[…] la fenêtre scellée de sa petite enfance ne se serait jamais ouverte à nous et je n'aurais jamais pu comprendre que ma babouchka venait d'un Varsovie qui n'existe plus, que nous sommes de là-bas, que je le veuille ou non, de ce monde perdu […].
[…] la loi de la guerre était plus forte que n'importe quelle croyance.
[…] il n'y avait plus d'avant, et le souvenir restait la seule preuve du passé.
Nous étions heureux, et tout en moi s'opposait à la phrase que nous avait transmise Léon Tolstoï, selon laquelle toutes les familles heureuses se ressemblent tandis que chaque famille malheureuse l'est à sa façon, une phrase qui nous attirait dans un guet-apens en réveillant notre penchant pour le malheur, comme si seul le malheur méritait qu'on en parle et que le bonheur fût vide.
L'Histoire, c'est quand il n'y a soudain plus personne à questionner, seulement des sources.
"Lorsque Lida, la soeur aînée de ma mère, est morte, j'ai compris ce que signifiait le mot Histoire. Mon désir de savoir était mûr, j'étais prête à faire face aux moulins à vent du souvenir, et puis elle est morte. Je suis restée le souffle coupé, prête à questionner ; si ç'avait été une bande dessinée, ma bulle aurait été vide. L'Histoire, c'est quand il n'y a soudain plus personne à questionner, seulement des sources. Je n'avais plus personne à interroger qui pouvait encore se rappeler cette époque. Il me restait des bribes de souvenirs, des notes douteuses et des documents dans de lointaines archives. Au lieu de poser les questions à temps, j'avais avalé le mot Histoire de travers. Etais-je devenue adulte parce que Lida était morte ? Je me sentais livrée à l'Histoire".
[…] si tant est que l'on puisse qualifier de but le besoin de chercher ce qui a disparu, […].