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Critiques de Joe Keatinge (27)
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Spider-man 2012 hs 06 : Axis : carnage & le..

Cet hors-série se passe toujours pendant l’événement Axis. On retrouve Carnage pour une mini série en trois chapitres, qui est particulièrement passionnant.



Depuis qu’il est devenu bon, il cherche à faire le bien, à se comporter comme un héros. Mais lorsqu’on s’appelle Carnage, il n’est pas évident de passer pour quelqu’un de bien. C’est l’histoire que j’ai préféré car la deuxième traite du Super-bouffon ainsi que de ses nouvelles méthodes.



C’est sympa aussi, mais ce n’est clairement pas du niveau de Carnage. Notons tout de même l’apparition du vieux Captain América lors de la dernière page pour lancer une intrigue qui pourrait être interessante à l’avenir.
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Glory, tome 2 : War Torn

Ce tome fait suite à The once and future destroyer (épisodes 23 à 28). Il contient les épisodes 29 à 34, initialement parus en 2012/2013. L'ensemble des 2 tomes (12 épisodes en tout) forme une histoire complète et indépendante de toute autre, scénarisée par Joe Keatinge, et principalement dessinée par Ross Campbell.



Quelques scènes permettent de découvrir Nanaja, la sœur de Glory (Gloriana Demeter), dans quelles circonstances elle a été conçue, en quoi son état d'esprit diffère de celui de sa sœur, pourquoi sa queue n'a pas été amputée à la naissance, et ce qu'elle manigance à Paris. Au temps présent, Glory, Gloria, Riley Barnes, Henry et Beleszava sont accueillis à Buc (en région parisienne) par un ancien compagnon d'arme de Glory. Riley Barnes et Gloria West en profite pour sortir et faire du tourisme à Montmartre, jusque dans un club de strip-tease. L'affrontement (très brutal et sanglant) entre les 2 sœurs n'est pas loin. Mais ce n'est rien à côté des retrouvailles entre ces 2 sœurs et leurs parents, Lady Demeter et Lord Silverfall. Ce dernier leur apprend ce qu'il est advenu de Thule (leur planète d'origine) et que la Terre est menacée par le même danger que Thule.



Dans la première moitié (le tome précédent), Joe Keatinge avait habilement arrangé l'histoire de Wonder Woman à sa sauce pour montrer qu'il est possible de réaliser des histoires qui décoiffent autour d'un personnage de princesse guerrière (il est vrai que Glory n'a pas vraiment la carrure de Diana). Avec cette deuxième moitié, il abandonne les références à Wonder Woman pour résoudre son intrigue dans laquelle Glory apparaît comme un personnage qui ne doit rien à un autre. Keatinge a débuté son histoire de manière à appâter le lecteur, et il s'est émancipé de sa référence première pour raconter une histoire originale. La vision annonciatrice de destruction de Riley Barnes va-t-elle se réaliser ? Quel danger représente réellement Glory pour l'avenir de la Terre ? Joe Keatinge raconte les actions de Glory au temps présent, tout en enrichissant son passé grâce à des retours en arrière bien gérés. Comme promis l'histoire s'achève dans un bain de sang dévastateur imprévisible. Keatinge évite tous les écueils découlant d'un personnage féminin décrit comme une guerrière. Il n'y a pas de pitié ou d'hésitation à attendre de Glory, ou de compassion altruiste et artificielle. Elle a été élevée comme une guerrière, c'est une experte dans l'art du combat et elle a un corps d'une puissance phénoménale. Keatinge arrive à lui insuffler une personnalité réelle, dénuée de toute mièvrerie. Il refuse l'hypocrisie et montre clairement que Glory a eu une vie sexuelle qui n'est pas terminée. Ross Campbell lui donne une poitrine cohérente avec sa musculature, proche de celle des culturistes, et il la dessine même une fois nue de face (oui, ses poils pubiens aussi sont blancs).



Certaines parties de l'intrigue reposent sur des ficelles assez classiques telles que la rivalité entre sœurs, ou des parents manipulateurs, ou encore un gros monstre destructeur qui arrive à point nommé pour fournir la menace finale. Mais Keatinge sait apporter assez d'éléments originaux pour que le récit ait son caractère propre, plusieurs moments imprévisibles et qu'il dégage une force brutale peu commune, en cohérence avec les personnalités des protagonistes.



Ross Campbell dessine l'intégralité des épisodes 29, 33 et 34, la majeure partie de l'épisode 30 (3 pages dessinées par Roman Muradov), 12 pages de l'épisode 31 (les 8 autres pages sont dessinées par Ulises Farinas), 10 pages de l'épisode 32 (+ 2 pages par Owen Gieni, 2 pages par Emi Lenox, 2 pages par Greg Hinkle, 2 pages par Sloane Leong et 2 pages par Jed Dougherty).



La mise en couleurs d'Owen Gieni assure une cohérence visuelle, quel que soit le dessinateur, et complète discrètement les dessins de Ross Campbell, faisant totalement oublier au lecteur qu'il contemple parfois un simple buste du personnage en train de parler. Campbell est très impressionnant dans son approche graphique qui refuse de se plier aux diktats des superhéros. Il n'utilise aucun stéréotype visuel propre à ce genre de récit. Glory est massive, avec un corps de culturiste avec tout ce que cela peut avoir de choquant sur le plan esthétique. Sa sœur est filiforme avec des expressions cruelles et sauvages. Lorsque le scénario implique des éléments réalistes, Campbell fait preuve d'un sens du détail inattendu, tel ce modèle de chaises dans la maison de banlieue à Buc. Il varie la morphologie des personnages qui n'ont pas tous des corps de mannequin (même des femmes bien en chair, tout en restant séduisantes et chaleureuses). À l'autre extrémité des corps, il y a la forme à la musculature impossible de Glory quand elle a perdu sa maîtrise qui est proprement monstrueuse, sans plus rien de séduisant ou de racoleur. Les scènes de dialogue bénéficient d'une vraie mise en scène qui les rend visuellement intéressantes. Les scènes de combats sont d'une grande violence, là encore originales. Campbell pousse la conscience professionnelle jusqu'à dessiner une double page remplie jusqu'au bord avec des superhéros issus d'Extreme Studios (branche de Rob Liefeld chez Image Comics) comprenant une quarantaine de ces superhéros (de Shaft à Badrock, en passant par Kodiak et Troll, et même les NewMen). D'une manière inattendue, lors de la scène dans l'autre monde, le scénario et les dessins semblent à l'unisson pour rendre un hommage au monde la gemme de l'âme, telle que créée par Jim Starlin dans Warlock.



La participation des autres dessinateurs n'apportent pas une amélioration sensible, mais elle ne dénature pas la narration. Il convient de mettre en avant les 3 superbes pages pleines de saveur, réalisées par Roman Muradov pour un pastiche d'une aventure de Fantomas.



L'histoire se termine par un clin d'œil à l'autre série "Rob Liefeld" relancée en même temps : Prophet. Keatinge et Campbell auront donc également intégré des références aux autres superhéros de Liefeld (de Supreme à Youngblood, en passant par Bloodstrike).



En 12 épisodes, Joe Keatinge et Ross Cambell ont raconté une histoire originale, à la fois unique et indépendante, mais aussi démarrant comme un hommage à Wonder Woman, tout en s'éloignant rapidement de cette référence. L'intrigue comprend plusieurs morceaux de bravoure et un niveau de violence élevé, pour déboucher sur une résolution claire et nette. Les dessins montrent des personnages à l'apparence unique. Malgré tout, une fois la dernière page lue, le lecteur pourra regretter la psychologie un peu facile de Glory et compagnie, et le manque d'ambition de l'intrigue.
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Shutter, tome 5 : So far beyond

Ce tome fait suite à Shutter Volume 4: All Roads (épisodes 18 à 22) qu'il faut avoir lu avant. Il faut avoir commencé par le premier tome car il s'agit d'une histoire complète en 5 tomes. Celui-ci comprend les épisodes 23 à 30, initialement parus en 2016/2017, écrits par Joe Keatinge, dessinés et encrés par Leila del Duca, avec une mise en couleurs réalisée par Owen Gieni. Le tome se termine avec 4 pages de croquis et une courte biographie de chacun des créateurs.



Sur la Lune, 5 entités anthropoïdes s'élancent en courant, sachant qu'elles ne sont plus loin de leur chez elle. Sur Terre, Kate Kristopher est en train de s'entraîner à la boxe, sur un ring avec un homme plus âgé. Il lui fait remarquer qu'elle ne semble pas très concentrée, qu'il faut qu'elle accorde ses pensées avec ses gestes, qu'ils ne sont pas en train d'entraîner son corps, mais son esprit. Pendant ce temps-là, les entités continuent de courir et finissent par s'élancer dans le vide spatial qui sépare la Lune de la Terre. Le lendemain, Kate est réveillée par Cassius (le chat réveil), alors qu'elle dormait sur le canapé. Il indique qu'il a été envoyé par le frère de Kate, que le monde entier a les yeux tournés vers l'arrivée des Titans, y compris les membres de l'organisation Prospero dont l'attention va ainsi être accaparée. Kate se lève, ouvre grand les rideaux et regarde par la fenêtre, en indiquant que la façon la plus facile de neutraliser Prospero est d'informer les gens sur son existence. Une fois prête, elle prend les transports en commun : dans la rame, un garçon la reconnaît car il l'a déjà vue en Italie et lui demande si elle va recommencer à écrire. Après être sortie du métro, Kate appelle Alain Vian et lui fait part de la visite de Cassius. Elles sont d'accord sur le fait qu'elles doivent accélérer les événements.



Kate Kristopher pénètre dans le cimetière et se rend sur la tombe de son père. Elle lui a donné rendez-vous et il se tient là devant elle, bien vivant. Elle prend l'initiative de la discussion et lui indique qu'elle n'est pas venue seule : Maieli, Zohra & Achebe se tiennent juste à côté. Chris Kristopher se confond en excuses, implore le pardon de sa fille pour avoir abandonné ses enfants, et l'assure qu'il est prêt à les soutenir de manière inconditionnelle. De son côté, Huckleberry a préféré vivre dans une ferme à l'écart et essayer de s'entraîner à tirer de la main gauche. Elle se souvient de son enfance quand elle apprenait à tirer avec sa mère pour des résultats minables. Elle se souvient de la manière dont sa mère l'a motivée à tirer plus efficacement en lui demandant de tuer un lapin pour le diner, faute de quoi elles ne mangeraient pas. Elle se souvient de son père en train de peindre, son dernier sujet étant justement un lapin. Lui aussi l'avait motivée en lui demandant d'apporter la touche finale à son tableau, pour que d'un coup de pinceau le lapin ait l'air plus vivant que nature. Huckleberry reçoit la visite d'Alain Vian qui a un cadeau à lui offrir.



La dernière scène du tome précédent avait laissé le lecteur le souffle coupé, avec un deuxième élément venant s'ajouter sur l'apparition du père des 7 enfants Kristopher. Le scénariste avait à la fois mis en avant la ressource et l'inventivité des héros, à la fois le fait qu'une organisation plurimillénaire en avait vu d'autres et dispose d'une capacité de neutralisation bien supérieure à quelques individus même agissant en équipe. Le lecteur revient donc très curieux de connaître le dénouement de l'intrigue puisqu'il sait qu'il s'agit du dernier tome. Il retrouve toute la verve rehaussée par un soupçon de malice de Joe Keatinge. Il commence par utiliser une ellipse temporelle qui lui permet de mettre en perspective le traumatisme subi par les différentes protagonistes, et les séquelles qu'il a laissées, différentes pour chacun d'entre eux. L'organisation Prospero est toujours en place, agissant en coulisse sur la destinée du monde. Une partie des personnages s'est résignée, ou plutôt a accepté ses limites. Un ou deux autres n'ont pas baissé les bras, guettant le bon moment qui est peut-être venu et qu'il convient de saisir en remobilisant les autres. La nouvelle offensive contre Prospero ne peut bien sûr pas prendre la même forme que la précédente qui a échoué. Effectivement, le déroulement des événements s'avère différent et le scénariste enchante à nouveau le lecteur en explorant de nouveaux territoires et de nouvelles configurations.



Leila del Duca & Owen Gieni réalisent des planches dont la qualité ne faiblit en rien dans ces derniers épisodes, sans aucun signe d'essoufflement, sans tentation d'aller au plus court. Le lecteur retrouve la sensation de richesse et de merveilleux visuel. Du fait de l'inventivité du scénario et des ressources des artistes, il découvre ces titans en train de courir sur la Lune dans un élan irrépressible, cette ferme isolée et loin de tout où tuer un lapin devient une épreuve signifiante à plus d'un titre, une touche de pinceau qui donne vie à un lapin sur un tableau, les fondateurs de Prospero marqués par le temps qui passe, une personne mourant d'un cancer dans son lit d'hôpital, une dernière aventure sur la Lune. La dessinatrice utilise toujours une approche descriptive qui sait aussi bien rendre compte de l'immensité d'une plaine et de l'absence d'être humain à des kilomètres à la ronde, que d'une base lunaire, ou d'une peinture réalisée par un personnage. La complémentarité entre dessins et mise en couleurs reste extraordinaire, comme si le tout avait été réalisé par un seul et unique artiste. Owen Gieni utilise l'outil infographique pour aboutir à un rendu similaire à celui de la peinture, nourrissant les contours détourés pour un résultat organique et riche. Comme dans les tomes précédents, les 2 artistes adoptent une approche graphique différente pour des séquences singulières : une apparence plus en couleur directe et plus naïve pour les souvenirs d'enfant d'Huckleberry, un étonnant passage au noir & blanc pour 2 moments plus conceptuels.



Le lecteur se retrouve tout naturellement impliqué par cette intrigue réservant de nombreuses surprises narratives et visuelles, par la dynamique de savoir si les bons vont triompher de l'organisation totalitaire. Il retrouve également de temps à autre des moments plus conceptuels, dans la continuité des tomes précédents. Il y a cette histoire de Titans, cette créature cosmique dont la forme évoque celle d'une méduse fantastique, mais aussi des planches métaphoriques, comme la rosace de souvenirs de Cassius (superbe montage minutieux en forme de rosace), le visage de Kate passant d'une représentation encrée et peinte, aux crayonnés, à l'esquisse, aux traits de construction, ou encore la rencontre avec des superhéros dans l'épisode 25. Kate Kristopher se rend à un repas dans un restaurant, et s'attable avec Glory (2013, par Keatinge & Ross Campbell), Savage Dragon (Erik Larsen), Witchblade, ShadowHawk (Jim Valentino), Spawn (Todd McFarlane), Invincible (Robert Kirkman,, Cory Walker, Ryan Ottley). Le lecteur se souvient alors que Kate s'était retrouvée à lire un comics de ses aventures dans un tome précédent. En effet dès le départ, les auteurs ont fait apparaître des métacommentaires, suggérant au lecteur qu'il peut aussi lire ce récit comme un commentaire sur l'art de raconter une histoire. L'élégance de leur écriture fait qu'il est tout à fait possible de lire cette histoire au premier degré et de l'apprécier pour son intrigue et pour ses personnages, pour l'aventure et le spectaculaire, mais aussi de la percevoir comme une mise en perspective de l'art de raconter une histoire. Cette dimension du récit prend des formes élégantes, comme les 8 couvertures de comics dans le dernier épisode, portant les numéros 31, 42, 50, 69, 75, 107, 225, 360. Elles évoquent des aventures vécues entre la fin de l'épisode 29 et le temps présent de l'épisode 30, indiquant que les personnages ont vécu bien d'autres aventures durant les années correspondantes suggérant des merveilles pour le lecteur, suscitant sont envie pour une série potentiellement très longue.



Au-delà de ces 2 niveaux de lecture riches et satisfaisants pour eux-mêmes, il y a également le thème principal de l'existence de cette organisation totalitaire haute en couleurs Prospero, un complot mondial s'étalant sur plusieurs millénaires, d'une ampleur incroyable, avec un objectif clair, qui n'est ni la destruction du monde, ni sa domination basique. L'objectif de ce Propsero est très humain et lié directement à la nature humaine, ce qui hisse Prospero au-dessus du méchant rêvant de domination mondiale. En outre, au travers de ses personnages, Joe Keatinge envisage l'action de Prospero sous l'angle de cette volonté de gérer l'évolution et le changement en les cadrant. Il ne s'agit pas d'une enfilade de lieux communs, mais d'un questionnement naturel et accessible sur l'inéluctabilité du changement et de la stratégie de chaque individu face à l'exigence d'adaptation généré par tout changement. Le scénariste ne se lance pas dans des réflexions théoriques et conceptuelles. Ses observations découlent du déroulement de l'intrigue, du refus des héros d'accepter les manipulations de Prospero.



Cette série se conclut en apothéose, non pas parce que ce tome dépasse en qualité ou en spectaculaire tous les précédents, mais parce qu'il mène à son terme l'intrigue, le chemin de vie des personnages, les métacommentaires et le thème principal, dans une cohérence narrative inventive et parfaite, utilisant avec élégance les outils narratifs les plus simples comme les plus sophistiqués, du leitmotiv visuel (Kate ouvrant ses rideaux comme dans le premier tome), au thème courant dans la trame du récit (raconter une histoire).
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Stellar

Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Il contient les 6 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2018, écrits par Jospeh Keatinge, dessinés, encrés et mis en couleurs par Bret Blevins, avec un lettrage réalisé par Rus Wooton. La page de garde indique que le personnage a été créé par Robert Kirkman & Marc Silvestri.



Sur une autre planète, vraisemblablement dans un futur lointain, Stellar marche vers le bureau des primes, avec son prisonnier Melan Karkinos, enchaîné, qu'elle tire derrière elle. Derrière eux, se trouvent un vaisseau spatial qui s'est écrasé, un robot géant éventré, une statue gigantesque en pierre dont les parties sont brisées et éparpillées. Karkinos essaye d'engager la conversation avec Stellar, mais elle ne répond que brièvement. Ses phrases laissent sous-entendre qu'elle a été une guerrière qui a donné la mort à beaucoup d'opposants, parfois au cours de véritables massacres. Elle arrive enfin au bâtiment qui abrite le bureau où elle peut réclamer la récompense sur la tête mise à prix de son prisonnier. Le bureaucrate lui répond que si elle n'est pas enregistrée et reconnue par le gouvernement en place, il ne peut pas lui verser de prime. En entendant cela, Karkinos lui suggère de la libérer. Elle lui flanque une bonne dérouillée, et repart avec lui, toujours en le traînant par sa chaîne. Elle le ramène jusqu'au vaisseau qui s'est écrasé, en fait fiché dans la poitrine d'un extraterrestre géant. Elle y retrouve un fichier qui contient des indications sur l'équipage : Umbra, Aphelion, Apogee, Zenith et elle-même. Elle localise l'endroit où elle veut se rendre grâce au système de navigation de l'appareil.



À une autre époque, sur une autre planète, Stellar s'était écrasée sur la place d'un village, sans blessure. Interpellée par un autochtone, elle avait indiqué qu'elle venait délivrer un avertissement. Au temps présent, Stellar a atteint l'endroit qu'elle souhaitait, avec toujours son prisonnier. Elle salue Therrick, le maître des lieux. Il dirige une sorte de ferme qui se double d'un orphelinat. Il explique à Stellar que les conditions de vie de cette petite communauté se dégrade au fur et à mesure du temps qui passe, avec moins de nourriture, moins d'eau potable. Il indique à Stellar que 16 mois ou 9 semaines ont passé depuis son départ. Le soir, Stellar monte sur une hauteur pour regarder la plaine en contrebas. Elle se souvient de la fois où elle s'y était écrasée, poursuivie par 3 individus portant une combinaison similaire à a sienne : Umbra, Apogee, Aphelion.



Le concept de ce personnage a été créé par Robert Kirkman (studios Skybound) et Marc Silvestri (studios Top Cow) pour un épisode pilote paru en 2009, avec 4 autres pilotes créés par les mêmes auteurs. L'épisode pilote de Stellar était dessiné par Bernard Chang. 9 ans plus tard, Robert Kirkman confie ce personnage à Joe Keatinge (par exemple scénariste de la série Shutter, dessiné par Leila del Luca) et à Bret Blevins, dessinateur d'épisodes de la série New Mutants (scénario de Louise Simonson) et de la série The Bozz Chronicles (scénario de David Michelinie). Il s'agit donc d'une histoire complète qui ne nécessite pas d'avoir lu l'épisode pilote pour comprendre. Au fil des séquences, le lecteur comprend que Stellar a été enlevée de son milieu d'origine et transformée génétiquement pour devenir une soldate dotée de capacités surhumaines. Elle a suivi ce programme avec 4 autres individus : Umbra, Aphelion, Apogee, Zenith. Petit à petit, il apparaît que ces individus sont incapables de lutter contre leur vocation de guerrier, et que les conflits les rattrapent toujours. Il apparaît également que Zenith cherche à se venger de Stellar coûte que coûte, ou tout du moins à lui faire mal par tous les moyens, jusqu'à l'acharnement. Il faut donc un peu de temps pour comprendre cette dynamique qui structure le récit. En démarrant le troisième épisode, le lecteur se demande s'il n'a pas raté une page ou deux. Le même ressenti se produit avec le début du quatrième épisode. Il faut un peu de temps pour comprendre ce qui provoque cette forme de rupture dans la narration de l'intrigue.



Selon toute vraisemblance, dans la production pléthorique d'Image Comics dans les années 2010, le lecteur n'est pas venu par hasard à cette histoire. Il se peut qu'il cherchât une histoire de superhéros dans un contexte de science-fiction, influencé par la couverture. Il ne s'agit pas d'une histoire de superhéros, à peine d'une histoire de supersoldat, car cette composante reste en arrière-plan. Il faut même que le lecteur fasse un effort conscient pour se souvenir que Stellar fut une soldate, et qu'il fasse le lien avec son comportement. Il est plus probable que le lecteur ait admiré Bret Blevins dans ses travaux précédents, et qu'il souhaite retrouver ce dessinateur qui avait une forte personnalité graphique, en particulier en représentant des silhouettes humaines et des visages assez effilés, presqu'étirés, ce qui leur donnait une apparence assez inquiétante. Sur la couverture VO, le lecteur peut voir une trace de cette propension à allonger les visages. Il constate que Bret Blevins s'est occupé de toute la partie graphique (dessin, encrage couleur) et il a déclaré dans des interviews qu'il avait disposé du temps nécessaire pour pouvoir peaufiner ses pages.



Tout le long du récit, Bret Blevins dessine les personnages de manière plus classique, sans allongement de silhouette ou de visage. Dès la première page, le lecteur apprécie le soin apporté aux décors et aux angles de prises de vue, avec une complémentarité impressionnante de la mise en couleur. Au long de ces 6 épisodes, l'artiste montre donc de nombreux environnements : site de naufrage d'un vaisseau spatial (avec une forme d'humour discret dans l'agencement des décombres et des cadavres), étrange caverne d'Ali Baba pour l'orphelinat, déserts rocheux, cité lumineuse, pavillon isolé, belle plage. Il faut que le lecteur prenne un peu de recul pour se rendre compte que Blevins peut ne pas représenter d'arrière-plan plusieurs pages durant. Il ne s'en aperçoit pas forcément car même pendant ces séquences, les pages continuent à présenter un intérêt visuel. Le dessinateur fait en sorte que les personnages occupent alors la majeure partie de la surface des cases considérées, et les camaïeux de couleurs installent une ambiance qui nourrit la narration visuelle. En outre, le dessinateur varie le découpage de ses planches en fonction de la nature de la scène, avec des cases sagement disposées en rangée, ou des cases de la largeur de la page, allant jusqu'à une page compte 16 cases de taille identique, à raison de 4 cases sur autant de lignes.



Bret Blevins sait donner une présence peu commune à ses personnages. Alors que Stellar porte une combinaison moulante pendant les 2 tiers du récit, il évite d'insister sur son postérieur ou sa poitrine, mettant plutôt en avant sa force et son visage. Le lecteur retrouve un peu de l'intensité des regards qu'il y avait dans les dessins de Blevins dans les années 1985/1996. C'est encore plus flagrant sur le visage de Zenith, ce qui induit un doute dans l'esprit du lecteur qui ne sait plus trop s'il a un visage si marqué parce que c'est une expression de sa personnalité ou parce que ce sont les traits de sa race, ce qui sert fort bien le scénario. Bret Blevins réussit aussi bien les scènes d'action, fort bien rehaussées par les couleurs, que les séquences de dialogue et les scènes plus calmes. Le lecteur peut se projeter dans les environnements de science-fiction sans avoir l'impression de décors en carton-pâte, et il ressent la volonté des personnages en place. Il ne s'attend pas forcément à ce que les combats physiques aient autant d'impact, et pourtant Blevins réalise quelques cases proches du gore quand Stellar ou ses compagnons se servent de leur force augmentée.



Le lecteur se laisse donc gagner par le charme discret et sophistiqué des dessins de Bret Blevins, même si l'histoire ne lui semble pas toujours claire. Il faut un peu de temps pour qu'il s'assure de la logique temporelle d'une scène à l'autre, et qu'il n'a pas perdu le fil quand il se produit une solution de continuité. Joseph Keatinge parie sur le fait que ses lecteurs sont à même de conserver en tête les sous-entendus, à commencer par le fait que Stellar est une jeune femme qui a subi un processus la transformant en supersoldat. En effet s'il ne fait pas cet effort conscient, il n'est pas sûr qu'il comprenne ce qui la motive à se comporter de la sorte. Par ailleurs, il se produit plusieurs sauts dans le temps et dans l'espace, et là encore charge au lecteur de formuler le lien logique. Sous cette réserve, il assiste alors à la tragédie d'un individu qui a perdu sa raison d'être, car il n'y a plus de guerre à mener… sauf contre un individu qui est lui aussi tourmenté par le besoin de trouver une nouvelle raison de vivre. Considéré sous cet angle, l'histoire prend une dimension d'une rare cruauté à condition d'accepter de jouer le jeu d'imaginer le ressenti des 2 principaux protagonistes.



Ce tome constitue une belle surprise puisqu'il correspond au retour inespéré de Bret Blevins aux comics. Même s'il a abandonné les tics graphiques qui ont établi sa renommée 20 ans plutôt, il réalise des planches présentant une belle qualité esthétique, avec une narration fluide, bien équilibrée entre spectaculaire et intime. L'intrigue en elle-même nécessite une participation active du lecteur pour envisager les motivations des 2 principaux personnages, voire même une projection dans leur situation pour comprendre leurs réactions et leur comportement. En fonction de ce qu'il attend le lecteur peut prendre plaisir à de beaux visuels pour une histoire de science-fiction originale (4 étoiles), ou estimer que le parti pris narratif de Joseph Keatinge ne suffit pas pour que les personnages s'incarnent (3 étoiles).
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Glory, tome 1 - The Once and Future Destroyer

Ce tome regroupe les épisodes 23 à 28 de la série mensuelle, parus en 2012. Contrairement à ce que cette numérotation pourrait laisser penser, il s'agit du début d'une nouvelle série. Glory est un personnage inventé par Rob Liefeld en 1993 qui s'est librement inspiré de Wonder Woman pour créer une princesse guerrière. Ce personnage a connu son quart d'heure de gloire quand Alan Moore a écrit 3 épisodes de sa série, et puis elle a complètement disparu pendant 12 ans, ainsi que tout le reste du catalogue de Liefeld. En 2012 elle a bénéficié d'une nouvelle série (continuant l'ancienne numérotation), comme d'autres personnages de ce créateur : Prophet de Brandon Graham, Bloodstrike de Tim Seeley et "Youngblood" de John McLaughlin.



Sur la planète Thule, 2 races se combattent. Gloriana Demeter (surnommée Glory) naît de l'union des chefs de ces 2 races. Arrivée à l'âge adulte, elle se rend sur Terre pour aider la race humaine dans son développement ; elle y arrive pendant la seconde guerre mondiale. De nos jours, Glory semble avoir disparu de la surface de la planète. Mais Riley Barnes (une jeune femme) rêve d'elle chaque nuit depuis son enfance. Elle a décidé de se mettre à sa recherche pour retrouver une tranquillité d'esprit. Le dernier indice qu'elle a trouvé l'amène à se rendre au Mont saint Michel, à la brasserie Mornet. Sur place elle accueillie par Fabrice (un homme d'une cinquantaine d'années) qui la présente à Gloria une femme serveuse à la brasserie. Celle-ci l'amène jusqu'à Glory qui se remet d'importantes blessures. Tout peut commencer.



Dans les années 1990, Rob Liefeld devient la caricature des excès des tics de l'époque. Il dessine des individus à la morphologie délirante (toujours plus de muscles pour les hommes, de poitrine pour les femmes), ses scénarios sont creux, la personnalité de ses superhéros est inexistante, il a du mal à payer les artistes qu'il emploie. Malgré tout, il faut bien lui reconnaître une capacité impressionnante à créer des points de départ originaux pour ses séries. Même si Glory a pour point de départ l'archétype de Wonder Woman, Liefeld la modifie juste ce qu'il faut pour qu'elle devienne originale. Dans les années 2010, Rob Liefeld revient sur le devant de la scène (avec pas moins de 3 séries dans New 52 de DC Comics : Hawk & Dove, Deathstroke (qu'il reprend à partir de l'épisode 9) et Savage Hawkman (qu'il reprend également à partir du numéro 9). En parallèle il collabore avec Robert Kirkman sur The Infinite. Et il profite de ce regain de popularité pour relancer ses personnages dont Glory. La lecture de ce tome montre qu'en tant que propriétaire des droits, il a laissé une liberté totale aux créateurs.



Joe Keatinge reprend donc le point de départ : une princesse guerrière dont les origines diffèrent sensiblement de celles de Wonder Woman (pas de poupée d'argile). Il lui associe 2 personnages secondaires féminins (Riley et Gloria) et il reprend le principe des parents issus de 2 races antagonistes. Comme le laisse supposer la couverture, Glory est une guerrière qui ne s'en laisse pas conter. Il établit rapidement un lien avec Supreme (l'équivalent de Superman dans l'univers partagé de Liefeld), et c'est parti pour la découverte de ce personnage. Keatinge incorpore plusieurs éléments qui font ressortir cette série par rapport à la production habituelle de superhéros. Pour commencer, il a osé situer l'action en France, qui plus est dans un endroit touristique mais vraisemblablement peu connu des américains. Ensuite lorsque les français s'expriment dans leur langue naturelle, il n'y a pas de faute (juste une pour être honnête). Si leur français est un peu académique, en tout cas il n'est pas gauche. La deuxième particularité de sa narration est que Glory est surtout vue de l'extérieur par Riley Barnes qui la découvre. Ce dispositif permet au lecteur de se familiariser en même temps qu'elle avec le personnage principal qui conserve ainsi une grande part d'inconnu. Keatinge bâtit un récit équilibré entre affrontements très violents et incertitudes sur la nature de Glory. Il développe les actions de Glory sur la base de la dichotomie de ses origines, entre Lady Demeter (sa mère) et Lord Silverfall (son père), tout en montrant qu'elle est unique.



Cette histoire qui sort des sentiers battus bénéficie d'illustrations qui renforcent la personnalité propre du récit. Dès le début, Glory dispose d'une présence qui en impose. Elle a une haute taille, un corps massif, avec une énorme masse musculaire qui fait que ses biceps peuvent devenir plus gros que sa tête. D'un coté Ross Campbell respecte l'esprit "Liefeld", de l'autre cette morphologie particulière est justifiée par celle de son père. Cet aspect brutal permet à Campbell d'éviter de tomber dans le stéréotype de la superhéroïne aux formes de top-modèle, destinées à émoustiller le lecteur. Du coup, Glory ne s'apparente pas à un joli corps destiné à titiller les hormones masculines pour masquer un récit peu inspiré. Il a choisi une plastique plus logique que celle trop sexualisée de She-hulk. Quand Keatinge parle de princesse guerrière, Campbell ne fait pas dans la dentelle pour les combats. Ils sont gore et sanguinolents. Il dispose d'une inventivité remarquable pour créer les apparences des ennemis, avec un vrai savoir-faire pour dessiner les monstres (comme Henry et Beleszava, les 2 aides de Glory). Il apporte un soin remarquable aux tenues vestimentaires, à la fois pour les civils et pour Glory. Il n'y a qu'un seul parti pris déconcertant : il dessine le visage de Riley Barnes comme s'il s'agissait d'une enfant d'une dizaine d'années, alors que le scénario précise bien qu'elle est en âge de gagner sa vie, donc plutôt une jeune adulte.



Joe Keatinge et Ross Campbell reprennent un personnage de Rob Liefeld, à partir de zéro pour une histoire brutale qui prend au premier degré le concept de princesse guerrière. Très rapidement la référence au modèle de base (Wonder Woman) est oubliée pour un récit original qui pose les bases de la série. La personnalité des protagonistes n'est pas très affirmée, mais l'horreur des combats et la personnalité des dessins aboutissent à une histoire prenante.
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Shutter, tome 4 : All Roads

Ce tome fait suite à Shutter Volume 3: Quo Vadis (épisodes 13 à 17) qu'il faut avoir lu avant. Il comprend les épisodes 18 à 22, initialement parus en 2016, écrits par Joe Keatinge, dessinés et encrés par Leila Del Duca, et mis en couleurs par Owen Gieni.



Il y a des années de cela, Kate Kristopher a traversé une période de sa vie où elle n'avait plus goût à grand-chose, malgré la possibilité d'avoir un contrat pour plusieurs livres avec un éditeur de renom (contrat qu'elle a décliné) et le soutien d'Alain Vian. Cette dernière l'a emmenée à une soirée, où Kate s'ennuyait ferme au point de prendre une bouteille de vin sur une table pour aller la descendre en solitaire sur l'échelle incendie. Elle s'est vite rendu compte qu'elle ne pouvait même pas l'ouvrir faute de tire-bouchon, mais c'est là qu'elle a rencontré Huckleberry pour la première fois. Au temps présent, Kate Kristopher a réuni tout le monde dans le bureau de la demeure de Nero le grand-père : Alain Vian, Chris Kristopher, Le Léopard, Kalliyan Phy, le crâne Harrington avec son singe, Sandy (un chat doué de parole) et Nero. Devant cet auditoire, avec Huckleberry arrivant en retard, Kate Kristopher se lance dans l'explication des informations qu'elle a obtenues. Dans le même temps, elle pense au développement de sa relation avec Huckleberry.



Huckleberry a été le premier amour de Kate Kristopher et elles ont vécu un amour passionnel, un peu fusionnel. Il y a des siècles de cela, 7 familles ont décidé d'unir leurs efforts pour guider le développement du monde depuis les coulisses, poussant à l'expansion de certaines sociétés, provoquant la chute de certains empires, influençant le cours de leur monnaie, orientant la direction des arts. Dans le même temps, Kate pense à sa passion partagée avec Huckleberry. Puis elle évoque le fait qu'à la fin du dix-neuvième siècle l'organisation Prospero a essuyé une mutinerie menée par la famille Kristopher, tout en se remémorant les premières disputes avec Huckleberry. Dans cette relation, comme dans le passé de son père Chris Kristopher, il y a des vérités peu agréables à entendre. En ce qui concerne son père, l'organisation Prospero a été amené à construire une prison spécialement pour le détenir. À partir des renseignements qu'elle a découvert, Kate Kristopher a constitué 3 dossiers différents retraçant l'histoire personnelle du Léopard (Kalil), de Chris Christopher et Kalliyan Phy qu'elle remet pour qu'ils en prennent connaissance. À Leonis, le fils de l'impératrice supervise la remise en service de Cassius, le chat robot qui faisait fonction de réveil pour Katherine Kristopher.



À la fin du tome précédent, le lecteur avait bien senti que la dynamique du récit allait évoluer. Plusieurs membres de la famille Kristopher s'étaient retrouvés et les informations sur le groupe Prospero commençaient à s'agréger. Dans ce tome, Joe Keatinge apporte donc des informations complémentaires, et s'attache encore plus à ses personnages. Kate Kristopher semble avoir pris tout naturellement l'initiative, les autres membres de la famille s'en remettant à elle, même le grand-père. Pour autant, le scénariste ne mise pas tout sur son intrigue aux dépends des personnages. Au contraire, ceux-ci restent au centre de la narration. C'est apparent dès le premier chapitre où la relation de Kate avec Huckleberry joue à part égale avec les révélations sur l'historique de l'organisation Prospero.



Par la suite, le lecteur peut voir la conviction qui habite Kate qu'elle est la bonne personne pour mettre à bas Prospero, et que pour ce faire, elle doit rassembler les membres de sa famille. Elle n'éprouve pas de doute quant au fait de révéler à Kalil, Chris et Kalliyan les secrets de leur enfance, ne semblant pas très préoccupée des conséquences psychiques et émotionnelles. Cet aspect de sa personne est nuancé dans l'épisode 20 quand elle s'interroge sur le bienfondé de contacter Maieli qui a toujours réussi à rester en dehors des affaires de la famille Kristopher. Bien sûr, l'épisode 19 repose entièrement sur l'histoire personnelle de Kalil, Kalliyan et Chris, en train de lire leur dossier respectif. Keatinge évoque à la fois les conséquences de l'absence du père, et à la fois le manque qui ronge ledit père. Le thème de la relation au père absent revient encore avec l'arrivée de Zohra et Achebe. Cet aspect du récit apparaît comme naturel et organique, puisque la dynamique de l'intrigue repose sur les agissements en coulisse dudit père. Pour autant, le scénariste ne réduit pas cette dynamique à un simple moteur de l'intrigue. Cette dernière se déroule de manière tout aussi organique en fonction du caractère de chaque personnage.



Le lecteur a donc hâte de connaître la suite de l'histoire, la manière dont Kate Kristopher va s'attaquer à une organisation séculaire, mais aussi de retrouver la narration visuelle. Comme dans les précédents tomes, Leila del Duca modifie sa forme de dessins quand le scénario le demande. Ainsi elle incorpore des éléments pop'art pour le début des relations amoureuses entre Kate et Huckleberry pour montrer qu'il s'agit du passé. Elle reprend ces éléments pour l'arrivée de Zohra et Achebe du fait de leur propre histoire personnelle. Lors de l'épisode 20, elle réalise une dizaine de pages dans un registre ligne claire, à nouveau pour des séquences du passé relatées avec le point de vue de Chris enfant. Dans les pages en fin de tome, elle explique que dessiner à la manière de la ligne claire s'est avéré beaucoup plus difficile qu'elle ne l'avait imaginé, et que le résultat n'est pas à la hauteur des maîtres du genre dont elle s'est inspirée.



À part pour ces passages, le lecteur retrouve cette narration visuelle à base de dessins descriptifs montrant un monde original, et d'une mise en couleurs riche s'approchant de la couleur directe pour un résultat rendant compte de la richesse de la réalité. Régulièrement, son regard s'attarde sur un détail surprenant ou sympathique : la coiffure d'Alain Vian, l'étiquette de la bouteille de vin Rospo, le dossier ouvragé de la chaise sur laquelle est assise Huckleberry chez Nero, les bijoux de la préceptrice de Chris, la rive du lac où se trouve Maieli, les motifs imprimés de la jupe de Zohra, le cellier d'Ulisses. L'artiste donne corps aux différents lieux, ainsi qu'aux personnages dans une narration visuelle qui les donnent à voir en rendant compte de ce que leur apparence a de personnelle, en quoi elle découle pour partie de la biologie, et en quoi elle découle pour une partie de leur caractère. Elle le fait avec une élégance confondante qui fait que le lecteur peut très bien ne pas prêter attention à ces petits détails, voire ne pas s'en apercevoir. Il est étonnant de voir à quel point les ondulations du corps du dragon s'intègre si bien dans pentes boisées au bord du lac, au point qu'il est possible de ne pas les remarquer tout de suite.



De la même manière, le lecteur peut se contenter de prendre plaisir à la variété chromatique des cases et des pages, à la richesse visuelle de ce qu'il lit. S'il y prête un peu plus d'attention, il s'aperçoit qu'Owen Gieni accomplit également un travail d'orfèvre, avec une implication impressionnante dans les détails. Cela apparaît de manière évidente en ce qui concerne les modes de colorisation : de plusieurs couches pour les séquences au temps présent (couche unie + ombrages, plus textures) à des zones de couleurs unies lors que passage en mode ligne claire. Le lecteur note que la mise en couleurs est encore réalisée sur un mode différent pour l'évocation de l'historique de la relation entre Huckleberry et Kate. La complémentarité entre del Duca et Gieni se fait sans solution de continuité : que ce soit pour le changement de style, pour l'épisode 19 où chaque page comprend 3 fils narratifs, chacun d'une couleur différente, ou pour des détails minutieux (par exemple quand Gieni reprend à la peinture le motif du chemisier de Zohra qui n'est plus encré). Le lecteur est épaté par la manière dont Owen Gieni donne l'impression que les livres dans la bibliothèque de Nero sont différents, simplement par les variations de nuance de la mise en couleur, ou comment le rouge des robes des membres de Prospero passe progressivement au rouge sang lors d'un combat violent.



Le lecteur se retrouve donc complètement immergé par une narration visuelle aussi élégante que sophistiquée et discrète. Grâce à elle, il passe sans effort d'une ligne temporelle à une autre, sans perdre le fil, sans buter sur l'identification des personnages ou des lieux. Il reprend le fil de cette jeune femme qui découvre peu à peu qui était vraiment son père, le genre de vie qu'il a mené, la manière dont il s'est rebellé contre le milieu dans lequel il a grandi, l'étrange paradoxe que furent ses relations avec ses enfants, entre abandon et amour, à nouveau dicté par des circonstances qu'il ne pouvait pas maîtriser. Cette dimension du récit peut être considérée comme sous-jacente, mais elle fait partie intégrante de l'intrigue, en faisant une histoire parlant aux adultes. Ces derniers sourient en comprenant que le récit s'achemine vers une confrontation finale de grande ampleur où l'héroïne va mettre à mal l'organisation séculaire. C'est qu'il n'a pas bien saisi la fibre adulte du récit et la surprise en fin de tome le laisse sans voix.



Ce quatrième tome confirme l'excellence de cette série : que ce soit pour l'épaisseur des personnages, l'inventivité des dessins, la consistance de l'intrigue, la sophistication de la narration visuelle.
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Shutter, tome 3 : Quo Vadis

Ce tome fait suite à Shutter Volume 2: Way of the World (épisodes 7 à 12) qu'il faut avoir lu avant. Il comprend les épisodes 13 à 17, initialement parus en 2015, écrits par Joe Keatinge, dessinés et encrés par Leila Del Duca, et mis en couleurs par Owen Gieni.



Une collection de souvenirs sous forme de photographies, toutes ayant comme objet Kate Kristopher à différents âges de sa vie. En consultant ces photographies, Kate Kristopher écrit sur des feuilles volantes, constatant qu'elle ne se souvient de rien, qu'il ne lui reste rien de ses souvenirs, de ses envies, de ses rêves, de ses amours. Elle est interrompue par le serveur qui vient lui demander ce qu'elle veut. Elle est prise au dépourvue, n'ayant aucune idée de ce qu'elle veut, faute de souvenirs. Elle jette un coup d'œil au palais de l'autre côté de ce canal de Venise où elle est assise en terrasse. Sœur Montesi la rejoint et s'assoit à sa table, se moquant de son accent italien. Kate Kristopher évoque son état d'amnésie. Elle propose à sœur Montesi de lire ses notes pour voir si elle y décèle quelque chose. À la table d'à côté, un enfant commence à regarder fixement Kate, avant d'en être dissuadé par ses parents. Dans la demeure de famille, Alain Vian reçoit un appel du squelette Harrington lui indiquant qu'un tricératops a occasionné du retard dans les trains. Il recommande à Alain Vian de mettre de côté ses différends avec Kate pour la retrouver au plus vite. À Venise, sœur Montesi reconduit Kate Kristopher à leur hôtel en la guidant dans un dédale de ruelles. Elles ne s'en rendent pas compte, mais elles sont suivies par un individu encapuchonné se faisant appeler Léopard.



Arrivées à l'hôtel, elles se séparent sur le palier, chacune rentrant dans sa chambre. Kate Kristopher va chercher son véritable journal sous une latte située sous son lit. De son côté, sœur Montesi actionne un mécanisme en forme de crâne ce qui ouvre une porte magique par laquelle s'introduit un membre de l'organisation Prospero. Il l'informe que la reine rouge a trouvé ce qu'elle cherchait dans les souvenirs de Kate et qu'elle peut donc l'exécuter. Le mur séparant les 2 chambres vole en éclat et Kate peut voir une silhouette encapuchonnée penchée sur les corps éventrés et réduits en bouillis de sœur Montesi et de son interlocuteur. Léopard l'enjoint de le suivre. Dans la demeure familiale, Alain Vian et Harrington sont en train de se disputer quant à la marche à suivre. Une jeune femme fait son entrée dans la pièce et propose son aide pour retrouver Kate : madame Huckleberry. Pendant ce temps-là, Kate et Léopard fuient sur les toits de Venise. Ils doivent s'arrêter quand ils se rendent comptent que des silhouettes en robe rouge apparaissent tout autour d'eux.



Le tome 2 de la série avait proposé une aventure échevelée commençant à en dévoiler plus sur la famille de Kate Kristopher et sur son enfance, avec des passages visuels fort inattendus comme un hommage à Little Nemo in Slumberland de Windsor McCay et un autre à plusieurs strips comme Peanuts, Garfield ou encore Calvin & Hobbes. Très rapidement, le lecteur se rend compte que la narration visuelle n'a rien perdu de sa richesse. La première double page consiste en une quinzaine de facsimilés de photographies comme jetées pêle-mêle sur une table. Quelques pages plus loin, le lecteur admire un palais de l'autre côté d'un canal représenté dans une double page. Tout du long de ces 5 épisodes, le lecteur détaille et apprécie des visuels riches et surprenants : la décoration et les objets dans le bureau de travail de la demeure familiale, les toits de Venise, l'attirail de madame Huckleberry évoquant celui de Calamity Jane, 2 pages d'action dessinées à la manière d'un manga en noir & blanc, des pointillés en rouge figurant le parcours à suivre sur les toits de Venise pour rejoindre un canot à moteur permettant de fuir, le magnifique jardin de la demeure de Nero, la cité fortifiée de Leonis, le squelette royal livré à Leonis. Il se frotte les yeux quand la narration visuelle montre une page en train d'être dessinée à l'infographie, puis le comics la comprenant être empaqueté pour être envoyé par le distributeur au point de vente, pour être enfin lu par une jeune femme dans son salon. Ce passage correspond à une hallucination de Kate Kristopher provoquée par de la consommation de peyotl dont les effets psychotropes lui font prendre conscience d'un autre niveau de réalité.



Le lecteur n'est pas revenu que pour l'expérience visuelle, mais aussi pour l'intrigue. Il retrouve Kate Kristopher dans une situation qu'elle ne maîtrise pas, en apparence sereine, mais en réalité bien consciente d'être manipulée. L'organisation clandestine Prospero continue ses manigances, sans qu'il soit possible d'en deviner les motifs. Mais l'intrigue prend une autre direction. L'histoire de la famille Kristopher reste au centre des aventures de Kate. Elle rencontre donc son grand-père Nero qui lui dit franchement ce qu'il pense de son fils, c’est-à-dire le père de Kate. Elle apprend qu'elle fait partie d'une fratrie de 7 frères et sœurs. Une fois réglé le problème de sa mémoire, elle bénéficie d'un apport d'informations dispensées par son grand-père par une méthode peu conventionnelle, puis elle reprend sa mission : retrouver son petit frère Chris. Joe Keatinge conserve la même forme narrative : une suite d'aventures hautes en couleurs : explosion, course-poursuite, affrontements physiques, usage d'armes à feu, combat à l'arme blanche. Le lecteur constate qu'il ne s'agit pas d'un récit à destination d'un jeune public : usage de substances psychotropes, blessures avec du sang qui coule, et même un coup de poing assez brutal pour arracher une tête avec une partie de la colonne vertébrale, et la projeter à plusieurs mètres. Dans le même temps, il ressent comme une ambiance de conte de fées : squelette qui parle, animaux anthropomorphes dotés de conscience et doués de parole, cité maritime aux impressionnantes fortifications, salle du trône monumentale. Il est sensible à quelques touches d'humour visuel comme cette boule de cristal d'un mètre de diamètre, affichant le message Image non disponible.



Le lecteur retrouve des personnages tout aussi hauts en couleurs, et en découvre de nouveau tout autant remarquables. Le lecteur se souvient bien de Kate Kristopher, avec ses yeux un peu plus grands pour rendre son visage plus expressif. Alain Vian est toujours aussi chic, que ce soit sa coiffure sophistiquée, ou ses tenues vestimentaires aux couleurs vives et aux motifs pop. Madame Huckleberry s'inscrit tout de suite dans la mémoire du lecteur grâce à son costume qui évoque celui de Calamity Jane. Harrington est bien sûr inoubliable du fait de sa morphologie très particulière et son habit royal magnifique. Comme dans les tomes précédents, ce monde abrite des animaux anthropomorphes dotés de conscience et de parole. Le lecteur commence par voir la famille attablée avec des têtes de chèvres, puis une sorte de stégosaure à Rome, avec sa queue à épine formant une queue de cheval, pour arriver à la hyène qui pilote le vaisseau du lion Shaw. Leila Del Duca s'amuse bien à donner de la consistance à la salle du trône sur Leonis, avec une influence de la Rome antique.



Au bout de quelques pages, le lecteur est entièrement conquis par la qualité de la narration visuelle, et par l'inventivité des images, à la fois pour les personnages et pour les différents environnements. La qualité du divertissement le transporte dans ces mondes imaginaires, même s'il n'arrive pas forcément à intégrer les différents fils narratifs dans une trame cohérente. Comment ne pas être charmé en découvrant Nero en train de mettre la dernière main à une robe de haute couture ? Le lecteur parvient à assembler quelques pièces du puzzle, à commencer par le fait que Kate Kristopher appartient à une famille comptant 7 enfants et que les découvertes de son père attisent les convoitises de plusieurs factions. Il se rend également compte que les situations hautes en couleurs recèlent à plusieurs reprises des réflexions qui dépassent le simple papotage. Il en va ainsi de Kate Kristopher prenant conscience de ce qu'induit son absence de souvenir (c’est-à-dire une absence d'identité allant jusqu'à ne pas avoir de préférences culinaires), ou encore la révélation de qui manipule le destin de la famille Kristopher avec cette façon de briser le quatrième mur.



Le lecteur est venu pour retrouver l'intrépide Kate Kristopher au caractère bien trempé. Il replonge avec plaisir dans ce monde riche en inventivité visuelle, pour de nouvelles aventures dans des lieux exotiques. Il en apprend plus sur la famille Kristopher, et il découvre les tensions régnant dans la famille de Shaw. Il regarde avec les yeux grands ouverts à la fois les personnages, à la fois la cité de Leonis. Il se rend compte que les narrateurs ont une ambition qui dépasse la simple suite d'aventure, à la fois pour des remarques sur l'existence, à la fois pour des métacommentaires complexes dans leur exécution.
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Glory

J’ai entendu parler de ce comic totalement par hasard, et sans rien connaitre de la série originelle, je me suis laissée embarquée dans cette lecture haute en couleurs. Car d’après ce que j’en ai compris, il s’agit d’une réecriture du comic originel, qui serait assez proche de Wonder Woman. Impossible pour moi de faire la comparaison donc. Mais il faut reconnaître que l’hommage est assez présent, presque frustrant, surtout dans l’évocation trop rapide de personnages dont on devine l’importance (notamment les sœurs de Glory, Henry, ou Gloriana, enveloppe charnelle de Glory lorsqu’elle intervient sur Terre), mais qui restent hélas sous-exploités. Ce n’est heureusement qu’un des rares points faibles de ce comic.

Entre flash-backs et récit présent, lié au personnage de Riley, l’histoire réussit à se concentrer pleinement sur le personnage de Glory, et les enjeux autour de sa nature même dans un monde en guerre perpétuelle, pour fournir une histoire très cohérente avec son lot d’enjeux. On participe à tous les états de cette formidable guerrière : ses victoires, sa gloire, puis ses faiblesses et ses doutes, en vue d’un assaut final et désespéré dont dépend le sort de plusieurs mondes. La thématique d’un être déchiré entre ses deux origines (amazone et démoniaque) est on-ne-peut-moins originale, mais c’est plus la thématique du monstre, a fortiori crée de manière raisonnée, résultant de cette fusion, qui est largement développée. Les Amazones et les démons ne sont guère exploités, mais j’ai apprécié d’entrevoir la complexité de leurs motivations, à travers le point de vue de quelques personnages. La plupart des personnages secondaires sont très correctement développés, au moins pour qu’on s’attache à eux le temps du récit.

Il est également très appréciable de suivre les aventures de Glory, et également de Riley, deux femmes hors-normes, dans le sens où elles se démarquent largement des carcans habituels associés aux personnages féminins.

La thématique familiale est également très présente, et sert de fil conducteur à l’histoire, tant on découvre petit à petit les membres de l’étrange famille de Glory, et leurs véritables motivations. Leurs relations tendues se démêlent, les ennemis deviennent alliés, et la fin du récit permet véritablement à un nouveau départ. La relation, quoique trop brièvement évoquée, entre les sœurs est particulièrement réussie.

La dernière partie du comics est également très belle, toute en émotions et souvenirs d’une vie beaucoup trop longue.

Pour le dessin, la part belle revient aux couleurs pop, avec une sympathique dominante de violet. Le contraste entre certaines scènes inondées d’obscurité, et d’autres dessinées dans une dominante de blanc est vraiment superbe. Le dessin est beau, les planches fourmillent de détails, les personnages ont une vraie présence graphique. Les scènes d’action sont fluides et très rythmées. Beaucoup de scènes sont toutefois assez gores, mais jouissives.

Un petit point noir : l’épilogue, très énigmatique, que je pense lié en partie à la série originelle.

En bref, une très bonne lecture, malgré un récit un poil condensé, mais vraiment réussi.

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Shutter, tome 1 : Errance

Ce tome constitue le début d'une nouvelle série indépendante de toute autre. Il contient les épisodes 1 à 6, initialement parus en 2014, écrits par Joe Keatinge, dessinés et encrés par Leila del Duca, mis en couleurs par Own Gieni, avec un lettrage d'Ed Brisson.



L'histoire commence par un retour dans le passé quand Kate (diminutif de Katheryne) avait 7 ans et que son père l'avait emmenée sur la Lune comme cadeau d'anniversaire. De nos jours elle n'a pas envie de se lever. Il s'agit d'une jeune femme de 27 ans, son chat robot (appelé plus tard simplement Chat) l'admoneste et la taquine gentiment. Elle ouvre les rideaux, dehors des individus étranges (dont des animaux anthropomorphes) circulent.



Bon gré, mal gré, elle s'habille et se rend sur la tombe de son père Chris Kristopher pour l'anniversaire de sa mort. Chemin faisant, elle appelle sa colocataire Alain (une femme). Dans le cimetière elle est attaquée par 3 fantômes ninjas roses, puis par 3 rats anthropomorphes, et enfin par un gros robot mécanique rondouillard appelé Harold. C'est le début d'une étrange cavale où il est beaucoup question de son père, et de ses enfants cachés.



Depuis le début des années 2010, l'éditeur Image Comics a pris de l'ampleur (grâce au succès de la série "Wlaking dead", entre autres) et est devenu l'éditeur de choix pour les séries indépendantes les plus diverses. En ouvrant "Shutter", le lecteur ne sait pas à quoi s'attendre, il découvre les règles du jeu au fur et à mesure. Joe Keatinge commence par une scène merveilleuse sur la Lune, où une jeune enfant bénéficie d'un spectacle (la Terre sur un fond étoilé) exceptionnel. Puis il enchaîne avec un réveil difficile dans un monde de légère anticipation (les capacités du robot Chat), et peuplé d'individus merveilleux. Toutefois, Kate prend le métro aérien, un moment très ordinaire (malgré les passagers).



La suite comprend plusieurs séquences d'action, l'apparition de personnages toujours plus improbables et sympathiques (le serviteur squelette en tenue habillée), la rencontre avec son petit frère, et quelques souvenirs sur sa vie passée. Joe Keatinge rend tout cela très original. Il faut dire qu'il a choisi une femme comme personnage principal, qu'elle n'a rien d'une cruche, qu'elle sait se débrouiller dans les situations dangereuses. Elle est un peu râleuse, un peu moqueuse, un peu fonceuse, et elle refuse de se laisser marcher sur les pieds ou de s'en laisser conter.



Le scénario bénéficie de la mise en images très convaincantes de Leila del Luca, étoffée avec soin par la mise en couleurs d'Owen Gieni. Dès les premières images, le lecteur est séduit par une apparence riche et foisonnante, de très belles couleurs rehaussant toutes les formes. Gieni bâtit des compositions chromatiques très élaborées. Il adapte sa palette à chaque séquence, en particulier pour rendre dompte de la luminosité. Pour autant, il n'a pas choisi de décliner une teinte dominante en plusieurs nuances. Il utilise une palette large pour que chaque élément ressorte, soit une entité graphique à part entière.



De plus, il introduit des variations de nuances dans chaque forme pour rendre compte de sa texture. Il est possible d'en trouver des exemples dans chaque page. Lorsque Kate ouvre ses rideaux, elle contemple un paysage urbain, sous un soleil radieux. En regardant les plantes à l'extérieur, le lecteur constate qu'Owen Gieni a utilisé différentes teintes de vert pour différencier chaque essence de plantes. Pour chacune, il utilise des nuances dans la teinte de vert pour rendre compte de la surface irrégulière du feuillage, et des reflets de la lumière.



Quelques pages plus loin, la scène se déroule dans une pièce avec du parquet. La dessinatrice a représenté le parquet avec de grands traits fins délimitant rapidement les lames. Gieni a souligné chaque trait d'un fin trait blanc pour évoquer la limite entre chaque latte et l'imperceptible différence de niveau de l'une à l'autre. Il a également utilisé la couleur pour évoquer la texture du bois, sans se substituer pour autant à l'encrage. Encore plus loin, le lecteur peut contempler la peau d'une créature en forme de dragon, et apprécier le jeu de lumière sur sa forme, tout en nuances (sans effet de miroir basique).



Le travail d'Owen Gieni est d'autant plus remarquable qu'il n'écrase pas les dessins de del Luca. Cette dernière combine des dessins descriptifs détaillés, avec des traits un peu rapides, un peu lâches. Elle réussit à réaliser des images denses en information visuelle, sans rien perdre en spontanéité. Les traits d'encrage utilisés pour détourer les formes peuvent être soit très fins, soit très épais, encore alourdis par les ombres portées. Cette façon d'utiliser l'encrage combine une approche détaillée, et une mise en avant des éléments les plus importants dans la composition, tout gardant une impression de spontanéité.



Chaque page et chaque élément visuel impressionnent par la dextérité avec laquelle la dessinatrice arrive à amalgamer des composantes hétérogènes. Elle peut aussi bien intégrer un aménagement détaillé (avec fauteuils, canapés, tapis, tableaux au mur, etc.), que des personnages loufoques (ces fantômes ninjas roses, ou ce robot rondouillard), avec des êtres humains aux expressions justes et aux visages remarquables (Général, la nounou de Kate).



Leila del Lucia sait donner une unité visuelle à des composantes très disparates, avec un léger parfum humoristique discret. Du coup, le lecteur reste un peu interloqué quand il découvre une scène de carnage dans laquelle le sang coule à profusion. Il finit par s'interroger sur la composante majoritaire du récit. Pas facile de choisir entre l'aventure bon enfant, le récit fantastique avec des créatures anthropomorphes, l'anticipation avec un robot rondouillard aux relents victoriens, l'héritage paternel à supporter par Kate qui ne parle jamais de sa mère.



Du fait du nombre important d'éléments divers et de la dextérité narrative visuel, le lecteur passe un très bon moment de lecture, à haute teneur en divertissement (impossible d'oublier l'ornithorynque et son télécopieur). Il apprécie également que Joe Keatinge réussisse à déjouer les clichés habituels, pour les soumettre à sa narration, à créer une héroïne aussi attachante, sans être parfaite. Il s'interroge sur la direction principale du récit (impossible à identifier), mais il sait qu'il reviendra pour le tome 2, du fait des mystères en suspens et l'inventivité du récit.
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Ringside Volume 1

Ce tome est le premier d'une nouvelle série indépendante de toute autre. Il comprend les épisodes 1 à 5, initialement parus en 2015/2016, écrits par Joe Keatinge, dessinés et encrés par Nick Barber, avec une mise en couleurs réalisées par Simon Gough.



Au Japon, Daniel Knossos, un ancien catcheur professionnel, informe l'entraîneur Keita qu'il doit retourner aux États-Unis, pour s'occuper d'une affaire personnelle. Il atterrit à San Francisco et commence par appeler Davis, un ancien ami, toujours entraîneur de catch. Davis s'occupe de la carrière du jeune Reynolds un jeune homme qui souhaite percer dans le milieu du catch professionnel, mais qui reste souvent sur le banc de touche, faute d'être intégré dans le programme de la fédération. À l'aéroport, Dan Knossos est réceptionné par Andre Aligreti, le propriétaire d'une agence de caution (bail bonds) qui emploie Terrance comme cautionnaire, lui aussi un ancien catcheur. Knossos fait comprendre de manière tranchée, à Aligreti, qu'il est hors de question qu'il réendosse son costume de Minotaure, le nom sous lequel il se produisait en tant que catcheur professionnel, et qu'il ne veut pas non plus que son effigie serve de support à des produits de merchandising. Ensuite, il se fait déposer en voiture par Aligreti devant un petit pavillon en banlieue.



Daniel Knossos est accueilli par Amy, une ex-marine, un ancien compagnon de régiment de Knossos. Cette femme a été blessée et ne se déplace plus qu'en fauteuil roulant. Autour d'une bonne bière, Knossos lui explique qu'il est revenu suite à un appel désespéré de Teddy, son ancien ami. Il se rend ensuite à son rendez-vous avec Davis, dans un diner, et ce dernier lui présente Reynolds. Le petit jeune présente ses respects à Knossos, et ils parlent un peu boutique. Knossos décille Reynolds sur sa situation professionnelle, en lui expliquant qu'il n'y a pas beaucoup d'avenir dans le métier du catch. Après ce repas, Knossos se rend dans le bar fréquenté par son pote Teddy. Après un ou deux verres, il est interpelé par un individu se faisant appeler Eduard, et se disant envoyé par Teddy qui a eu un empêchement. Knossos le suit dans la ruelle à l'arrière du bar, et il se fait tabasser par un groupe de gugusses qui l'attendaient, dont Eduard maniant une énorme clef anglaise. Il dérouille sévèrement.



Ce tome se termine avec une interview de 4 pages dans laquelle les auteurs répondent à des questions sur leurs motivations et leurs intentions. Ils expliquent qu'ils sont tous les deux des fans de catch et que de nombreux catcheurs professionnels sont également des lecteurs de comics. Joe Keatinge souligne que ce projet lui trottait dans la tête depuis une dizaine d'années, mais qu'il avait à cœur de réaliser un récit qui rende compte de la réalité des espoirs professionnels de catcheurs de métier. Comme le titre l'indique, il ne s'agit pas d'un comics sur les combats des catcheurs des grandes fédérations américaines comme la WWE (World Wrestling Entertainment), mais d'une histoire qui met en scène la vie de catcheurs en dehors du ring. En outre, l'histoire met en scène plusieurs (ex)catcheurs à différentes étapes de leur vie.



Avant tout, Joe Keatinge a bâti une histoire : celle d'un catcheur à la retraite (une trentaine d'années) qui revient à San Francisco pour répondre à une demande d'aide de la part d'un ancien compagnon. Daniel Knossos tombe dans un traquenard et se fait méchamment tabasser, malgré sa corpulence d'ancien catcheur. Il décide de se venger et retrouver son pote malgré les obstacles. Il adopte le seul comportement qu'il connaisse, à savoir jouer un personnage ce qu'on lui a appris dans la fédération de catch. Il va donc essayer de récupérer une arme, de se conduire en gros dur et d'affronter frontalement les problèmes pour triompher par la force. Le lecteur voit venir ça gros comme une maison : Daniel Knossos va se transformer en redresseur de torts sévèrement burné, les criminels de tout poil vont en prendre plein la gueule et il va sauver son compagnon des griffes d'individus affreux et méchants. Dès la fin du premier épisode, le lecteur tombe de haut car la stratégie enfantine, infantile et naïve de Daniel Knossos se heurte à des individus mieux préparés que lui, ayant plus d'expérience en la matière et le recevant comme il se doit. Pire encore, il n'arrive pas à mettre la main sur une arme digne de ce nom, pas une arme à feu, et même pas un taser (dont il ne sait en fait même pas se servir).



Dans un premier temps, le lecteur est un peu décontenancé par le choix du dessinateur. Il ne construit pas ses cases de manière à maximiser la tension combative ou la force des coups. Il ne dramatise pas à outrance les scènes d'affrontement physiques. Il ne se complaît pas dans une description clinique des chocs et des blessures. Nick Barber détoure les formes avec un trait de crayon de largeur constante. Il n'arrondit pas les contours, mais inclut de petits segments droits et des angles pour briser les lignes. Ce choix de mode de détourage rend compte d'un environnement heurté, et de personnages plus bruts de décoffrage, qui ne sont pas là pour faire joli. Par opposition à une approche plus réaliste, l'artiste simplifie un peu le contour des formes, et ne surcharge pas les surfaces en trait à l'intérieur. Il ne s'attache pas rendre compte des différentes textures. Il utilise plutôt des aplats de noir aux contours irréguliers, à nouveau pour rendre compte d'une réalité comportant une part d'ombre.



Le dessinateur prend soin de donner une carrure imposante à tous les catcheurs et ex-catcheurs, tout en différenciant celle de Reynolds qui a encore du travail à faire pour atteindre une musculature imposante. Chaque protagoniste dispose d'un visage qui le rend aisément reconnaissable, sans tomber dans la caricature. Il n'y a que Davis qui soigne un peu plus son apparence, avec un joli bouc bien taillé. Au fil des pages, le lecteur se rend compte que l'artiste s'attache à montrer les ex-catcheurs dans des postures attestant de leur forte masse musculaire, et de leur poids. Il dessine également les tenues vestimentaires de manière simplifiée (sans représenter les boutons par exemple), tout en dotant ses personnages d'habit en cohérence avec leur position sociale, ou leur métier. Il applique également le principe de simplification aux décors, tout en prenant soin de conserver assez d'éléments visuels pour différencier chaque endroit. Dans le même ordre d'idée, il fait en sorte de rendre compte de la volumétrie des pièces pour alimenter le niveau descriptif.



Le lecteur apprécie également que Nick Barber construise des plans de prise de vue pour limiter le nombre de cases avec uniquement des têtes en train de parler. Il montre les gestes des personnages, ainsi que les changements de posture en fonction de leur état d'esprit, en réaction à ce que disent leurs interlocuteurs. Le lecteur osberve l'assurance de Daniel Knossos. Il voit que Davis est plus circonspect et observe les circonstances avant de réagir. Il ressent l'enthousiasme de Reynolds. Il ressent un choc en voyant la dégradation physique de Terry. Il remarque que l'assurance de Terrance est d'une autre nature que celle de Knossos, qu'il est beaucoup plus posé et réfléchi. Effectivement, à la fin du premier épisode, l'assurance de Knossos a volé en éclat, et le lecteur comprend que le personnage principal n'a aucune idée de comment s'y prendre pour agir afin de venir en aide à Terry.



Dans l'interview de fin, les auteurs expliquent également qu'ils ont tenu à ce que le récit soit intelligible pour des personnes ne s'étant jamais intéressées au catch. Comme le titre l'indique, le sujet de la série ne porte pas sur les combats, et il n'est pas fait référence au nom des prises, ou aux techniques utilisées sur le ring. Le seul mot vraiment technique est celui du titre Kayfabe ce qui renvoie à une convention narrative qui veut que le catcheur reste dans son personnage. Effectivement, au début du récit, Daniel Knossos reste dans son personnage du Minotaure. Il revient pour sauver son pote. Il joue au gros dur. Après le premier échec que constitue le passage à tabac, il cherche à s'approprier une arme à feu, puis faute de mieux un taser, pour régler leur compte aux membres du gang. Il va de déconvenue en déconvenue, car la vie réelle ne suit pas un script préparé à l'avance, les règles du jeu ne sont pas celles d'un ring et les autres comprennent mieux que lui ce qui se passe. Le scénariste prend le contrepied de de ce que supposait le lecteur, en faisant de Daniel Knossos, un individu particulièrement inefficace dans son entreprise de sauvetage, malgré sa force physique. Alors même qu'il n'y a qu'un seul personnage féminin (mais Keatinge a indiqué qu'il y en aurait plus par la suite), le récit démonte les clichés de virilité et de force physique.



Les auteurs ne se contentent pas de mettre en lumière qu'il ne suffit pas à Daniel Knossos de rester en personnage. Ils mettent donc en scène plusieurs hommes à des stades différents dans leur relation professionnelle avec le métier du catch. Cela leur permet d'évoquer différents stades de la carrière d'un catcheur, son espérance de progression, sa chance de devenir célèbre, le prix à payer après coup pour une mise en condition physique très particulière, et même les conséquences d'une mauvaise blessure. À l'opposé d'un récit construit pour parler d'un sujet sous couvert d'une intrigue en toc, les observations sur le monde du catche sont générées de manière organique par la nature de l'intrigue, par le fait qu'elle se déroule dans ce milieu.



Arrivé à la fin de ce tome, le lecteur est conquis et il sait qu'il reviendra pour le deuxième. Il a apprécié une intrigue qui va à l'encontre du justicier solitaire redressant les torts à grands coups de poing. La narration graphique participe à montrer que ce n'est pas ce genre de récit, et que les personnages évoluent dans un monde complexe peu clément. Le personnage principal ne peut plus se contenter d'être kayfabe. Il doit faire un effort conscient pour rétablir la réalité par rapport à la fiction qu'était son personnage de catcheur. Le thème principal est énoncé par une femme (Amly) qui lui suggère de se comporter comme un adulte.
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Shutter, tome 2 : Way of the World

Ce tome fait suite à Wanderlost (épisodes 1 à 6) qu'il faut avoir lu avant. Il contient les épisodes 7 à 12, initialement parus en 2014/2015, écrits par Joe Keatinge, dessinés et encrés par Leila del Duca, avec une mise en couleurs d'Owen Gieni.



À New York Miss Vian et Mister Baccano sont en train de se disputer du fait de l'absence de Kate Christopher. Celle-ci est train de se battre contre des monstres en bord de l'océan, en essayant de protéger son petit frère Chris qu'elle vient de rencontrer il y a peu. Quelques temps plus tard, ils se retrouvent à Angkor Vat au Cambodge, face à une certaine Kalliyan Phi.



Kate Kristopher va se retrouver face à l'équipe un peu décalée apparue dans le tome précédent : Général, Harold le robot, Darren & Rickey les 2 crocodiles, et les autres. Elle apprend ce qu'est l'organisation Prospero, ainsi que le lien de parenté qu'elle partage avec Kalliyan Phi. C'est également le début d'un nouveau voyage.



Le lecteur avait pu apprécier le caractère de Kate Kristopher dans le premier tome, ainsi que la richesse de l'environnement dans lequel elle évolue, et une intrigue entretenant l'action tout en ménageant le suspense. C'est donc avec plaisir qu'il retrouve le monde illustré par Leila del Duca. Cette dessinatrice fait coexister des choses visuellement très différentes et peu compatibles. L'épisode 7 commence par un dessin en double page montrant une équipe d'ouvriers du bâtiment en train de mettre la dernière main au revêtement de façade, et en premier plan un individu à 4 bras et avec la peau rocailleuse les dirige. Une fois la page tournée, le lecteur se retrouve en face d'une belle blonde, un peu mince, dans une robe d'un joli violet, dont chaque centimètre carré de peau est recouvert de bandelettes.



Tout au long du récit, l'artiste s'amuse à donner des apparences singulières à des personnages singuliers (les crocodiles anthropomorphes ou le robot steampunk), sans les rendre mignons, avec un réel niveau de détails, qui leur permet de dépasser l'état de stéréotype visuel. Le lecteur apprécie de pouvoir côtoyer ces personnages hauts en couleurs qui donnent une saveur unique au récit, entre conte farfelu et monde décalé. Il y a donc une forme d'onirisme dans ces aventures qu'il n'est pas possible de prendre totalement au sérieux. Les auteurs en rajoutent une couche (ou confirment cette intention) avec le début de l'épisode 11 qui est dessiné à la manière de Windsor McCay, en hommage à Little Nemo.



Avec ces 2 pages en hommage à McCay, Leila del Duca prouve d'une autre manière ses compétences de dessinatrice, ainsi que par le début de l'épisode 8 qui comprend des parodies d'autres comic-strips comme Peanuts, Garfield ou encore Calvin & Hobbes. Le lecteur identifie immédiatement la source des pastiches, sans qu'il ne s'agisse de simples décalques. Le scénario promène les personnages dans des endroits variés, avec souvent des éléments fantastiques. Là encore, la dessinatrice se montre à la hauteur pour leur donner de la consistance et de l'originalité, que ce soit la vue depuis les terrasses du temple, la chambre rouge de l'organisation Prospero, ou cette étrange planète où se trouve Harold Rahtborn, l'arrière-arrière-arrière grand-oncle de Kate. Le lecteur français peut observer le sérieux de l'artiste dans la vue de la Tour Eiffel pour l'exposition universelle de 1889 qui est positionné de manière correcte par rapport à la Seine.



Dans ces différents lieux, et pour les personnages exotiques, le lecteur apprécie une nouvelle fois la qualité du travail de mise en couleurs réalisés par Owen Gieni. S'il est vraisemblable qu'elle soit réalisée à l'infographie, elle apparaît comme étant réalisée à la peinture, parfois à l'aquarelle. Ce choix lui permet de rehausser les volumes, de conférer une forme de texture irrégulière aux surfaces, et de rendre compte de la luminosité. Le résultat est à l'opposé du clinquant des couleurs informatiques, avec une ambiance chaude et nuancée remarquable.



Leila del Duca dessine Kate Kristopher comme une femme élancée, en évitant de la réduire à un objet sexuel. Elle présente bien une morphologie féminine mais sans les exagérations caricaturales habituelles des comics. Il en va de même pour les autres personnages féminins du récit, Alain (la colocataire de Kate) et Kalliyan Phi. Cette représentation du personnage ajoute encore à ses caractéristiques en tant qu'individu. Le scénariste en fait bien le personnage principal du récit, autour duquel s'articulent l'intrigue et la majeure partie des séquences. Néanmoins Kate Kristopher ne se conforme pas au code moral générique des héros de fiction. Pour commencer, elle ne fait pas preuve d'un altruisme à toute épreuve. Ensuite, elle ne souhaite pas à tout prix poursuivre l'aventure. Ces histoires de société secrète, de père frivole et de dimension étrangère, ça ne la passionne pas plus que ça. Elle n'a pas non plus un très bon caractère.



La première fois ça surprend : une héroïne qui ne se laisse pas faire, et qui n'hésite à protester, à râler, voire à frapper ses interlocuteurs, aux méthodes plus ou moins polies. Kate Kristopher ne se laisse pas faire, elle n'est pas là pour servir de pion aux autres, qui qu'ils puissent être. Joe Keatinge a l'intelligence de ne pas systématiser cette réaction qui ainsi ne perd pas son potentiel de surprise. En face d'elle, les réactions de Kalliyan Phi déstabilisent également le lecteur, mais pour une autre raison qu'il vaut mieux découvrir par soi-même. Parmi les principaux personnages, il faut aussi évoquer le robot chat de Kate. Dans ce deuxième tome, il choisit par lui-même son nom (Kate avait omis de lui en donner un précédemment), en trouvant l'inspiration dans Jules César de William Shakespeare. Keatinge s'amuse aussi avec l'apparence de la tête de Cassius, peut-être le seul faux pas de la dessinatrice, quant au résultat.



Les auteurs savent également mettre en scène un enfant de manière naturelle, à la fois dans son comportement, dans son langage et dans ses remarques. Chris Kristopher (un jeune frère de Kate) ressemble à un enfant, adopte des postures d'enfant, et va jouer avec Chendra, une copine. Ils montrent l'antagonisme immédiat et durable entre Kate et Kalliyan, à la fois dans leurs motivations et dans leur convictions (en particulier le recours à la violence, à titre défensif ou préventif).



Séduit par la personnalité de Kate Kristopher, le lecteur la suit dans ses tribulations peu banales, dont elle est plus le jouet qu'elle ne les maîtrise. Joe Keatinge construit son histoire sur le mystère de l'histoire du père de son personnage, qui il était vraiment, à quoi a-t-il participé et quel rôle il a laissé à sa fille. L'héroïne rencontre donc de nouveaux personnages qui vont soit essayer de l'utiliser pour son patrimoine génétique, soit lui apprendre des informations sur son père. L'intrigue comporte un bon niveau de suspense sur la situation au sein de laquelle évolue Kate Kristopher, ainsi que des révélations toujours inventives.



Par la force des choses, le mécanisme narratif de ce genre de récit repose sur un complot caché, d'une ampleur plus ou moins importante. Joe Keatinge n'y va pas par 4 chemins et dévoile une machination de grande ampleur, née avec les premières civilisations humaines, et incarnée par l'organisation clandestine Prospero. Le lecteur reconnaît là aussi l'intelligence de Keatinge, dans la mesure où il évite le cliché de l'organisation clandestine qui souhaite se rendre mettre du monde, par le biais de forfaits abominables, appliquant l'aphorisme que la fin justifie les moyens. Là encore, le lecteur éprouve le plaisir de voir une organisation secrète qui s'écarte de l'ordinaire des comics, tout en utilisant une imagerie de roman d'aventure (de grandes robes rouges, avec cagoule), mais avec une identité graphique affirmée.



À l'issue de ce deuxième tome, le lecteur en ressort sous le charme. Il lui reste en tête la richesse d'environnements variés, inventifs et colorés. La séduction de Kate Kristopher opère pleinement grâce à sa personnalité, plutôt que ses atouts physiques. L'intrigue part dans des directions inattendues et originales. S'il fallait vraiment trouver un défaut à cette série, ce serait peut-être le nombre d'éléments relevant de genres différents. Les auteurs réussissent leur amalgame ; le lecteur peut finir par se demander s'il est nécessaire qu'un robot steampunk coexiste avec des hyènes anthropomorphes. Il est cependant impossible de résister à la richesse du récit, et à l'intelligence graphique de Leila del Duca (elle réussit même à intégrer une demi-douzaine de cases sous forme de crayonnés, en toute logique dans le fil de la narration).
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Glory

Ce tome regroupe les épisodes 23 à 34 de la série mensuelle, parus en 2012/2013. Il s'agit d'une histoire complète et indépendante de toute autre (contrairement à ce que cette numérotation pourrait laisser penser), scénarisée par Joe Keatinge, et principalement dessinée par Ross Campbell.



Sur la planète Thule, 2 races se combattent. Gloriana Demeter (surnommée Glory) naît de l'union des chefs de ces 2 races. Arrivée à l'âge adulte, elle se rend sur Terre pour aider la race humaine dans son développement ; elle y arrive pendant la seconde guerre mondiale. De nos jours, Glory semble avoir disparu de la surface de la planète. Mais Riley Barnes (une jeune femme) rêve d'elle chaque nuit depuis son enfance. Elle a décidé de se mettre à sa recherche pour retrouver une tranquillité d'esprit. Le dernier indice qu'elle a trouvé l'amène à se rendre au Mont saint Michel, à la brasserie Mornet. Sur place elle est accueillie par Fabrice (un homme d'une cinquantaine d'années) qui la présente à Gloria une serveuse de la brasserie. Celle-ci l'amène jusqu'à Glory qui se remet d'importantes blessures. Tout peut commencer. Riley Barnes a mis les pieds au milieu d'un conflit destructeur annoncé par une prophétie impliquant Glorianna. Les retrouvailles avec Nanaja (sa sœur) puis avec ses parents (Lord Silverfall & Lady Demeter) vont être apocalyptiques.



Glory est un personnage inventé par Rob Liefeld en 1993 qui s'est librement inspiré de Wonder Woman pour créer une princesse guerrière. Ce personnage a connu son quart d'heure de gloire quand Alan Moore a écrit 3 épisodes de sa série, et puis elle a complètement disparu pendant 12 ans, ainsi que tout le reste du catalogue de Liefeld. En 2012, profitant d'un regain de popularité personnelle, il a relancé quelques personnages dont Glory. La lecture de ces 12 épisodes (continuant l'ancienne numérotation) montre qu'en tant que propriétaire des droits, il a laissé une liberté totale aux créateurs.



Joe Keatinge reprend donc le point de départ : une princesse guerrière dont les origines diffèrent sensiblement de celles de Wonder Woman (pas de poupée d'argile ou de parenté avec Zeus). Il lui associe 2 personnages secondaires féminins (Riley et Gloria) et il reprend le principe des parents issus de 2 races antagonistes. Comme le laisse supposer la couverture, Glory est une guerrière qui ne s'en laisse pas conter. Il établit rapidement un lien avec Supreme (l'équivalent de Superman dans l'univers partagé de Liefeld, voir L'âge d'or par Alan Moore), et c'est parti pour la découverte de ce personnage. Keatinge incorpore plusieurs éléments qui font ressortir cette série par rapport à la production habituelle de superhéros. Pour commencer, il a osé situer l'action en France, qui plus est dans un endroit touristique mais vraisemblablement peu connu des américains.



La deuxième particularité de sa narration est que Glory est surtout vue de l'extérieur par Riley Barnes qui la découvre. Ce dispositif permet au lecteur de se familiariser en même temps qu'elle avec le personnage principal qui conserve ainsi une grande part d'inconnu. Keatinge bâtit un récit équilibré entre affrontements très violents et incertitudes sur la nature de Glory. Il développe les actions de Glory sur la base de la dichotomie de ses origines, entre Lady Demeter (sa mère) et Lord Silverfall (son père), tout en montrant qu'elle est unique.



Dans la deuxième moitié du récit, Keatinge abandonne les références à Wonder Woman pour résoudre son intrigue dans laquelle Glory apparaît comme un personnage qui ne doit rien à un autre. Keatinge évite tous les écueils découlant d'un personnage féminin décrit comme une guerrière. Il n'y a pas de pitié ou d'hésitation à attendre de Glory, ou de compassion altruiste et artificielle. Elle a été élevée comme une guerrière, c'est une experte dans l'art du combat et elle a un corps d'une puissance phénoménale. Keatinge arrive à lui insuffler une personnalité réelle, dénuée de toute mièvrerie. Il refuse l'hypocrisie et montre clairement que Glory a eu une vie sexuelle qui n'est pas terminée. Ross Campbell lui donne une poitrine cohérente avec sa musculature, proche de celle des culturistes, et il la dessine même une fois nue de face (oui, ses poils pubiens aussi sont blancs).



Ross Campbell dessine l'intégralité des épisodes 23 à 29, 33 et 34, la majeure partie de l'épisode 30 (3 pages dessinées par Roman Muradov), 12 pages de l'épisode 31 (les 8 autres pages sont dessinées par Ulises Farinas), 10 pages de l'épisode 32 (+ 2 pages par Owen Gieni, 2 pages par Emi Lenox, 2 pages par Greg Hinkle, 2 pages par Sloane Leong et 2 pages par Jed Dougherty).



La mise en couleurs d'Owen Gieni assure une cohérence visuelle, quel que soit le dessinateur, et complète discrètement les dessins de Ross Campbell, faisant totalement oublier au lecteur qu'il contemple parfois un simple buste du personnage en train de parler. Campbell est très impressionnant dans son approche graphique qui refuse de se plier aux diktats des superhéros. Il n'utilise aucun stéréotype visuel propre à ce genre de récit. Glory est massive, avec un corps de culturiste avec tout ce que cela peut avoir de choquant sur le plan esthétique. Sa sœur est filiforme avec des expressions cruelles et sauvages.



Lorsque le scénario implique des éléments réalistes, Campbell fait preuve d'un sens du détail inattendu, tel ce modèle de chaises dans la maison de banlieue à Buc. Il varie la morphologie des personnages qui n'ont pas tous des corps de mannequin (même des femmes bien en chair, tout en restant séduisantes et chaleureuses). À l'autre extrémité des corps, il y a la forme à la musculature impossible de Glory quand elle a perdu sa maîtrise qui est proprement monstrueuse, sans plus rien de séduisant ou de racoleur. Les scènes de dialogue bénéficient d'une vraie mise en scène qui les rend visuellement intéressantes. Les scènes de combats sont d'une grande violence, là encore originales. Campbell pousse la conscience professionnelle jusqu'à dessiner une double page remplie jusqu'au bord avec des superhéros issus d'Extreme Studios (branche de Rob Liefeld chez Image Comics) comprenant une quarantaine de ces superhéros (de Shaft à Badrock, en passant par Kodiak et Troll, et même les NewMen). D'une manière inattendue, lors de la scène dans l'autre monde, le scénario et les dessins semblent à l'unisson pour rendre un hommage au monde la gemme de l'âme, telle que créée par Jim Starlin dans Warlock (VO).



La participation des autres dessinateurs n'apportent pas une amélioration sensible, mais elle ne dénature pas la narration. Il convient de mettre en avant les 3 superbes pages pleines de saveur, réalisées par Roman Muradov pour un pastiche d'une aventure de Fantomas.



L'histoire se termine par un clin d'œil à l'autre série "Rob Liefeld" relancée en même temps : John Prophet. Keatinge et Campbell auront donc également intégré des références aux autres superhéros de Liefeld (de Supreme à Youngblood, en passant par Bloodstrike).



En 12 épisodes, Joe Keatinge et Ross Cambell ont raconté une histoire originale, à la fois unique et indépendante, mais aussi démarrant comme un hommage à Wonder Woman, tout en s'éloignant rapidement de cette référence. L'intrigue comprend plusieurs morceaux de bravoure et un niveau de violence élevé, pour déboucher sur une résolution claire et nette. Les dessins montrent des personnages à l'apparence unique. Malgré tout, une fois la dernière page lue, le lecteur pourra regretter la psychologie un peu facile de Glory et compagnie, et une intrigue faisant la part belle à l'action, parfois aux dépends des personnages.
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Marvel Universe 2013 07 : What If? Age of U..

Joe Keatinge livre des récits très prenants, particulièrement bien écrits, avec beaucoup de subtilité et de finesse, et c'est cette qualité d'écriture qui rend ce projet fascinant, bien plus que par le fond.
Lien : http://www.sceneario.com/bd_..
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Shutter, tome 1 : Errance

Série indé complètement folle, on y suit l'histoire d'une jeune femme, ancienne ado star; non pas car chanteuse ou actrice, mais aventurière au côté de son père, depuis décédé. Décédé ou pas d'ailleurs, car lorsqu'un psedo lézard dépressif va tirer un roquette dans son appartement, manquant de blesser son chat horloge et son coloc transsexuel, tout change. Entre temps, un homme de fer, un clan de lion motards, un rat à dos de tricératops et autres personnages auront rejoints l'aventure.



Vous l'aurez compris en quelques lignes, l'auteur n'a pas bridé son imagination, et le trait de Leila de Luca accompagne à merveille et donne un trait vraiment unique, à mi chemin avec le franco belge.
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Ringside, tome 3 : Shoot

Ce tome fait suite à Ringside Volume 2: Work (épisodes 6 à 10) qu'il faut avoir lu avant, et les 3 tomes forment une histoire complète et indépendante de toute autre. Il contient les épisodes 11 à 15, initialement parus en 2017/2018, écrits par Joe Keatinge, dessinés et encrés par Nick Barber, avec une mise en couleurs réalisée par Simon Gough.



Dans un diner, Davis répond aux questions de mademoiselle Barnes, une jeune journaliste. Il lui fait comprendre que son moment de célébrité à lui est passé et qu'il n'a pas d'avenir. Elle lui indique qu'elle ne souhaite parler ni futur ni présent, mais du passé. Il comprend qu'elle veut l'interroger sur Dan Knossos, le catcheur qui se faisait appeler le Minotaure. Il lui indique qu'il n'a pas vu Knossos depuis des années, mais qu'elle ne peut comprendre l'histoire de Knossos que si elle comprend l'influence qu'il a sur Reynolds. Quelques années auparavant (au temps présent du récit), Reynolds était une fois encore en train de regarder un matche de la fédération de catch, sur l'écran des vestiaires, n'ayant toujours pas été sélectionné pour participer. Dans le bureau de Kristiansen, le patron de la chaîne et de la fédération locale de catch, son adjoint se félicite de l'accueil que le public a réservé à Hekate, une lutteuse dont il a conçu l'apparence et le mode opératoire. Kristiansen lui répond qu'il n'a pas à se réjouir d'avoir simplement fait le travail pour lequel il est payé.



Dans un entrepôt, Daniel Knossos accueille le représentant du client, qui se montre très méfiant du fait qu'il n'a pas en face de lui le responsable habituel. Il exige de Knossos de pouvoir lui parler. Knossos obtempère et son prédécesseur répond que tout est normal et réglo. À Los Angeles, Ragan se retrouve enfin en face de producteurs indiquant qu'ils ont apprécié son projet de série et qu'ils donnent le feu vert pour le mettre en production, moyennant les quelques modifications qu'ils y ont apportées. En sortant de la réunion, Ragan explique à Jeremy (son agent) qui a assisté à l'entretien, que les producteurs ont modifié son projet en profondeur et chamboulé ses idées jusqu'à les rendre méconnaissables. Il pense refuser de donner suite à leur offre car cela n'a plus rien à voir avec sa création. Jeremy lui explique clairement que le studio est déjà propriétaire de son projet et peut en faire ce que bon lui semble, avec ou sans lui. Reynolds se force à trouver une idée de personnage pour monter sur le ring. Hank Grisson appelle Ragan pour lui proposer un autre projet. Kristiansen repense à l'époque où il montait sur le ring en tant que partenaire du Minotaure.



De retour pour la fin de cette histoire, le lecteur est à nouveau surpris par le degré d'épure des dessins. Nick Barber détoure les formes avec un trait d'une épaisseur moyenne, mais réalisé rapidement, sans adoucir les angles qui apparaissent y compris dans les morphologies humaines, sans s'appliquer pour que les traits soient jointifs, avec un degré d'épure assez élevé. Les tenues vestimentaires sont différenciées en fonction des personnages, ceux étant en bas de l'échelle sociale s'habillant majoritairement en jean & teeshirt, les individus évoluant dans les bureaux d'entreprise portent le costume avec une cravate. L'artiste n'ajoute pas de slogan sur les teeshirts, il représente parfois une poche sur un blouson ou un pantalon. Simon Gough fait en sorte que chaque teeshirt soit d'une couleur différente pour atténuer l'impression d'uniformité. Barber montre que chaque individu présente une morphologie différente, même les catcheurs ne sont pas tous taillés sur le même format d'armoire à glace. Leurs visages présentent également des différences, à commencer par les coupes de cheveux, mais aussi leur forme. Là encore, l'artiste choisit l'épure, n'hésitant pas à représenter un œil par un point, un nez par un trait court, de même pour les sourcils, etc.



Comme dans le tome précédent, le lecteur peut constater que les arrière-plans sont gérés à l'économie, mais sans en devenir complètement inexistant. Le lecteur peut découvrir une page composée de cases sans aucun décor, mais elles en sont pas si nombreuses. Nick Barber fait en sorte d'inclure des éléments significatifs, souvent emblématique pour planter le décor : des cordages pour un ring, des fenêtres rectangulaires haut placées pour un entrepôt, une armoire dans une pièce pour une chambre, des stores vénitiens pour un salon, des armoires vestiaires simplifiées pour les vestiaires, etc. Dans le même temps, il peut aussi représenter plus d'éléments pour étoffer un décor, lui donner plus de consistance et de personnalité : l'aménagement du diner dans la scène d'ouverture, la décoration du hall d'entrée monumental de la propriété de Kristiansen, les appareillages de la chambre d'hôpital de Reynolds. De temps à autre le lecteur peut observer des endroits bien décrits, d'autrefois la narration visuelle ne se focalise que sur les têtes en train de parler, sans aucune attention portée au reste. Malgré quelques passages au cours desquels le lecteur ressent l'impression d'être d'une comédie de situation sans beaucoup de moyen, il n'empêche que les acteurs conservent une forte présence dans chaque scène et que l'intensité dramatique ne faiblit pas.



Dans le tome précédent, le scénariste avait continué de mettre l'accent sur le devenir de catcheur professionnel, soit dont la carrière est loin derrière, soit aspirant à faire carrière. Mine de rien, il avait mis en place une dizaine de personnages : Andre Aligreti, Davis, Kristiansen, Daniel Knossos, Ragan, Reynolds, Teddy, Terrance, Hank Grisson, Eduard, Meyers, tous ces individus étant liés au monde du catch, soit catcheur de profession, soit ex-catcheur, soit attaché directement à un catcheur. À nouveau, le lecteur observe dans ce troisième tome qu'il s'agit essentiellement d'un monde d'hommes, les 2 seules présences féminines étant l'intervieweuse Barnes et la responsable qui rend son projet de scénario à Ragan. Au fur et à mesure des séquences, le lecteur constate à nouveau comment l'industrie de divertissement qu'est le catch se nourrit des individus, et les abandonne quand il n'y a plus rien à en tirer. En filigrane, l'auteur continue de mettre en scène une organisation systémique qui utilise les individus, les contraignant à jouer selon les règles de l'industrie, sans leur laisser de marge de manœuvre, sans se préoccuper de leur sort une fois qu'ils n'ont plus rien à offrir à cette industrie.



De ce point de vue, le scénario de Joe Keatinge s'avère implacable et efficace. Le lecteur ne peut que se retrouver consterné de voir comment Reynolds met tout son cœur à l'ouvrage, sans réussir à se faire choisir pour monter sur le ring, et se fait massacrer quand il bénéficie enfin d'une occasion d'y monter. On ne peut effectivement pas appeler ça une chance. Par la force des choses (en fonction du nombre de pages qui leur a été dévolu), le lecteur s'est plus ou moins investi dans les différents personnages. Il ressent pleinement la détresse d'Hank Grisson, essayant de se raccrocher à quelqu'un qui n'est pas au fond du trou comme lui. Le scénariste ne se contente de continuer à creuser le même sillon : il pousse son observation encore plus loin. Contrairement à toute attente, Kristiansen (le catcheur qui s'en est bien sorti, qui a bâti une fédération prospère de catch, qu'il possède et qu'il dirige) reste nostalgique d'un amour qu'il ne retrouvera jamais. Il assume de devoir se comporter en manipulateur sans état d'âme, mais l'impossibilité de retrouver la relation amoureuse qu'il a connu avec le Minotaure rend caduque tout accomplissement intérieur, rend impossible toute joie, tout bonheur.



Ragan voit enfin une opportunité de réaliser son rêve : vendre un projet de série télé qui est sur les rails pour être réalisé à court terme. Pourtant, il ne reconnaît plus sa création et il ne dispose d'aucun moyen de recours. Son agent lui explique bien que c'est ça ou rien et qu'il peut s'estimer heureux d'avoir eu une deuxième chance. À nouveau Ragan est un personnage qui doit abandonner ses illusions, qui doit se confronter avec une réalité castratrice et décevante. Néanmoins, le scénariste avait déjà conduit plusieurs personnages sur ce chemin, certains incapables de remettre en question leur façon d'appréhender la réalité et souffrant au fur et à mesure d'une déchéance toujours plus cruelle, d'autres abandonnant une partie de leurs illusions, mais toujours sous l'emprise du charme d'une époque bénie, enjolivée par eux au point de devenir un âge d'or qui leur est devenu à jamais inaccessible. Or le parcours de Daniel Knossos continue et le fait descendre encore dans cet éloignement d'un âge d'or. Il finit par obtenir ce pour quoi il avait accepté des compromissions morales abjectes, et il se rend compte que l'effacement de sa dette et de celle de Teddy, le ramène à sa situation antérieure (sans boulot, sans avenir, sans rien à son nom), mais aggravée par les crimes qu'il a accepté de commettre, le rendant encore plus méprisable à ses propres yeux.



Dans une telle façon de décrire la confrontation terrible des aspirations de l'individu à la réalité, le lecteur recherche le personnage qui s'en sort le mieux. Il s'agit de Terrance qui a un boulot et qui s'accommode de petits arrangements. Quand il se rend compte qu'un de ces arrangements a eu pour conséquence de rendre infirme un de ses amis, il n'hésite pas à se faire justice lui-même, visiblement avec succès. Joe Keatinge semble dire que les compromissions sont le lot inéluctable des adultes, mais qu'ils ne doivent pas se résoudre à tout pour autant. Ce dernier tome vient clore cette plongée dans le monde du catch avec un regard pénétrant sur la condition d'adulte. Le lecteur aurait bien aimé une narration visuelle un peu plus élaborée, et une description de l'industrie du catch plus nourrie, mais la réflexion sur la condition d'adulte est aussi impeccable qu'implacable.
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Ringside, tome 2 : Work

Ce tome fait suite à Ringside Volume 1 (Kayfabe, épisodes 1 à 5) qu'il faut avoir lu pour comprendre qui sont les personnages et les relations qui existent entre eux, sans parler de leur histoire personnelle. Il contient les épisodes 6 à 10, initialement parus en 2016/2017, écrits par Joe Keatinge, dessinés et encrés par Nick Barber, avec une mise en couleurs réalisée par Simon Cough, c’est-à-dire la même équipe que pour le premier tome. Les couvertures sont l'œuvre de Sandra Lanz. Le tome se termine avec 3 pages de découpage de planches, et de crayonnés.



Le soir dans un bar, Eduard s'entretient avec Dorian, un de ses débiteurs et lui explique qu'il comprend bien qu'il soit en retard sur son paiement. Il ne reste qu'à finaliser le deal avec un document à l'arrière du bâtiment. Eduard remet Dorian aux mains de Daniel Knossos qui effectue son travail de gros bras aux frais de Dorian. Après avoir massacré Dorian à main nue, Knossos rentre chez lui dans son trailer. Hank Grisson, entraîneur de catcheurs dans un bled paumé se rend compte que Knossos est rentré aux États-Unis ; il se retrouve contraint d'en faire part à sa fille Chelsea qui est également sa partenaire dans son entreprise. Lorsque Knossos se réveille le lendemain matin, Teddy lui a préparé son petit déjeuner. Ragan se rend au studio d'enregistrement de Clem pour lui demander de composer un thème pour Reynolds, jeune catcheur débutant. Reynold conduit Davis (entraîneur) à l'aéroport pour son vol à destination de la Floride, ce dernier lui offre sa voiture.



Eduard convoque Daniel Knossos sur un parking désert. Il lui explique qu'il est en train d'étendre ses opérations et qu'il a besoin d'un individu fiable et obéissant, avec des gros bras, un peu plus au Nord. Il sait très bien que Knossos le hait, mais aussi qu'il obéira pour le bien de Teddy. Knossos accepte d'accomplir ce job pendant une année, et Eduard lui promet qu'au bout de cette période il aura payé sa dette. De manière inattendue, Reynolds se rend compte qu'il se retrouve à effectuer le même boulot que Davis, cette fois-ci au bénéfice de Sisman, un petit nouveau dans le monde du catch. De son côté, arrivé à destination, Knossos se présente à son nouveau chef, pour recevoir ses consignes professionnelles. Il doit veiller au calme dans un entrepôt où se déroulent des échanges de marchandises.



Le premier tome de la série avait séduit le lecteur à la fois pour montrer l'envers du décor des catcheurs professionnels (la manière dont ils sont réduits à l'état de produits pas beaucoup mis en avant par les responsables de fédération), à la fois pour le manque d'application pratique de leur force pour les situations de tous les jours. Daniel Knossos se heurtait à la réalité d'un monde indifférent à son existence, et au fait qu'il se trouve au bas de l'échelle sociale, un anonyme parmi tant d'autres, sans beaucoup de valeur marchande ou économique. Du coup, le lecteur se sent un peu dépité de voir que finalement Knossos a intégré facilement le rang, qu'il est devenu un homme de main sans conscience, capable de tabasser un individu en position de faiblesse, et de le laisser à terre, grièvement blessé, sans une once de remord. L'intrigue est rapidement rentrée dans le rang des polars classiques, à base de rackets, de trafics illégaux, et d'usage de la violence pour soumettre les plus faibles. Les principaux personnages subissent les décisions des petits chefs de gang, sans espoir de s'extraire de ce milieu, se retrouvant obligés de se plier à toutes les compromissions, devenant de plus en plus abjects à leurs propres yeux. Cette orientation plus convenue du récit s'accompagne également d'une évolution des dessins, semblant plus grossiers, avec une densité d'information ayant diminué de manière significative par rapport au premier tome. Le lecteur regarde Daniel Knossos, Reynolds, Ragan et Teddy s'enfoncer dans un quotidien désabusé, pour un futur sans espoir.



Effectivement, ces 5 épisodes se lisent rapidement, mais le point de vue si particulier du premier tome semble avoir laissé la place à un autre plus convenu. Nick Barber détoure toutes les formes par un trait d'épaisseur unique et invariable, un peu gras. Les contours ainsi tracés présentent quelques angles assez obtus, sans arrondis pour les rendre plus agréables à l'œil. Les traits ne forment pas toujours un contour jointif, comme s'il y avait une forme de laisser-aller, de manque d'implication du dessinateur. Le lecteur éprouve vraiment l'impression que l'artiste a épuré ses dessins pour les rendre plus facilement accessibles à un lectorat plus jeune : 1 trait pour chaque sourcil, 1 trait pour la bouche, 1 point pour chaque œil. Il arrive de temps en temps de découvrir une page dans laquelle toutes les cases sont dépourvues de décor. Certains éléments de décor ne sont représentés que par 2 ou 3 traits évoquant sa forme générale, sans rentrer dans le détail. Ainsi tous les bureaux se résument à la forme générique d'un plateau rectangulaire. Il est impossible d'identifier le modèle ou la marque de la voiture que Davis donne à Reynolds. Il n'est pas possible de se faire une idée de la taille ou de la forme de l'entrepôt dans lequel Knossos surveille les opérations de manutention, et toutes les caisses ont la même forme de parallélépipède rectangle anonyme.



Malgré cette apparence un peu insipide, le lecteur n'éprouve pas trop de difficulté à terminer ces 5 épisodes. Il est vrai que tous les personnages disposent d'une apparence spécifique et qu'ils sont aisément identifiables. Le lecteur ressent facilement leurs émotions : le plaisir d'Eduard à voir Dorian se faire tabasser parce que ça veut dire que ses affaires avancent, la lassitude de Ragan et de Reynolds en comprenant que leurs efforts ne pèsent pas lourds, le désarroi de Teddy quémandant, du regard, l'approbation de Daniel Knossos, etc. Certes il n'y a plus de personnages féminins, mais les personnages masculins ne sont pas cantonnés au rôle de l'individu viril, ou du beau salaud. Les auteurs savent mettre en scène une relation homosexuelle, sans qu'elle n'ait l'air artificiel ou opportuniste. Les dessins de Nick Barber donnent parfois une impression de désinvolture, ou du moins d'un degré d'implication en deçà de ce qui serait nécessaire pour rendre compte de la noirceur de la situation, mais le lecteur reconnaît sans peine les personnages, et ils évoluent dans des endroits bien déterminés, également aisément indentifiables.



Bien que Daniel Knossos se retrouve dans une position de gros bras, plus convenue que sa situation dans le premier tome, elle n'en est pas moins noire. Malgré cette position plus classique, Joe Keatinge et Nick Barber restent fidèles à leur ligne directrice. Le lecteur peut constater que la plupart des personnages du premier tome sont toujours présents, et que les évolutions de carrière des différents catcheurs aboutissent toujours autant dans des culs de sac. Reynolds n'a toujours aucune de chance de monter sur un ring pour un match pris en charge par la fédération et diffusé à la télévision. En tant que scénariste de combats de catch, Ragan n'a toujours que des propositions sans envergure où on lui dicte le déroulement de la scène, sans qu'il n'ait la latitude de laisser sa fibre créatrice s'exprimer. Hank Grisson est obligé de quémander une faveur à Andre Aligreti, et de s'humilier pour se faire.



Pire encore, plusieurs personnages prennent la réalité du fonctionnement de la société en pleine face, à commencer par le comportement des gens. Dans ce tome, c'est Reynolds qui doit revoir son optimisme à la baisse de séquence en séquence. Davis est parti pour profiter d'une opportunité professionnelle en Floride (le lecteur peut voir ce qu'il en est vraiment de cette opportunité), le laissant se débrouiller tout seul. Puis c'est son amant qui le quitte parce que lui aussi pense tenir la chance de sa vie de scénariste, avec une de ses histoires en passe de devenir un scénario de film. Son nouveau collègue de travail lui fait voir qu'il aura beau se démener pour donner le meilleur de lui-même dans des rôles de figuration, cela n'aura aucune incidence ni sur sa rémunération, ni sur sa carrière. Enfin, la seule fois où Reynolds donne son avis professionnel à un vrai décideur, il prend un retour de bâton d'une ampleur qui le laisse sans travail. En prenant un peu de recul, le lecteur se rend compte que les auteurs ont effectivement continué à développer ce thème de la prédestination sociale qui fait que les personnages ne peuvent pas s'élever de leur condition sociale d'origine, quels que soient les efforts qu'ils réalisent.



Reynolds tombe de haut en comprenant que c'est juste un boulot pour Sisman, sans rien d'intéressant, encore moins de passionnant, sans illusion sur l'absence de toute reconnaissance, sur le fait qu'ils soient interchangeables dans cet emploi. La deuxième couche vient avec sa mise à la porte par un décideur qui ne le connaît pas, juste parce qu'il a osé prendre la parole sans qu'on ne le lui ait demandé. Ces états de fait se retrouvent dans la situation de Daniel Knossos. Il doit se comporter comme un individu sans personnalité propre, suivant les ordres sans poser de question, sans initiative personnelle, et surtout sans développer aucun attachement effectif de quelque sorte que ce soit pour les autres individus qu'ils croisent. Que ce soit dans le monde du catch, ou dans le monde des petits truands, on attend d'eux qu'ils se comportent en bon soldat obéissant, dépourvus de personnalité. Knossos est le premier à comprendre qu'il n'y a rien de personnel dans les ordres et les punitions de son chef, juste l'application du principe Manger ou être mangé. Il comprend que c'est la seule solution pour gravir un échelon dans la chaîne économique ou dans la chaîne de commandement, marcher sur les autres, sans rien de personnel. De manière paradoxale et sadique, le seul reste d'humanité dans ce récit apparaît quand Andre Aligreti prend son pied à humilier Hank Grissan, pour se venger d'une crasse qu'il lui a fait des années auparavant.



La première impression du lecteur est que les auteurs ont conservé le cap d'un récit se déroulant dans le milieu du catch, parmi les individus anonymes qui font tourner cette machine de l'industrie du divertissement, mais qu'ils sont rentrés dans une phase plus ordinaire, avec des dessins plus rapides, et des personnages ayant facilement basculé du côté du banditisme ordinaire. Il faut un peu de temps pour se rendre compte que cette impression de récit vaguement déprimant et quelque peu convenu est générée par les espoirs des personnages se brisant sur la réalité. Daniel Knossos est en train de grimper dans les échelons, mais cela détruit toute émotion positive en lui. Reynolds est en train d'apprendre le véritable mode de fonctionnement de l'industrie du catch, mais à ses dépens, et au prix de ses valeurs, de son plaisir à exercer le métier de catcheur. La sensation de déprime qui se dégage du récit atteste du fait que les auteurs ont peut-être trop bien réussi à faire vivre leurs personnages et à entraîner le lecteur dans le désenchantement, consubstantiel à leur passage à l'âge adulte.
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Glory: The Complete Saga

Ce tome regroupe les épisodes 23 à 34 de la série mensuelle, parus en 2012/2013. Il s'agit d'une histoire complète et indépendante de toute autre (contrairement à ce que cette numérotation pourrait laisser penser), scénarisée par Joe Keatinge, et principalement dessinée par Ross Campbell.



Sur la planète Thule, 2 races se combattent. Gloriana Demeter (surnommée Glory) naît de l'union des chefs de ces 2 races. Arrivée à l'âge adulte, elle se rend sur Terre pour aider la race humaine dans son développement ; elle y arrive pendant la seconde guerre mondiale. De nos jours, Glory semble avoir disparu de la surface de la planète. Mais Riley Barnes (une jeune femme) rêve d'elle chaque nuit depuis son enfance. Elle a décidé de se mettre à sa recherche pour retrouver une tranquillité d'esprit. Le dernier indice qu'elle a trouvé l'amène à se rendre au Mont saint Michel, à la brasserie Mornet. Sur place elle est accueillie par Fabrice (un homme d'une cinquantaine d'années) qui la présente à Gloria une serveuse de la brasserie. Celle-ci l'amène jusqu'à Glory qui se remet d'importantes blessures. Tout peut commencer. Riley Barnes a mis les pieds au milieu d'un conflit destructeur annoncé par une prophétie impliquant Glorianna. Les retrouvailles avec Nanaja (sa sœur) puis avec ses parents (Lord Silverfall & Lady Demeter) vont être apocalyptiques.



Glory est un personnage inventé par Rob Liefeld en 1993 qui s'est librement inspiré de Wonder Woman pour créer une princesse guerrière. Ce personnage a connu son quart d'heure de gloire quand Alan Moore a écrit 3 épisodes de sa série, et puis elle a complètement disparu pendant 12 ans, ainsi que tout le reste du catalogue de Liefeld. En 2012, profitant d'un regain de popularité personnelle, il a relancé quelques personnages dont Glory. La lecture de ces 12 épisodes (continuant l'ancienne numérotation) montre qu'en tant que propriétaire des droits, il a laissé une liberté totale aux créateurs.



Joe Keatinge reprend donc le point de départ : une princesse guerrière dont les origines diffèrent sensiblement de celles de Wonder Woman (pas de poupée d'argile ou de parenté avec Zeus). Il lui associe 2 personnages secondaires féminins (Riley et Gloria) et il reprend le principe des parents issus de 2 races antagonistes. Comme le laisse supposer la couverture, Glory est une guerrière qui ne s'en laisse pas conter. Il établit rapidement un lien avec Supreme (l'équivalent de Superman dans l'univers partagé de Liefeld, voir Supreme: the return par Alan Moore), et c'est parti pour la découverte de ce personnage. Keatinge incorpore plusieurs éléments qui font ressortir cette série par rapport à la production habituelle de superhéros. Pour commencer, il a osé situer l'action en France, qui plus est dans un endroit touristique mais vraisemblablement peu connu des américains.



La deuxième particularité de sa narration est que Glory est surtout vue de l'extérieur par Riley Barnes qui la découvre. Ce dispositif permet au lecteur de se familiariser en même temps qu'elle avec le personnage principal qui conserve ainsi une grande part d'inconnu. Keatinge bâtit un récit équilibré entre affrontements très violents et incertitudes sur la nature de Glory. Il développe les actions de Glory sur la base de la dichotomie de ses origines, entre Lady Demeter (sa mère) et Lord Silverfall (son père), tout en montrant qu'elle est unique.



Dans la deuxième moitié du récit, Keatinge abandonne les références à Wonder Woman pour résoudre son intrigue dans laquelle Glory apparaît comme un personnage qui ne doit rien à un autre. Keatinge évite tous les écueils découlant d'un personnage féminin décrit comme une guerrière. Il n'y a pas de pitié ou d'hésitation à attendre de Glory, ou de compassion altruiste et artificielle. Elle a été élevée comme une guerrière, c'est une experte dans l'art du combat et elle a un corps d'une puissance phénoménale. Keatinge arrive à lui insuffler une personnalité réelle, dénuée de toute mièvrerie. Il refuse l'hypocrisie et montre clairement que Glory a eu une vie sexuelle qui n'est pas terminée. Ross Campbell lui donne une poitrine cohérente avec sa musculature, proche de celle des culturistes, et il la dessine même une fois nue de face (oui, ses poils pubiens aussi sont blancs).



Ross Campbell dessine l'intégralité des épisodes 23 à 29, 33 et 34, la majeure partie de l'épisode 30 (3 pages dessinées par Roman Muradov), 12 pages de l'épisode 31 (les 8 autres pages sont dessinées par Ulises Farinas), 10 pages de l'épisode 32 (+ 2 pages par Owen Gieni, 2 pages par Emi Lenox, 2 pages par Greg Hinkle, 2 pages par Sloane Leong et 2 pages par Jed Dougherty).



La mise en couleurs d'Owen Gieni assure une cohérence visuelle, quel que soit le dessinateur, et complète discrètement les dessins de Ross Campbell, faisant totalement oublier au lecteur qu'il contemple parfois un simple buste du personnage en train de parler. Campbell est très impressionnant dans son approche graphique qui refuse de se plier aux diktats des superhéros. Il n'utilise aucun stéréotype visuel propre à ce genre de récit. Glory est massive, avec un corps de culturiste avec tout ce que cela peut avoir de choquant sur le plan esthétique. Sa sœur est filiforme avec des expressions cruelles et sauvages.



Lorsque le scénario implique des éléments réalistes, Campbell fait preuve d'un sens du détail inattendu, tel ce modèle de chaises dans la maison de banlieue à Buc. Il varie la morphologie des personnages qui n'ont pas tous des corps de mannequin (même des femmes bien en chair, tout en restant séduisantes et chaleureuses). À l'autre extrémité des corps, il y a la forme à la musculature impossible de Glory quand elle a perdu sa maîtrise qui est proprement monstrueuse, sans plus rien de séduisant ou de racoleur. Les scènes de dialogue bénéficient d'une vraie mise en scène qui les rend visuellement intéressantes. Les scènes de combats sont d'une grande violence, là encore originales. Campbell pousse la conscience professionnelle jusqu'à dessiner une double page remplie jusqu'au bord avec des superhéros issus d'Extreme Studios (branche de Rob Liefeld chez Image Comics) comprenant une quarantaine de ces superhéros (de Shaft à Badrock, en passant par Kodiak et Troll, et même les NewMen). D'une manière inattendue, lors de la scène dans l'autre monde, le scénario et les dessins semblent à l'unisson pour rendre un hommage au monde la gemme de l'âme, telle que créée par Jim Starlin dans Warlock.



La participation des autres dessinateurs n'apportent pas une amélioration sensible, mais elle ne dénature pas la narration. Il convient de mettre en avant les 3 superbes pages pleines de saveur, réalisées par Roman Muradov pour un pastiche d'une aventure de Fantomas.



L'histoire se termine par un clin d'œil à l'autre série "Rob Liefeld" relancée en même temps : John Prophet. Keatinge et Campbell auront donc également intégré des références aux autres superhéros de Liefeld (Supreme à Youngblood, en passant par Bloodstrike).



En 12 épisodes, Joe Keatinge et Ross Cambell ont raconté une histoire originale, à la fois unique et indépendante, mais aussi démarrant comme un hommage à Wonder Woman, tout en s'éloignant rapidement de cette référence. L'intrigue comprend plusieurs morceaux de bravoure et un niveau de violence élevé, pour déboucher sur une résolution claire et nette. Les dessins montrent des personnages à l'apparence unique. Malgré tout, une fois la dernière page lue, le lecteur pourra regretter la psychologie un peu facile de Glory et compagnie, et une intrigue faisant la part belle à l'action, parfois aux dépends des personnages.
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Glory

Quelle claque que ce comics. Je suis ravie de voir que l'on arrive à avoir des visuels à la hauteur des personnages. Et Glory en est le meilleur exemple.

On peut parler de l'histoire, très centrée sur l'action, mais c'est le graphisme et les personnages qui marquent la lecture de ce comics.

Le personnage de Glory, en particulier, mérite qu'on lui prête attention. Mi-amazone, mi-démon, on ne peut passer à côté de la référence à Wonder Woman, mais c'est une référence dont on s'éloigne assez rapidement. Car Glory, avec son corps de culturiste, est une véritable bête de combat. Elle a été élevée comme une guerrière et maitrise cet art comme personne. Et on ne peut qu'approuver le fait que son physique soit aligné sur son personnage : pas de bimbo aux courbes parfaites et aux poses lascives pour aller combattre, sans une égratignures, les méchants ! Et quand on voit le passé du personnage de Glory, on ne peut qu'applaudir. D'autant plus que l'auteur a eut la merveilleuse idée de donner une sexualité libérée à ce personnage, et ce, sans jamais avoir à se justifier. En réalité, le seul bémol que l'on pourrait donner aux personnages, c'est qu'on ne les découvre jamais en profondeur alors qu'on sent qu'il y aurait matière à proposer la-dessus.

Mais revenons-en à nos moutons, les planches sont absolument magnifiques. A la fois très violents et très colorés, les dessins nous en mettent plein la vue. Évidemment, on parle d'un comics d'action, donc la violence domine les planches.

On est clairement sur un comics de qualité qui sait se démarquer des autres, une fois qu'on l'a lu, on ne peut pas l'oublier, que notre avis soit positif ou négatif.
Lien : http://oukouloumougnou.blogs..
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Marvel Knights Hulk

Pour comprendre cet opus, il faut avoir lu tout ce qui est sorti sur le personnage avant, ce qui n'est pas mon cas. A réserver aux spécialistes, sinon, ça n'a pas grand intérêt.
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Glory

Gloriana Demeter porte un bien lourd fardeau : issue de l'union de la Reine des Amazones et du Seigneur des Enfers au beau milieu d’une guerre entre ces deux peuples, sa naissance y mettra un terme. Mais Glory porte en elle ce conflit originel, cette part de violence qui ne demande qu’à remonter à la surface.



C’est précisément ce que va faire Riley, une jeune journaliste et grand admiratrice de Glory, en retrouvant sa trace. Dans l’ombre, certains n’ont pas accepté la venue de Gloriana et sa remise en lumière va déclencher des forces que seul un démon peut vaincre. Bien des sacrifices devront être faits pour sauver le monde.



Créée en 1993 par Rob Liefield, Glory revient ici sous la plume de Joe Keating et le crayon de Ross Campbell. De sa version de départ, inspirée de Wonder Woman, elle est passé à une vision bien plus badass, violente et bodybuildée, bien loin des stéréotypes du genre. Un comics atypique qui, bien qu’inégal dans sa réalisation, mérite le détour.
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