L’alcool n’aide en rien. Jamais. C’est juste une autre façon d’être au monde . Plus essentielle. Plus hasardeuse.
Les deux mecs chargés de la négociation se payaient nos têtes. Ils nous noyaient dans le jargon, nous perdaient à travers des termes administratifs. J’avais un mal fou à me concentrer. Ils nous baladaient comme des chiens. Ils disaient « Vous n’avez pas le choix. Il faut que l’usine tourne. Comprenez bien, si vous ne bossez pas, personne ne sera payé. Mettez-vous à notre place, les gars, si la proSol n’honore pas ses dernières commandes, nos clients ne nous payeront pas. Et c’est exactement cet argent qui payera vos indemnités. C’est aussi simple que ça. Fin de la discussion ».
- Mais ne va surtout pas t’imaginer que c’est facile de bosser pour une boîte qui te pourrit la santé et l’environnement. Ne va pas croire qu’on n’en a pas conscience et qu’on ne pense qu’à nos petites personnes. Surtout pas. On ne pense qu’à ça. Qu’à cette odeur poisseuse qui nous tourne autour à chaque geste et à chaque pensée. Et à vrai dire, on aime cet endroit autant qu’on le déteste.
L'alcool et la nuit me rendaient lucide
-Il y a un tas de trucs qui se sont créés parce que la ProSol existe. Sans elle, on serait sans doute en train de dormir sous des cartons dans les quartiers ouest, à faire deux mille bornes en bus chaque année pour ramasser les oranges de l'AOOR ou pour vider la merde de croco dans le Rauc.
L'alcool et la nuit me rendaient loquace
- La plupart des gars sont venus ici parce qu'il y avait du travail et qu'ils n'étaient pas trop regardants sur le personnel . Ils se sont installés. Et avec la ProSol ils ont eu un petit moment de répit dans une vie sans gloire. Beaucoup sont là depuis un moment. C'est leur histoire ici. Avant, ça ne compte plus.
Ce campement était un bidon d'essence qui n'attendait qu'une mégot pour s'embrasser.
Sa voix enfantine emplissait la baraque. Mélancolique et belle. J’ai passé mon mégot sous le robinet. La harpe résonnait contre les poutres. Je suis allé prendre une douche.
- On y a passe des nuits et des jours entiers. Pour beaucoup, on y a laissé notre santé. (...) Nos maisons, nos peaux et nos âmes sentent le styrène et le polyéthylène. Quand on est là-dedans, on EST là-dedans. On en fait partie.
Ces types grignotaient les chairs qui pendaient sous nos corps en riant à pleines dents.