Ces dernières semaines, Arthur était vraiment devenu un ami, c'était la personne avec qui je parlais le plus. Je ne savais rien de lui (dans la vraie vie), mais je savais qu'il était simple, qu'il aimait rire. Nous avions découvert nos pouvoirs dans la joie et, en très peu de temps, nous avons partagé des moments si intenses que je m'en souviendrais toujours.
La mathématique est une science dangereuse : elle dévoile les supercheries et les erreurs de calcul.
Ce matin-là donc, je courais et l'affiche pour la cité m'a tapé dans l’œil. Je me suis arrêté brusquement et je suis revenu en arrière pour observer cette photo, très réaliste,d'une ville qui me semblait tout à la fois familière et inconnue, accompagnée de ces mots :
Dans la Cité tout peut arriver.
Plus loin une autre affiche, sur une autre photo de cette ville étrange en noir et blanc et en couleurs, il y avait d'autres mots :
Quel est le but du jeu ?
J’ai commencé par le début. Par la première image de La Cité, l’affiche que j’avais vue avant de prendre le métro. Je lui ai tout raconté. Tout. Et à mesure que je racontais, j’ai compris.
Oui, je crois que j’ai compris.
Il me faut parfois de longues minutes, lorsque je sors de La Cité, pour me réhabituer à ma chambre et me persuader que le monde dans lequel je vis est bien celui-ci, où je dois presque tous les jours aller au lycée, rendre des comptes à mon père, ruser, et non La Cité où, tout le temps, j'ai le sentiment de véritablement exister et où j'ai l'impression ou plutôt la certitude, de vivre mille fois plus intensément.
De toute évidence, l'Oracle n'était pas un joueur - ou alors un joueur bizarre : quand Boris avait réussi à défaire sa chaîne, il avait refusé de partir et était resté dans l'obscurité à réciter de manière hésitante :
"- C'est... ici que... cha...cun... se crée..."
AVERTISSEMENT
Attention, arnaque !
A quoi bon devenir Uniques
si c'est pour être tous identiques ?
Je me souviens des premières publicités pour La Cité.
Je ne suis pas du matin. Je n'aime pas me lever, ou plutôt je n'aime pas me lever pour aller au lycée. Je n'aime pas non plus prendre de petit-déjeuner, mais mon père me force. En revanche, et quoi qu'il arrive, j'aime rester longtemps sous une douche bien chaude. Résultat, tous les matins, je suis en retard et je dois courir vers le métro, place de la République, pour aller quatre stations plus loin, à Bastille, et courir encore pour rejoindre le lycée Charlemagne, où mon père m'a inscrit en me disant que j'y serais bien mieux qu'à Turgot, qui est à dix mètres de chez nous.
Ce matin-là, donc je courais et l'affiche pour La Cité m'a tapé dans l’œil...
Qu'est-ce que je savais, en vérité ? Pas grand-chose. Que Jonathan m'évitait. Que les jumeaux attisaient la curiosité. Pas de quoi avoir peur.
Pourtant, j'avais beau me répéter ces arguments, j'avais beau savoir qu'il ne s'agissait que d'un jeu, la nuit dans mon lit, ma journée au lycée ou ici, là, maintenant, j'avais peur. Très peur. Lorsque je me disais : "Qu'est-ce qui pourrait m'arriver ?", je pensais : "Tout !" Et ce tout m'apparaissait aussi vertigineux que plonger dans le vide.
Tout m'a troublé, tout me trouble, comme me trouble le rasoir lorsque je fais semblant de me raser, comme les bruits me troublent. (p. 59).