Et nous voici qui, malgré l'expérience de nos nombreux voyages en mer, nous en remettons à la tempête pour apaiser nos angoisses.
Parfois, je me dis qu'il vaut mieux avoir peur de quelque chose de concret, qu'un pan de nuit fondant sur nous serait préférable au néant qui ronge nos nerfs.
Alors, soudain, je peux voir le vent.
Se rassembler, se condenser ; d'abord invisible, puis semblable à l'air frémissant de la mi-journée, comme de l'eau vive ensuite, des eaux profondes de mer gelée, et de la glace translucide, et de la brume, et du brouillard, de la neige noire et finalement, de la nuit sans lumière.
La lumière ne peut pas nous protéger de tout.
La "Déméter" ralentit, presque jusqu'à l'arrêt. Rien d'autre que la mer alentour, et pas d'autres hommes que nous.
On voit le néant qui nous isole.
Quelque chose vient de s'achever. Le calme permet d'en profiter, de le ressentir par chaque pore de la peau.
Alors, je regarde l'aube et je comprends.
La lumière ne peut pas nous protéger de tout.
La nuit, nous ne rêvons pas à des sirènes au sexe incertain mais à la caresse éternelle, infatigable, de la matière cachée dans le liquide.
Quand le soleil de midi sèche les voiles mouillées par la brise ou la tempête, une poudre blanche les recouvre, qu'on retrouve dans nos cheveux, entre nos doigts, qui s'immisce avec le brouillard salé de la mer nocturne.
Nous flottons dans nos lits sur une fatigue où nous pourrions couler, agrippés aux couvertures pour ne pas nous noyez dans nos rêves.
Parfois, dans un demi-sommeil, j'imagine que je lève les mains pour les enfoncer dans la nuit. En les fermant, je la sens s'écouler entre mes doigts comme une huile lente.
Le plaisir suave de mordre la viande, l'âpre arômes des boissons , la sensation de la langue contre le palais, le ronron satisfait des corps qui se sustentent.
La gourmandise est un péché capital, je m'en rends compte chaque midi en resservant mon lieutenant, petit plaisir supplémentaire que j'offre en amphitryon. Intimité des corps qui se satisfont ensemble, sans se toucher mais unis dans le rituel commun.
Mais... et si l'ultime cadeau de la lumière était de nous montrer ce qui n'appartient quà la nuit ?