Les pleureuses de
Katie Kitamura aux éditions Stock
« Christopher avait tous les droits de disparaître sans que je le pourchasse. Mais partir si longtemps sans laisser de mot ? N?y avait-il pas quelque chose d?étrange ? »
La narratrice est séparée de son mari, Christopher, depuis six mois mais personne ne le sait. Quand sa belle-mère l?appelle pour lui dire qu?il a disparu, elle accepte de partir à sa recherche dans le Péloponnèse. Elle s?installe dans l?hôtel où il a été vu pour la dernière fois, et les jours passent sans que Christopher réapparaisse...
Dans cette campagne grecque ravagée par les incendies, la jeune femme retrace l?histoire de leur relation et interroge sa propre responsabilité dans l?échec de leur mariage.
Traduit de l?anglais (États-Unis) par
Denis Michelis
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les-pleureuses.html
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Les pleureuses sur le site de la librairie en ligne www.lagriffenoire.com
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Si seulement j'étais venue un mois plus tôt ! Plusieurs personnes étaient mortes dans les incendies, et le chant des pleureuses avait retenti partout dans la région.
Je me rappelle avoir été étonnée par la puissance du rituel, par ce cérémonial qui consistait à prononcer ces mots qui en devenaient profonds, presque délirants. Et soudain j'ai compris que cette expression - Je le veux- resterait à jamais liée à une autre, archaïque tout autant qu'insensée, jusqu'à ce que la mort nous sépare, une expression morbide et en apparence déplacée pour décrire un événement supposé heureux, mais dont la finalité demeurait univoque : rappeler aux participants le pari un peu fou qu'ils faisaient en prenant part à un tel acte, l'acte de mariage.
Lorsque nous sommes enfants, les mots sont plus légers que l'air : je crie je te déteste et ça ne veut rien dire, tout comme je t'aime. Mais à l'age adulte, ces mots sont choisis avec le plus grand soin, ils ne glissent plus sur nos lèvres avec la même facilité. Je le veux en est un autre exemple : voilà une expression qui, pour un enfant, n'est rien de plus qu'une réplique de théâtre, un simple jeu, mais qui prend du sens en grandissant.
J'ai fini par emménager chez Yvan trois mois après m'être séparée de Christopher. En tant que journaliste, Yvan jouissait d'un train de vie confortable sans être luxueux. Il possédait beaucoup moins de chose que Christopher, mais elles semblaient revêtir plus d'importance à ses yeux, et comme je voulais me montrer accommodante, j'y ajoutais les miennes avec une facilité déconcertante.
C'était là un des dilemmes auquel une femme est parfois confrontée, auquel nous sommes toutes confrontées : fasciner un homme sans faire d'effort, un homme qu'on ne désire pas, qui nous suit comme un chien, et peu importe qu'il ait été battu ou maltraité alors que toutes nos tentatives pour piéger l'autre, l'homme réellement désiré, sont réduites à néant.
Au final, qu’est-ce qu’une relation, sinon deux personnes, et entre ces deux personnes un espace de surprises, de malentendus, de choses inexpliquées. Une autre façon de le formuler serait peut-être de dire qu’il y aura toujours de la place entre deux personnes pour un imaginaire voué à l’échec.
Le résultat de cette prolifération de photos - sur nos portables, nos ordinateurs, Internet - n'a rien d'une nouvelle forme de sincérité ou de vraisemblance, au contraire: la photographie a rendu notre quotidien plus artificiel encore.
Au bout du compte, il ne fallait qu'une décennie pour être chez soi quelque part, ce qui n'était pas très long.
Toute histoire d'amour exige un décor et un public, même - ou devrait-on dire surtout - les plus sincères d'entre elles. L'amour n'est pas quelque chose qu'un couple peut réaliser seul, vous et moi ne suffisons pas, être ensemble ne suffit pas, une seule fois n'est pas assez, il faut recommencer sans cesse. L'amour a généralement besoin d'un contexte pour grandir, il se nourrit du regard des autres.
J'avais été complice de mon propre effacement.