Donner la vie, c’est donner des possibilités de joie et des souffrances certaines. « Les biens et les enfants sont l’ornement de la vie de ce monde. Cependant, les bonnes œuvres qui persistent ont auprès de ton Seigneur une meilleure récompense et suscitent une belle espérance », sourate XVIII (La caverne), verset 46. Il n’a pas de sex-appeal, monsieur Mouskir. Il a une voix douce et une manière délicieuse de parler en usant de métaphores et d’hyperboles tout en glissant la langue sur ses lèvres. Toute sa puissance réside dans sa verve et ses manières : « Aujourd’hui, en marchant vers le lycée, j’ai vu des roses. Leur couleur m’a rappelé les joues de Samira. Je me suis penché, j’ai humé une rose et je me suis dit que Samira appartenait à la famille des fleurs. Samira mon amour, ma rose, ma beauté. »
Après la religion, ce sont les questions de cœur dans leurs diverses déclinaisons qui lui valent la plus grande attention de l’auditoire. Cela concerne le corps féminin, la fornication et son amour pour Samira son épouse. Monsieur Mouskir voue un culte aux femmes (ou plutôt une obsession), et en première ligne à cette pauvre Samira, l’héroïne du feuilleton rose qu’il nous raconte à chaque séance. Tous les cours commencent par une prière pour Samira, que Dieu lui accorde le bonheur de la maternité.
La tache noire sur son front certifie d’une saine comptabilité religieuse et de son acquittement des cinq prières quotidiennes auxquelles s’ajoutent les surérogatoires. Tout se comptabilise. Tout se paye, si ce
n’est sur terre, dans l’au-delà.
Garçon Caméléon n’ose pas m’aborder. Plus il n’ose pas et plus j’ose, plus il baisse les yeux et plus la jupe remonte. J’aimerais me maquiller et lui être belle à cet amour. Je me sens attirante et je m’asperge copieusement d’eau de Cologne Nenuco.
Pour le maquillage, je n’ai pas le droit. Sur recommandation de Kenza, j’ai prétexté un mal chronique des yeux et j’ai réussi à me procurer une fiole de khôl.
Tout se paye. En contrepartie du stationnement sous notre balcon et des bidons d’eau que nécessite l’entretien de son étal, Garçon Caméléon paye lui aussi. C’est moi quiles lui remplis. Je m’arrange toujours pour cela. Je remonte ma jupe, j’esquisse un sourire ostentatoire devant le miroir et je dévale
l’escalier pour le servir, mastiquant un
J’en conclus que certaines choses changent en fonction de la lumière du jour, de la mine du ciel, ou peut-être du désir que je peux susciter chez un homme. À cause de ce dernier détail, et parce qu’il s’appelle Kamel, je l’ai surnommé Garçon Caméléon.
... et pour qu’un garçon me soit beau, il faut qu’il ait les cheveux longs comme une femme. Il n’a pas ce qu’on peut appeler un physique. Je le trouve objectivement très passable, mais à force de l’observer de mon perchoir j’ai fini par attraper le love virus.
Trois femmes qui vivent sans sujétion masculine ne sont pas fréquentables. Cette idée est ancrée en moi. Je n’ai donc jamais eu d’autres amies que Kenza, et Tifa ne voit pas cette amitié d’un bon œil.