Laurence Tellier-Loniewski - Les Arrangeurs
Laurence Tellier-Loniewski présente Les Arrangeurs (Gallimard, 2009)
- Tu sais ce qu'il vient de me dire, ce trou du cul ?
- Quel trou du cul ? demande Franck platement. Celui de la préfecture ?
- Mais non, celui de la sécurité sociale.
Emeline comprend qu'il est question d'un dossier égaré pour la seconde fois par la caisse primaire d'assurance maladie, et que le correspondant de Malika a l'audace de chercher à lui faire porter le chapeau.
Putain de sa race.
- Quelque chose ne va pas Malika ?
Jean-Marc fait irruption dans le bureau des assistants sociaux, créant un effet de surprise. D'habitude, il frappe avant d'entrer. Ce n'a pas été le cas.
- C'est cet enfoiré... commence Malika.
- Vous voulez dire cet interlocuteur indélicat ?
Malika parait déstabilisée. Juste un instant. Quand elle braque sur Jean-Marc des prunelles allumées comme des grenades, on comprend que le directeur du Centre n'aura pas le dessus.
- Indélicat, mon cul !
Elle frappe à la porte en criant : C'est moi. Un petit soudanais maigre et hardi tente de s'introduire à sa suite. Bien tenté, mais chacun son tour, dit Franck en s'interposant de son mètre quatre-vingt-dix. Beau joueur, le Soudanais rit aux éclats. Ses grandes dents blanches largement découvertes telles les touches d'un piano rappellent à Emeline l'affiche publicitaire pour le Banania encadrée dans la cuisine de sa grand-mère que nos sociétés d'aujourd'hui jugent scandaleuse.
Aux abords de l’été, nous traversâmes une ère de turbulences. Un épisode maussade, émaillé de giboulées et fortes chutes de température, s’installa durablement, balayant les promesses d’un printemps précoce. La vague de chaleur soudaine qui y mit fin nous anéantit par son intensité. À peine nos organismes chamboulés eurent-ils développé quelques défenses que les bourrasques revenaient en force, charriant un air acide pulvérisé de pollen, qui rendait fou.
Le coupable fut identifié : c’était le dérèglement climatique.
Le dérèglement climatique grippa les rouages de la mécanique résidentielle.
Les uns après les autres, nos parents se mirent à disparaître.
au piano, le temps suspendu qui précède l’attaque, cet instant de pure intensité capable de contenir toute une œuvre concentrée comme la matière avant l’explosion du big-bang.