Citations de Joseph Sheridan Le Fanu (143)
Voyez comment un enfant ensommeillé s’arrange pour repousser l’inévitable moment d’aller au lit. La petite créature a les yeux qui se ferment, il faut sans cesse la secouer pour l’empêcher de sombrer dans un sommeil qui lui tend les bras. Rester éveillé, pour le bambin, est une douleur. Il est mort de fatigue, il pleurniche, il fait le bête, et pourtant il implore un délai, ne veut pas aller se coucher, jure qu’il n’a pas sommeil, même au moment où la mère le prend dans ses bras pour l’emporter, déjà endormi, dans la chambre d’enfant. Il en va ainsi de nous, vieux enfants de la terre, du grand sommeil de la mort, et de la nature, notre tendre mère. On se sépare de la conscience avec la même mauvaise grâce, tant l’image est, jusqu’au dernier moment, intéressante, et l’oiseau que l’ont tient dans la main, même malade et perdant ses plumes, a plus de prix que tous les brillants habitants des buissons. On se met stupidement sur son séant, en bâillant et clignant des yeux, et la scène entière se brouille devant nous, tandis que les histoires et les mélodies se noient dans le bruit des vents et des eaux lointaines. Ce n’est pas encore l’heure. Nous ne sommes pas fatigués. Encore une heure, et, protestant ainsi contre le lit, nous fermons les yeux pour sombrer dans le sommeil sans rêves que la nature assigne à la fatigue et à la satiété.
Il (le Dr Jolks) me trouva très hystérique et, après une enquête minutieuse sur mes horaires et mon régime alimentaire, demanda ce que j’avais mangé la veille au soir. Il y avait quelque chose de réconfortant dans sa façon de tourner en dérision l’hypothèse du fantôme. Le résultat fut un régime excluant le thé, imposant le chocolat et la bière brune, de me coucher tôt et que j’oublie tout le reste. Et il alla jusqu’à promettre que, si je suivais ce régime à la lettre, je ne verrai plus jamais de spectre.
Avec l'âge, vient un temps où le cœur ne peut plus fondre, ne peut plus se modeler et doit conserver la forme où il s'est gelé.
Parfois, je me disais que son esprit était dérangé. Comment expliquer autrement ces effroyables jeux d'ombres et de lumière qui passaient sur son visage ? Je discernais, me semblait-il, de la honte, de la crainte même au-delà du chatoiement de son sourire forcé.
S'il fallait le considérer comme un ennemi mortel, il occupait un rang bien supérieur au démon de Goethe, verbeux et faible, en fin de compte. Il assumait le corps et les traits de notre nature mortelle, mais il dissimulait la sienne - se révélait un Méphistophélès profondément réticent.
Il paraissait accommoder sa conversation à la structure morale des autres - comme on raconte parfois que les esprits assument la forme des mortels.
[...] on prétend que certaines personnes nerveuses se jettent dans des précipices par peur morbide d'y tomber.
Quelque chose en lui m'effrayait - quelque chose de méchant qui le faisait ressembler à un sorcier en train de méditer un horrible dessein que je ne comprenais pas.
Sa stupidité se révélait parfaitement étanche.
Je sais que je ne puis trouver mes mots pour donner une idée de cette apparition, toute de noir et de blanc, semblait-il, vénérable, sans une goutte de sang sous la peau, le regard de feu, de puissance et une expression étonnante sur le visage - dérision ou angoisse, cruauté ou patience ?
Il m'a toujours été un mystère, comme un visage, parfois souriant, toujours sinistre, qui traverse un rêve déplaisant.
Qui, un jour, a dû supporter une charge plus lourde que ne le permettait sa résistance - le faible, l'ambitieux, l'aventureux, celui qui rêve de se sacrifier, celui que les nerfs trahissent - comprendra quelles souffrances morales j'endurais parfois.
Le soleil était très bas, à ce moment, et des ombres bleues s'allongeaient, rendues plus froides par le splendide contraste qu'elles formaient avec le ciel ensanglanté.
Une personne dont la présence coïncide, de toute évidence, avec une douleur ressentie par un être cher devient vite odieuse, même si nous ignorons son rôle exact dans cette souffrance. Je commençais à haïr le docteur Bryerly.
Elle éclata de rire - un rire qui n'aurait pas détonné dans la bouche d'une goule.
Je restai assise, attentive et émerveillée, émerveillée et attentive.
À l'époque, j'étais lectrice admirative des "Albums", des "Souvenirs" et des "Keepsakes", tout ce flot de livres qui s'offraient à Noël et qui irriguaient l'Angleterre de jolies couvertures, d'aimables gravures et d'élégantes fadaises - le lait, bien dilué d'eau, qui nourrissait alors les bébés de la littérature.
Même dans notre maison taciturne, il semblait tout à fait impossible qu'un ange passât parmi nous quand ma cousine était là.
Combien ses tendances à l'éternelle solitude devaient se révéler morbides, je crois, à en juger par l'éclat et le réchauffement qui accompagnaient un premier rayon de compagnie humaine, même passagère !
Je me sentais terrorisée, maintenant : je craignais qu'une fois terminée sa description, nous dussions traverser la forêt pour rejoindre l'endroit de merveilles et d'ombres où la mort devient visible.