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Invités : Gad Elmaleh et Judith Elmaleh
Gad Elmaleh : amour, humour et confession
Je jetai un coup d'œil autour de moi. Rien d'écrit, pas de livres, de carnets de recettes, ni de lettres, aucun mot pour consigner des moments de vie ou des idées. Comment conserve-t-on ses pensées quand on ne sait ni lire ni écrire ? Comment être sûr de ne pas les oublier ?
Peu importait la semaine que nous avions vécue, nos états d’âme du moment, nous avions l’assurance de nous retrouver en famille, propres et bien habillés, autour d’un repas de fête.
Je ne pouvais lui dire que, depuis que j’avais lu un livre expliquant les méfaits des glucides sur la mémoire, je ne mangeais plus de sucre. Je le remerciai chaleureusement, plantai la paille dans le couvercle et aspirai une gorgée. Le sucre me monta légèrement à la tête ; une ivresse enfantine que je retrouvai et qui m’amena à penser à Jules et à Mila. Étrangement, je ne me sentais ni triste ni coupable d’être partie. Ces quelques jours allaient soustraire ma tristesse à leur regard et j’étais soulagée de n’être sollicitée ni mentalement ni physiquement par eux.
Les yeux clos, je laissais mon esprit divaguer et me détachais de ce lieu, de son étroitesse. Je m’imaginais libre et me voyais survoler le mellah à toute allure. C’était fulgurant, je ne connaissais aucune limite. Le vacarme de la journée s’estompait, des images me revenaient par bribes, crépitaient sous mes paupières et s’évanouissaient à mesure que je m’élevais dans un espace cotonneux et silencieux.
Je devais l’admettre, il n’était pas l’unique responsable de ce fonctionnement ; nous l’avions construit à deux. Quelque part, j’étais rassurée par son incompétence stratégique qui me rendait indispensable à ses yeux, omnipotente pour mes enfants. Mais là, mon téléphone toujours serré dans la main, je me sentais pour la première fois inutile. Il semblait être en mesure de se débrouiller tout seul.
Ce fut la quintessence de l’incompréhension dans notre couple. Pour moi, il s’agissait d’un geste d’amour, même maladroit, mais lui y avait vu de la provocation et avait immédiatement effacé le méfait au papier de verre, en hurlant : « Du chêne du Tibet ! »
Ironie du sort, les seuls objets que je décidai d’entraîner avec moi furent ma batterie de sept casseroles italiennes hors de prix – que je m’étais offertes avec mon premier salaire en France. J’y avais brûlé une multitude de plats, elles n’en gardaient aucune trace et me suivaient dans chacune de mes vies avec une rutilance tapageuse et une solidité à toute épreuve.
Je ne m’étais pas observée dans le miroir, mais leurs regards, et le sourire ému de ma mère qui me contemplait comme un trésor, suffisaient : moi, la petite fille, je me sentais resplendissante.
Depuis qu’elle s’était remariée, elle vivait hors de nos murs, dans la médina. J’avais à peine quatre ans à l’époque de son départ, mais je me souvins que ce remariage avait créé des remous dans notre microcosme. Je laissais traîner mes oreilles ; les cancans des voisines m’avaient appris qu’elle était tombée sous le charme d’un garçon de dix ans son cadet, alors qu’elle était déjà mariée. Les deux amants avaient été démasqués, Hassiba dut divorcer, et finit par épouser le jeune homme fou d’amour.
Toute ma vie, mon père m'avait raconté des histoires pour ne pas me raconter son histoire. Et moi, des années plus tard, je me retrouvais ici, à ramasser des bribes de vérité.
Cet homme faisait désormais partie d’une autre vie, celle où, alors que j’étais fraîchement débarquée de Casablanca, je fus subjuguée par un architecte de trente-cinq ans aux yeux vert clair. J’avais dix-huit ans. Son empressement inédit envers la fille gauche et inexpérimentée que j’étais avait suffi pour que je me laisse porter. Il fut mon premier amant, le père de mon premier enfant et mon premier mari. Mon premier divorce, aussi, à vingt-trois ans.