Citations de Laura McHugh (32)
On ne choisit pas son destin, mais on reste au moins libre de s'y soumettre ou pas.
Toutes les causes ne sont pas perdues d'avance. Il faut d'abord tenter quelque chose avant de baisser les bras.
Enfant, je prenais plaisir à explorer cette partie de la maison, toutes lumières allumées, à fouiner dans des malles à l’odeur de moisi, à sortir les vieux maillets de croquet dont personne ne se servait plus depuis des années, ou à chaparder des bouteilles de Coca de grand-père dans des caisses sous les marches.
Ce n’est pas facile de retrouver quelqu’un quand on n’a pas la moindre idée d’où il a pu passer. Et ils avaient d’autres priorités qu’un ado fugueur.
J'ai lu un jour dans un manuel de développement personnel que mener à bien une tâche simple et la rayer de sa liste de choses à faire donne l'assurance nécessaire pour se coller à d'autres plus ardues. Peut-être que terminer le descriptif de la maison me motiverait pour m'atteler à plus difficile : m'organiser à Keokuk une vie digne de ce nom.
J'avais beau vouloir m'y réfugier, le passé ne correspondait plus à rien de réel, et j'y aurais vite étouffé. Impossible de faire machine arrière. Chaque fois que nous laissons de l'air entrer dans nos poumons commence un nouvel instant.
Avant de m’en aller, je fermai les yeux et murmurai une prière aux saints soumis à l’épreuve du feu, les implorant de veiller sur nous tous, les disparus, les retrouvés, les vivants et les morts, et de nous éclairer sur le chemin qui nous ramènerait chez nous, où que ce soit.
La mémoire, comme je l’ai appris à mes dépens, n’est pas fiable ; elle convertit la réalité en une ombre mouvante. Mme Ferris pouvait se tromper au sujet de ce coup de fil comme elle pouvait avoir raison. Peut-être maman était-elle convaincue du bien-fondé de ce qu’elle m’avait dit. Peut-être que dans son esprit passait en boucle sa propre version de ce terrible après-midi comme la mienne se jouait dans ma tête. Peut-être la croyait-elle conforme à la réalité. Même si ce n’était pas le cas.
Chaque jour, des enfants disparaissaient, des familles entières se faisaient assassiner, et des femmes échappaient à leurs ravisseurs après des années d’indescriptibles tourments, emprisonnées dans une cave. Le décès des jumelles Arrowood ne retiendrait pas longtemps l’attention, du moins en dehors de Keokuk.
Telle une flamme qui se propage le long d’une traînée d’essence, la lumière se fit dans mon esprit. Ce rêve où les jumelles étaient encore à la maison, ce rêve qui m’avait paru si réel que j’y repensais encore pour en tirer un profond soulagement – même de courte durée… Ce n’en était pas un mais un souvenir.Je me redressai. Ma mère me lâcha les mains. Son regard errait sur l’œuvre d’un peintre du dimanche, au mur ; un berger auprès d’un agneau, aussi mal proportionnés l’un que l’autre, sans même parler de la perspective aberrante.
J’aimais l’histoire pour cette raison, pour cet avantage qu’elle conservait sur le présent d’englober l’ensemble de ma famille, tous ceux que j’avais perdus au fil des ans : mes sœurs, oncles et grands-parents, mes lointains cousins, les trois autres Arden. Il suffit de revenir assez loin dans le passé pour renouer avec l’époque où tout le monde vivait encore.
On tombe amoureux et ce qu’on ressent nous dévore comme un feu.
Ma mère en avait assez de trimballer le passé. Elle souhaitait se délester de tout ce qui composait son histoire personnelle, se renouveler et se purifier, vivre une vie exempte de la poussière, du chagrin et des souvenirs qu’elle aspirait à laisser derrière elle. En un sens, je n’allais pas le lui reprocher.
Ce qui me démolissait, c’était d’avoir moi-même aiguillé l’enquête sur une fausse piste. À présent bien obligée d’admettre que Singer n’avait pas enlevé les jumelles, je devais aussi reconnaître que mes souvenirs comportaient des lacunes. Je me repassais dans ma tête le même film en boucle depuis près de vingt ans.
Le sphinx symbolise les mystères de l’existence. La roue de la fortune est imprévisible. Elle marque un tournant. Tout dépend de l’orientation qu’elle prendra et de l’attitude que vous-même adopterez en conséquence. On ne choisit pas son destin, mais on reste au moins libre de s’y soumettre ou pas.
Je suis née au confluent de deux cours d’eau, songeai-je. C’est le Mississippi qui aimante mon cœur comme une boussole.
Tout à Arrowood est inexplicablement humide.
La diseuse de bonne aventure me parut plus jeune que je ne l’escomptais – plus jeune que moi –, ce qui ne m’inspira pas confiance, encore qu’en toute honnêteté aucune diseuse de bonne aventure ne m’inspirait vraiment confiance. Madame Yvonne était de ces filles que j’enviais depuis toujours, à l’abondante chevelure noire et luisante. Implantée en V sur son front, elle lui drapait le dos et les épaules. De longues pendeloques dorées brillaient aux lobes de ses oreilles.
Certains les croyaient saines et sauves, ravies par un couple prêt à tout pour avoir des enfants, qui les traitait bien. D’autres les imaginaient retenues captives et donc susceptibles de s’échapper un jour comme Jaycee Dugard et Elizabeth Smart. Plus d’une théorie se focalisait sur leur valeur potentielle due à leur rareté sur le marché noir : où de vraies jumelles blondes au teint clair atteindraient - elles le meilleur prix ? La plupart les supposaient toutefois assassinées puis jetées dans le Mississippi peu après leur enlèvement.
D’aucuns crurent reconnaître les jumelles un peu n’importe où aux États-Unis et même à l’étranger, mais aucune piste n’aboutit. L’émission de télé « Mystères non élucidés » contacta mes parents en vue de consacrer un épisode au rapt. Maman et papa refusèrent. Trop douloureux, prétendirent-ils. Et le programme risquait de verser dans le sensationnalisme sans aboutir à quoi que ce soit.Parmi tous ceux qui crurent apercevoir mes sœurs, un témoin en particulier aiguilla les enquêteurs vers une piste prometteuse : une vieille dame qui vit deux petites filles blondes pieds nus dans un champ de maïs de l’est du Nebraska au printemps 1997. Elles se tenaient par la main et portaient des chemises de nuit roses trop petites et légères pour la saison. La dame estimait leur âge à cinq ans, celui qu’auraient eu les jumelles à ce moment-là.
Maman aurait été vexée de constater que son ex-amie et rivale vieillissait si bien. Aussi fluette qu’une brindille, elle arborait un teint lumineux comme sous l’effet d’un gommage agressif. Pas une seule de ses mèches couleur café ne dépassait de son carré à hauteur d’épaules. J’actionnai la pointe rétractable du stylo posé sur le calepin en travers de mes cuisses, au rythme du balancier de l’horloge comtoise dans un coin.