Dès les premières lignes du roman, l'odeur et le goût du plastique sont là et ne nous quitteront pas, tout comme elles ne quittent pas Calvin. Il est le narrateur. Il est cet homme qui travaille de nuit à l'usine pétrochimique ProSol « La chimie au service des environnements » : revêtements plastiques, peintures et solvants, chimie fine, agriculture, agroalimentaire, parfums de synthèse, recherche et développement, innovations en carburant durable et écologique, c'est ce que l'on peut lire sur le panneau rouillé à l'entrée du site. Pas d'autre choix possible que ce travail.
Surnommé « le chimiste » par ses collègues de travail, il vit seul avec son chien Job, il a un frère marié et sa mère qui perd un peu la mémoire est soignée dans un établissement.
La vallée de la Bez dans laquelle s'écoulent les eaux polluées de la ProSol, le Rauc, vers lequel sont acheminés les produits chimiques fabriqués par l'usine pour le traitement des orangers de l'AOOR et le bourg proche de Poghorn sont le décor fictif de ce roman noir.
Bières et alcool permettent d'évacuer les tensions, et un peu d'affection est trouvée auprès des prostituées. Mais, pour fuir cette réalité, Calvin a trouvé un moyen qui lui permet en plus d'améliorer ses revenus. Il fabrique des bonbons avec « les mycéliums d'
Amanita muscaria, les tue-mouches, les rouges avec les points blancs », une drogue qu'il appelle la Mô. Il se définit d'ailleurs ainsi : « le frère aîné, l'ouvrier dealer de Mô qui vivait dans une cabane de palettes au milieu d'une vallée parcourue de nuages toxiques ».
Deux évènements vont perturber très sérieusement cette routine, quand Kimiyo, la femme de son frère frappe à sa porte, le visage en sang, celui-ci l'ayant frappé et plus tard, quand la télé annonce que la ProSol va fermer l'usine pour une délocalisation.
L'usine est une source incommensurable de pollution et ses rejets imprègnent l'atmosphère de toute la région d'une odeur de plastique et de produits chimiques. La ProSol nuit fortement à la santé des gars qui y travaillent, tout en leur fournissant un emploi qui leur permet de vivre, là est l'ambiguïté. Et, du jour où l'annonce de la fermeture intervient, la question va se poser de savoir ce que vont bien pouvoir devenir ces gens.
Amanita concentre en un seul lieu une extrême noirceur, l'exploitation à outrance de l'homme par l'homme dans un seul souci de rentabilité faisant fi de sa santé, sans se soucier aucunement du respect de la nature.
Julien Guerville, dans cette fiction évoque cette industrie polluante qui met à mal l'homme et son environnement et qui n'hésite pas à délocaliser pour des profits encore plus grands sans se soucier des dégâts humains. Il raconte aussi ces hommes qui essaient de s'unir et font preuve de solidarité à la fois dans le travail, mais aussi face à la perte de l'emploi et qui doivent également faire face aux écologistes très déterminés. La grève et l'occupation de l'usine de même que les négociations et les manipulations dont font preuve les dirigeants et les politiques ne sont pas oubliées. Et comme pour faire oublier tout cet univers sombre et en même temps l'enlaidir davantage, le trafic de produits stupéfiants.
Et pourtant dans cette noirceur et cette odeur dont on ne peut se défaire, quelques rais de lumière brillent çà et là. Il y a la poésie de Kimiyo, la chaleur des copains de Calvin, la tendresse que celui-ci porte à sa maman Michelle qui le confond soit avec son frère soit avec son père quand il lui rend visite et ce moment tellement touchant quand elle affirme et soutient que Paul Mac Cartney a écrit la fameuse chanson pour elle ! Une playlist accompagne d'ailleurs le bouquin.
Une belle écriture, un style percutant, des phrases courtes servent un ouvrage dérangeant et oppressant qui nous plonge dans des problèmes, hélas bien contemporains.
J'ai eu cependant un peu de mal à me sentir impliquée dans cette histoire, peut-être est-ce dû à cette atmosphère si particulière et terriblement glauque.
Mais comme le dit Éric Frasiak, à la fin de sa chanson « Un truc comme ça » https://www.youtube.com/watch?v=¤££¤25De La Bez31¤££¤0&list=¤££¤17De La Bez31¤££¤0&start_radio=1: « Faut pas croire tout ce qu'on dit, le monde va pas si mal…J'suis vraiment convaincu qu'avec le nombre qu'on est, On s's'rait d'jà bougé l'cul si tout ça c'était vrai »
Pas du tout étonnant que
Amanita fasse partie de la sélection de la 13ème édition du Prix Orange du Livre, tant
Julien Guerville avec cette première fiction nous offre un roman social terriblement actuel, très original duquel se dégage une poésie noire, très noire.
Je remercie Lecteurs.com et les éditions Calmann-Lévy pour m'avoir offert cette belle découverte !
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