Citations de Julie Bonnie (157)
Je ne sais pas si c'est un passage obligé, mais quand on a perdu un bébé on se rend compte qu'on peut donner la mort.
C'est une possibilité. Donner la vie/donner la mort.
Donner la vie donner la mort.
Le corps peut fabriquer l'un ou l'autre. Pas forcement par notre faute, pas du tout notre décision. On est dépossédé du choix.
J'ai parfois été cruelle. Pour rendre. Mais on ne se débarrasse pas des blessures en blessant.
Avec le temps, j’ai appris à montrer beaucoup plus que mon corps. J’ai exposé mes blessures, exhibé mes émotions. J’ai dévêtu mon corps puis déshabillé mon âme. Plus que mes seins ou mes fesses, j’ai fait danser mon sang, nue.
L'histoire était-elle un virus? S'est-elle, avec le temps, adaptée à mon organisme, à ms cellules est-elle incrustée dans tout ce que je suis maintenant?
Chaque fois que je vois un nouveau-né garçon, je me dis que j'ai un tueur dans les mains, un animal fou qui massacrera son voisin au nom de je ne sais quelles conneries de racisme, ou d'idée politique, chaque fois que j'ai une fille dans les mains, je me dis qu'elle est programmée pour avoir des chaleurs et reproduire un garçon tueur.
Elle a noté un truc dans son dossier et m'a dit au revoir, mais j'ai entendu pauvre fille, je lui ai répondu au revoir, mais j'ai pensé connasse.
Ce que l’hôpital préconise en ce moment changera bientôt, mais ce n’est pas grave.
L’hôpital a toujours raison et protège bien les bébés de la folie maternelle. (p.46)
Je voulais être danseuse. Je crois que ce qui m'importait le plus, à l'époque, c'était qu'on me regarde. Je passais des heures devant la glace, touchant mes hanches, attrapant mes seins. Je maîtrisais à merveille toutes les moues sexy des actrices qui paradaient sur les cartes postales en noir et blanc épinglées sur mon mur. J'étais Bardot, j'étais Monroe. Je me trouvais aussi belle qu'elles, et mon avenir était tout tracé. Danseuse, puis actrice. Je danserais, puis je serais repérée, puis je serais adulée et malheureuse et je mourrais. (...)
Montrer mon corps, que je trouvais sublime, est devenu, à cette époque, un besoin, une urgence. Oui, j'étais celle qui finit nue sur la table quand la musique est trop belle. J'étais une Marilyn de province, prête à tout montrer à chaque instant pour être "repérée", pour qu'on me regarde.
(p. 29-30)
[aux jeunes filles/femmes qui rêvent de gloire et se brûlent les ailes]
En général, c'est la césarienne en urgence. La dame coupée en deux. Quand la chirurgienne lui a découpé le ventre, elle lui a aussi découpé l'âme. Mais les chirurgiens ne savent pas ce qu'ils découpent. On leur a appris la chair, la peau, l'utérus, le muscle.
Pas l'âme.
Elle a un sourire magnifique. Francesca ne supporte pas l'injustice, ou l'hypocrisie.
Elle, elle ne se tait jamais.
A tel point d'ailleurs qu'elle est toujours en colère. Ses yeux virent au noir, elle regarde ses sabots, et quand elle relève la tête c'est un orage qui s'abat sur le monde. Cette fille a l'énergie de la tempête. Et ses couleurs.
Quand [mon fils] est né mort, j'étais triste, c'est sûr. Je n'avais jamais pensé que mon corps puisse fabriquer une autre mort que la mienne. J'ai grandi en pensant que j'allais mourir, puisque j'étais vivante, mais cette mort ne regardait que moi. Je n'ai jamais prévu d'assassiner quelqu'un, alors je n'ai jamais imaginé donner la mort.
(p. 104)
Des gazelles qui voient leur sœur se faire dévorer par les lions sans bouger, se disant dans leur cerveau de gazelle que si c'est la frangine qui se fait bouffer au moins ce n'est pas tombé sur elles, et que c'est mieux ainsi.
Moi, j'écoute la peau. La peau livre les secrets. Prenez un bébé dans vos mains et fermez les yeux. Oubliez que vous avez peur parce que vous croyez que vous allez le casser. Fermez les yeux et écoutez la peau, les muscles, l'ondulation des chairs. Laissez parler votre peau et laissez la peau du nouveau-né vous répondre. Vous entendrez une sonate de peau.
C'est comme ça.
Mais quand Francesca est là, les choses prennent de l'envergure. Francesca ne laisse rien passer. Elle ne se tait pas, elle épingle, elle arrête.
Elle tient tête, elle défend.
Elle ressort les dossiers et invective.
- Dites-moi, si vous aviez vécu l'accouchement tel qu'il est décrit dans ce dossier, ne seriez-vous pas en train de vous plaindre ?
A mon avis, plus que d'un "recadrage", c'est de la morphine qu'il faudrait à cette dame.
Je souris intérieurement, merci.
Francesca est juste, ne se laisse jamais aller au commérage, au lieu commun.
Heureusement qu'il y a des gens comme elle dans les hôpitaux, on devrait leur décerner des médailles.
Le petit frère attrape la main de sœur, et il espère vraiment très, très fort qu'il n'a perdu aucun de ses pouvoirs magiques. L'ours énorme comme une maison s'avance vers les enfants. La grande sœur le voit. Elle serre la main de son petit frère de toutes ses forces, elle transpire même un peu.
Dans leur chair, il y a des aiguilles.
Vivre en tournée, c'est le déracinement perpétuel.
Les pieds ne touchent plus terre, le cerveau est une brume.
On vous dit quoi faire, où aller, quand jouer
Avec le temps, j'ai appris à montrer beaucoup plus que mon corps. J'ai exposé mes blessures, exhibé mes émotions. J'ai dévêtu mon corps, puis j'ai déshabillé mon âme.
Paolo et Gabor m'ont fait une place, je n'en aurais trouvé aucune dans la vie si je ne les avais pas rencontrés. Je ne suis pas faite pour ce monde, pas plus maintenant qu'à l'époque.
Commence alors la présentation du service, chambre par chambre, femme par femme, âme humaine par âme humaine, drame par drame, vie par vie. En quelques mots : enfant, mort, anorexie, trisomie, hémorragie, déchirure, antécédents, pleurs, peurs, angoisse, nuit, crevasses, engorgement, tire-lait, solitude, mari, fausse couche, interruption médicale de grossesse, césarienne en urgence, utérus, ligature, psychosocial, infection, maltraitance, lien maternel, fragilité, dépression, périnée.