Interview de Jo Walton à l'occasion de la sortie de Ou ce que vous voudrez (Or What You Will ) aux éditions Denoël.
Traducteur : Thomas Bauduret
Aujourd’hui : confuse, lut-elle sur sa feuille de soins. Confuse, moins confuse, vraiment confuse… « Vraiment confuse » : deux mots que les infirmières notaient souvent, en abrégeant : VC. Ça la faisait sourire. « VC » comme « Victoria Cross », la plus haute distinction du pays. Son nom figurait aussi sur la feuille — enfin, son prénom, seulement : Patricia. Comme si en vieillissant elle était redevenue une enfant, comme s’il fallait la priver de toute dignité en la dépouillant à la fois de son patronyme et de son diminutif préféré.
(Incipit)
Toute sa vie, elle n’avait eu droit qu’à des choses médiocres, des ersatz : de la crème glacée au lieu du gelato, des reproductions d’œuvres d’art, la nourriture fade et rationnée de son pays au lieu de la délicieuse gastronomie italienne. En Angleterre, seules la nature, la musique et la poésie l’avaient émue jusqu’au tréfonds de l’âme. Ici, tout la bouleversait. Le moindre caillou dans une ruelle, la moindre applique sur une maison, le toit doré du baptistère, les proportions de l’église San Lorenzo, le goût du melon et du jambon de Parme… c’était comme si ce rond de ciel dans le dôme du Panthéon l’avait aspirée jusqu’au paradis.
Je vous parie que tout le milieu sera aux funérailles. Morte réduite en bouillie... vous connaissez une fin plus théâtrale que celle-là ? C'est irrésistible. De plus, Lauria était au sommet de sa carrière. Enfin, elle avait l'âge où les hommes y parviennent. Les bons rôles sont assez rares pour les femmes d'un certain âge, mais tous ceux qui existent, elle les a interprétés à la perfection.
J’ai l’impression parfois qu’il n’y a que les livres qui rendent la vie supportable, comme à Halloween quand j’ai voulu vivre uniquement parce que je n’avais pas fini Babel 17. Je suis sur que ce n’est pas normal. Je m’inquiète plus des personnages des livres que des gens que je côtoie tous les jours.
Ceci n'est pas une belle histoire, et ce n'est pas une histoire facile. Mais c'est une histoire qui parle de fées, donc sentez-vous libre de penser que c'est un conte de fées. De toute façon, vous n'y croyez pas.
On croise beaucoup de beaux visages, dont certains appartiennent à des gens qui ne les méritent pas, ou qui sont convaincus que leur beauté suffira à leur apporter la fortune. Mais la fortune ne vient qu'en travaillant dur, physique avantageux ou non.
Elle s'arrêta sur le pont qui franchissait le canal et observa les canards sauvages. Des canetons bruns tout duveteux les suivaient à la queue leu leu. Les enfants... Un monde sans ses enfants n'était pas concevable. Leur existence justifiait tout le reste.
Les débutantes se succédèrent longtemps devant le trône. Dès qu'elles avaient terminé leur révérence, elles se redressaient et reculaient d'un air soulagé. Les personnes qui les avaient présentées semblaient alors aussi soulagées qu'elles. Complètement puérile à mes yeux, cette cérémonie avait une fonction bien précise. C'était l'affirmation d'une classe sociale, et pour les jeunes filles, la confirmation de leur passage à l'âge adulte : à partir de maintenant, elles étaient bonnes à marier. Si mon anthropologue hottentot y avait assisté, il aurait tout de suite compris de quoi il retournait.
«Vous arrive-t-il de regarder des dessins animés?» demanda-t-il.
J'acquiescai. «Mickey Mouse et Donald Duck, ce genre de choses? J'en ai vu au cinéma.
- Oui… eh bien, j'ai l'impression que quelqu'un veut me faire avaler une histoire qui passerait peut-être dans un dessin animé, mais pas dans la vraie vie, où les gens ne sont pas des souris et des lapins qui peuvent s'aplatir mutuellement à grand coups d'enclume sur la tête, après quoi ils se relèvent tranquillement et se regonflent avec une pompe à vélo.
Qui pourrait vouloir d'un monde de marionnettes?