Les flocons se posent sur ton nez, tes joues, tes sourcils. Ta peau craquelée scintille et une cloche sonne, mais la musique ne nous atteint pas. Toi, moi, tricotés. Nous marchons. Nos pieds laissent des pas derrière, la route est belle. Au bout, un château. Je répète ton nom dans la neige. Je l’écris sur mes mitaines. Tu les enlèves, souffles dessus avec la buée de ta bouche en cœur. Fais fondre. Ton nom.
La morale, les convenances, le savoir-vivre, on a inventé ces choses parce que les gens heureux font chier les autres.
Avez-vous vraiment besoin de faire savoir à la planète entière que vous avez trouvé quelqu'un avec qui échanger votre bave?
Le lac est profond. Des hommes, tous les jours, se noient et coulent. Tu plonges. Dans les lacs. Tu n’as pas peur. Tu es grand et fort. Tu tires sur tout ce qui bouge. La reine crie. Éclate, en pétales. Tu restes calme, concentré. De tes gestes calculés choisis une carte. Le valet, les cartes, font des châteaux. Face à découvert, tu me tiens. Je te tiens. Le premier qui rit.
Maintenant, ce sont les chiens qui hurlent à la lune. Ils s’accrochent au flanc des montagnes et étirent le cou, des bonnets de dentelle sur le crâne. Au bord de la route, il reste des carcasses d’animaux, de poupées, de banquiers, de joueurs de pétanque, qui attendent d’être gonflées à nouveau. Des cris accablants, frénétiques, qui nous font hurler à notre tour.
Malgré la douleur, l’idée de t’effacer me rend malade. Et on oublie si on n’active pas constamment les chemins de la mémoire. J’ai l’impression, en parlant du difficile, de te trahir, de nous trahir. Comme si je rendais toute cette histoire confuse, tordue, compliquée. Il faut croire que j’ai besoin d’aller jouer par là, voir ce que ça peut m’apprendre.
Pourquoi est-ce que je n’ai pas parlé plus de ce qui t’arrivait, pendant que ça se passait?
J'ai les bras pleins de trous et quand je perds des gens, je regarde mes mains vides et mon lit froid, et je constate qu'il me manque un bout de moi.
Comment réconcilier l’idée que tu m’aimais, que tu aimais notre histoire, notre vie, avec le fait que tu t’es tué ?
À ta veillée funèbre, on m’a donné une orchidée. Ma première pensée : quel geste étrange, comment quelqu’un peut s’attendre à ce que je garde vivant un autre être vivant – je ne suis, de toute évidence, pas qualifiée. Comment gérer ce stress supplémentaire ? Malgré que le geste m’ait touchée, c’était surtout un poids. La fleur a passé un moment dans notre cuisine avant d’atterrir à l’atelier. Aujourd’hui, elle a une drôle de forme. Elle a poussé comme un grand fouet incertain – mais elle vit encore. Il y a même des petites tiges qui poussent là où ça semblait mort il y a quelques semaines. Je la regarde pendant que j’écris cela : deux fleurs blanches qui ont, contre toute attente, survécu.
Je ne peux accepter que la vie ne soit rien de plus que la somme des jours qui s'allongent.
Une présence à la fois lourde et immatérielle, pourtant si palpable, attachée à la base de ma colonne, au sacrum, un cancer, tiens, que j’essaie de garder sous contrôle. Est/ce que ça ressemble à ça, les résidus de l’absence ?