisseur unique et invariable, un peu gras. Les contours ainsi tracés présentent quelques angles assez obtus, sans arrondis pour les rendre plus agréables à l'œil. Les traits ne forment pas toujours un contour jointif, comme s'il y avait une forme de laisser-aller, de manque d'implication du dessinateur. Le lecteur éprouve vraiment l'impression que l'artiste a épuré ses dessins pour les rendre plus facilement accessibles à un lectorat plus jeune : 1 trait pour chaque sourcil, 1 trait pour la bouche, 1 point pour chaque œil. Il arrive de temps en temps de découvrir une page dans laquelle toutes les cases sont dépourvues de décor. Certains éléments de décor ne sont représentés que par 2 ou 3 traits évoquant sa forme générale, sans rentrer dans le détail. Ainsi tous les bureaux se résument à la forme générique d'un plateau rectangulaire. Il est impossible d'identifier le modèle ou la marque de la voiture que Davis donne à Reynolds. Il n'est pas possible de se faire une idée de la taille ou de la forme de l'entrepôt dans lequel Knossos surveille les opérations de manutention, et toutes les caisses ont la même forme de parallélépipède rectangle anonyme.
Malgré cette apparence un peu insipide, le lecteur n'éprouve pas trop de difficulté à terminer ces 5 épisodes. Il est vrai que tous les personnages disposent d'une apparence spécifique et qu'ils sont aisément identifiables. Le lecteur ressent facilement leurs émotions : le plaisir d'Eduard à voir Dorian se faire tabasser parce que ça veut dire que ses affaires avancent, la lassitude de Ragan et de Reynolds en comprenant que leurs efforts ne pèsent pas lourds, le désarroi de Teddy quémandant, du regard, l'approbation de Daniel Knossos, etc. Certes il n'y a plus de personnages féminins, mais les personnages masculins ne sont pas cantonnés au rôle de l'individu viril, ou du beau salaud. Les auteurs savent mettre en scène une relation homosexuelle, sans qu'elle n'ait l'air artificiel ou opportuniste. Les dessins de Nick Barber donnent parfois une impression de désinvolture, ou du moins d'un degré d'implication en deçà de ce qui serait nécessaire pour rendre compte de la noirceur de la situation, mais le lecteur reconnaît sans peine les personnages, et ils évoluent dans des endroits bien déterminés, également aisément indentifiables.
Bien que Daniel Knossos se retrouve dans une position de gros bras, plus convenue que sa situation dans le premier tome, elle n'en est pas moins noire. Malgré cette position plus classique, Joe Keatinge et Nick Barber restent fidèles à leur ligne directrice. Le lecteur peut constater que la plupart des personnages du premier tome sont toujours présents, et que les évolutions de carrière des différents catcheurs aboutissent toujours autant dans des culs de sac. Reynolds n'a toujours aucune de chance de monter sur un ring pour un match pris en charge par la fédération et diffusé à la télévision. En tant que scénariste de combats de catch, Ragan n'a toujours que des propositions sans envergure où on lui dicte le déroulement de la scène, sans qu'il n'ait la latitude de laisser sa fibre créatrice s'exprimer. Hank Grisson est obligé de quémander une faveur à Andre Aligreti, et de s'humilier pour se faire.
Pire encore, plusieurs personnages prennent la réalité du fonctionnement de la société en pleine face, à commencer par le comportement des gens. Dans ce tome, c'est Reynolds qui doit revoir son optimisme à la baisse de séquence en séquence. Davis est parti pour profiter d'une opportunité professionnelle en Floride (le lecteur peut voir ce qu'il en est vraiment de cette opportunité), le laissant se débrouiller tout seul. Puis c'est son amant qui le quitte parce que lui aussi pense tenir la chance de sa vie de scénariste, avec une de ses histoires en passe de devenir un scénario de film. Son nouveau collègue de travail lui fait voir qu'il aura beau se démener pour donner le meilleur de lui-même dans des rôles de figuration, cela n'aura aucune incidence ni sur sa rémunération, ni sur sa carrière. Enfin, la seule fois où Reynolds donne son avis professionnel à un vrai décideur, il prend un retour de bâton d'une ampleur qui le laisse sans travail. En prenant un peu de recul, le lecteur se rend compte que les auteurs ont effectivement continué à développer ce thème de la prédestination sociale qui fait que les personnages ne peuvent pas s'élever de leur condition sociale d'origine, quels que soient les efforts qu'ils réalisent.
Reynolds tombe de haut en comprenant que c'est juste un boulot pour Sisman, sans rien d'intéressant, encore moins de passionnant, sans illusion sur l'absence de toute reconnaissance, sur le fait qu'ils soient interchangeables dans cet emploi. La deuxième couche vient avec sa mise à la porte par un décideur qui ne le connaît pas, juste parce qu'il a osé prendre la parole sans qu'on ne le lui ait demandé. Ces états de fait se retrouvent dans la situation de Daniel Knossos. Il doit se comporter comme un individu sans personnalité propre, suivant les ordres sans poser de question, sans initiative personnelle, et surtout sans développer aucun attachement effectif de quelque sorte que ce soit pour les autres individus qu'ils croisent. Que ce soit dans le monde du catch, ou dans le monde des petits truands, on attend d'eux qu'ils se comportent en bon soldat obéissant, dépourvus de personnalité. Knossos est le premier à comprendre qu'il n'y a rien de personnel dans les ordres et les punitions de son chef, juste l'application du principe Manger ou être mangé. Il comprend que c'est la seule solution pour gravir un échelon dans la chaîne économique ou dans la chaîne de commandement, marcher sur les autres, sans rien de personnel. De manière paradoxale et sadique, le seul reste d'humanité dans ce récit apparaît quand Andre Aligreti prend son pied à humilier Hank Grissan, pour se venger d'une crasse qu'il lui a fait des années auparavant.
La première impression du lecteur est que les auteurs ont conservé le cap d'un récit se déroulant dans le milieu du catch, parmi les individus anonymes qui font tourner cette machine de l'industrie du divertissement, mais qu'ils sont rentrés dans une phase plus ordinaire, avec des dessins plus rapides, et des personnages ayant facilement basculé du côté du banditisme ordinaire. Il faut un peu de temps pour se rendre compte que cette impression de récit vaguement déprimant et quelque peu convenu est générée par les espoirs des personnages se brisant sur la réalité. Daniel Knossos est en train de grimper dans les échelons, mais cela détruit toute émotion positive en lui. Reynolds est en train d'apprendre le véritable mode de fonctionnement de l'industrie du catch, mais à ses dépens, et au prix de ses valeurs, de son plaisir à exercer le métier de catcheur. La sensation de déprime qui se dégage du récit atteste du fait que les auteurs ont peut-être trop bien réussi à faire vivre leurs personnages et à entraîner le lecteur dans le désenchantement, consubstantiel à leur passage à l'âge adulte.
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