Interview de Laurent Mottron sur la pensée des autistes.
Contrairement aux sourds qui ont créé de toutes pièces leur langage, les personnes autistes partent du langage et des objets de l'environnement auxquel ils sont exposés pour créer un univers qu'ils peuvent traiter. (...) La socialisation des sourds se fait par les gestes, la socialisation des autistes se fait par l'écrit.
La thèse que nous défendons ici est que les souffrances psychologiques des personnes avec TEDSI - leur anxiété, leur dépression, leurs colères, les moments d'intense désarroi qu'ils éprouvent tout au long de leur vie - découlent directement de leur confrontation au monde des non-autistes et des particularités de leur traitement de l'information.
Les non-autistes appartiennent à un monde où ils sont majoritaires. Ceci leur donne des droits et des devoirs. Dans un système de santé et d'éducation occidental, une personne autiste, de par sa différence, se trouve considérée comme porteuse d'un handicap, ou d'une maladie.
En plus de rendre accessible des connaissances scientifiques actuelles en matière d'autisme, un des buts de cet ouvrage est de prendre position en faveur d'une conception de l'autisme comme « différence caractérisant une minorité constitutive de la diversité de l'humain » et non comme une maladie ou même comme handicap. Seul le composant « déficience intellectuelle », lorsqu'il existe de façon stabilisée dans l'autisme, représente un handicap. C'est donc également notre rôle de défendre une conception du support aux autistes dans laquelle l'intégration au monde dominant s'accompagne d'une valorisation de cette différence.
Le but du support (aux personnes autistes) n'est pas de les rendre pareils aux non-autistes mais de leur permettre d'accèder aux matériaux qui constituent la culture humaine au sens large, incluant la leur.
La transmissions aux autistes de la culture et des valeurs de la majorité doit permettre d'accepter qu'ils détournent cette culture et ces valeurs, et qu'ils ne les utilisent pas de la même façon que des personnes typiques.
L'accès au statut de minorité - celui que les plus éclairés des personnes autistes défendent actuellement, et celui que nous soutenons - nécessite un long chemin, et l'abandon de multiples préjugés.
Dans le modèle de l'autisme comme variant développemental, on intervient sur les signes non sociaux, partiellement distincts de ceux par lesquels on diagnostique l'autisme. On n'attribue pas le déficit adaptatatif de l'autisme en premier lieu à ses signes sociaux ; on attribue l'ensemble des atypies autistiques à un mécanisme "domaine général", indépendant de la distinction entre cognition sociale et cognition non sociale.
Familles et professionnels se doivent d'observer l'enfant dans un milieu enrichi de matériel susceptible de l'intéresser, afin de détecter ses intérêts, en se débarrassant des grilles de lecture diagnostiques ou, évidemment, psychanalytiques.