Il fallait se former, faire des études, pour ensuite trouver un métier. Mais pour quoi faire? Et dans quel but? Travailler, gagner de l’argent et vivre l’aventure par procuration, en regardant la télévision chaque soir? Certes, ce monde qui m’était proposé offrait une sécurité certaine. Mais je le trouvais fade. Pis encore, il me semblait morbide. En fait, je ne voulais pas du raisonnable. Ce que je désirais, c’était résonner avec le
monde.
Ne plus retrouver le chemin me mit dans un état d'anxiété inconnu jusque là. Je réalisai que cet état était en fait présent depuis le début de mon périple. Dès mon départ de Whitehorse, même ! Balayant la forêt à la recherche du sentier égaré, je commençai à comprendre qu'il en allait de mon identité: à chaque fois que je m'étais rapproché de mon but, j'avais dû me départir d'un des fils qui me rattachaient au monde humain. A y penser, ma quête pouvait ainsi se résumer en un décorticage méticuleux de mon humanité. Et cela me laissait une sensation de vide que je ne savais pas encore combler.
La lune était déjà haute dans le ciel lorsque nos motoneiges touchèrent la surface gelée du lac. Rose était un grand lac pour la région. Il était "aussi grand que les montagnes" m'avait dit Andy un jour. Je compris le sens de ces mots à ce moment précis: sous un ciel immense, porté de part et d'autre par les piliers célestes que formaient les sommets environnants, Rose Lake avait perdu tout horizon pour se diluer dans la noirceur des cieux.