Citations de Léon-Gontran Damas (68)
Hoquet
Extrait 1
Et j’ai beau avaler sept gorgées d’eau
trois à quatre fois par vingt-quatre heures
me revient mon enfance dans un hoquet secouant mon instinct
tel le flic le voyou
Désastre
parlez-moi du désastre
parlez-m’en
Ma mère voulant d’un fils très bonnes manières à table
les mains sur la table
le pain ne se coupe pas
le pain se rompt
le pain ne se gaspille pas le pain de Dieu
le pain de la sueur du front de votre Père
le pain du pain
…
Je suis né disais-tu au bout …
Extrait 10
Et n’enlevaient ce fort goût d’amertume
que laisse à la bouche au réveil une nuit d’insomnie
ni la tiédeur du soleil matutinal qui ranimait déjà toutes choses
ni la volubilité des vieilles édentées en madras calendé
martelant la chaussée d’aise au sortir du premier office
où le dieu de la veille
fut à nouveau loué
glorifié prié
et chanté à voix basse
ni l’odeur rose des dahlias du jardin qu’argentait la rosée
ni les cris savoureux de la rue qu’assoiffaient
la bié nan-nan
côrôssôl
papaye
coco
Et la maison était triste et basse
où la vie se déroulait mollement
en bordure de la rue étroite et silencieuse
qu e le bruit de la ville
traversait à peine
Je suis né disais-tu au bout …
Extrait 9
Le mot sale entendu quelque part et qu’un jour
mine de rien
tu servirais à table
au risque de te voir
ou privé de dessert
ou privé de sortie
ou privé des dix sous du dimanche
à mettre en tirelire
Désirs comprimés
dont s’emplissaient tes nuits qu’agitaient
des leçons ânonnées en dodine
…
Je suis né disais-tu au bout …
Extrait 8
Les cris de joie feinte
d’autres diraient de rage
que tu poussais à perdre haleine
à la toute dernière fessée reçue pour t’être
sous le regard acerbe de ta mère offusquée
et a la gêne polie de tous
farfouillé le nez
d’un doigt preste et chanceux
au goûter-de-Madame-La-Directrice-de-l’Ecole-des-Filles
Désirs comprimés
…
Je suis né disais-tu au bout …
Extrait 7
Les vacances toujours proches à Rémire
où les cousins parlaient si librement patois
crachaient si aisément par terre
sifflaient si joliment un air
lâchaient si franchement un rot
et autres choses encore
sans crainte d’être
jamais mis au pain sec
ni jetés au cachot
Désirs comprimés
…
Je suis né disais-tu au bout …
Extrait 6
Le beau tour à jouer à Gouloufia
criminellement coupable
d’avoir à lui seul
dévoré à pleines dents
le gâteau que Nanette
La bonne vieille marchande
vous avez en partage
si gentiment offert
Désirs comprimés
…
Je suis né disais-tu au bout …
Extrait 5
Jeux interrompus la veille à la vue de la clef
par distraction laissée au buffet et au choix
de bonnes chose en réserve
gelée de goyave
liqueur de monbin
mangues Julies jolies jaunes à point
fruits fruits confits
gâteaux secs et lait
lait condensé chipé toujours meilleur au goût
Désirs comprimés
…
Je suis né disais-tu au bout …
Extrait 4
Et nul ne voyait la plante s’étioler
pas même Œil-à-Tout-l’Invisible
qu’en longue robe blanche
accuodé au flanc acajou de ton lit
la tête un instant perdue
dans tes mains pieusement jointes
tu priais à genoux
à l’heure où les enfants se couchent et dorment
sans broncher ni mot dire
Et tes nuits qu’agitaient des leçons ânonnées en dodine
s’emplissaient de désirs comprimés
…
Je suis né disais-tu au bout …
Extrait 3
De Buzaret dont l’ombre rafraîchit
et les rochers depuis toujours supportant
plus d’une amour ardente et chaude
De l’Anse des Amandiers
que nargue l’Enfant Perdu dans sa détresse de phare
De Catayé où vont crever de vanité les cerfs-volants des Amandiers
qui n’en peuvent mais de faire
le joli cœur au Ciel
Du Dégrad nouveau
De la Pointe qui mène à Kourou
où l’Indien eût
un soupçon de revanche
De la crique encombrée de pirogues
De la Place des Palmistes
à ton cœur pourtant si proche
ne parvenait guère
le souffle même de l’Orénoque
ton Orénoque
Rivé à la médiocrité du sort
petit-bourgeois crépu
ton âme était d’emprunt
ton corps emmailloté
ton cœur un long soupir
…
Je suis né disais-tu au bout …
Extrait 2
Du vieux Dégradé-des-Cannes
témoin de ce qui fut le temps des négriers
Des chutes de Rorota dont l’eau est belle à voir et bonne à boire
De Montalbo la Plage huppée
De Bourda le fief du vieux-blanc-en-chef de l’heure
De Châton dont le sable gris-deuil voit s’en revenir
non sans mal du Large
violâtres
défigurés
gonflés
pareils à de gros-ventres
les cadavres de ceux qu’attire Châton à Pâques et à Pentecôte
et que Dieu dans sa mansuétude
punit si gentiment en les noyant à Pâques et à Pentecôte
pour n’avoir pas à la Sainte Table
communié en Dieu à Pâques et à Pentecôte
mais pour avoir à Châton fait ripaille
à Pâques et à Pentecôte
…
Je suis né disais-tu au bout …
Extrait 1
‒ Je suis né disais-tu au bout
tout au bout du monde
là-bas
entre
la montagne Tigre
et le Fort-Cépérou qui regarde la Mer dîner de soleil
de palétuviers et d’algues
à l’heure où la nuit tombe
sans crier gare au crépuscule
…
Parce qu'une joue
en appelle une autre
voici que contre
la mienne
ta joue est là
pour que l'une
et l'autre
en oublient
et pardonnent
toute inutile
violence
J’ai l’impression d’être ridicule
Parmi eux complice
Parmi eux souteneur
Parmi eux égorgeur
Les mains effroyablement rouges
Du sang de leur ci-vi-li-sa-tion
IL N’EST POINT DE DÉSESPOIR
Il n’est point de désespoir si fort soit-il
qui ne trouve au carrefour sa mort à l’aube
et bien parce qu’il n’est point de désespoir
qui ne trouve au carrefour sa mort à l’aube
l’écho avec son œil mauvais
la langue saburrale
a bel et bien tort
de prendre
cet air entendu quelque part
et de répéter à tout venant tout vent
trop tard
trop tard
Car
l’écho que j’ai à l’œil
de vouloir se donner l’air
d’avoir l’œil mauvais
et la langue saburrale
ignore
que le désespoir est mort à l’aube
ILS SONT VENUS CE SOIR
Pour Léopold-Sedar Senghor
ils sont venus ce soir où le
tam
tam
roulait de
rythme
en
rythme
la frénésie
des yeux
la frénésie des mains
la frénésie
des pieds de statues
DEPUiS
combien de MOi MOi MOi
sont morts
depuis qu'ils sont venus ce soir où le
tam
tam
roulait de
rythme
en
rythme
la frénésie
des yeux
la frénésie
des mains
la frénésie
des pieds de statues
VOUS DONT LES RICANEMENTS
VOUS DONT LES RICANEMENTS
d’obscurs couloirs d’air
me donnent
la chair de poule
Vous dont le visage
bouffi rappelle
ce masque qu’empruntait souvent à plaisir
par-delà les mornes agrestes
la lune
la lune de mon enfance sordide
Vous dont je sens
vous dont je sais le cœur
aussi vide de tendresse
que les puits de chez nous d’eau
au dernier carême
Vous dont la présence
proche ou lointaine
énerve ma vie
comme la vieille folle du coin
mon premier sommeil
Vous dont le crime est d’en vouloir
à l’image
qu’il m’a plu
d’avoir un matin
d’ELLE
Vous dont les ricanements
vous dont le visage
vous dont le cœur
la présence
le crime
Et puis vous tous
enfin vous autres
saisirez-vous jamais un rien même
à ce poème
mon drame
Nous les gueux
Nous les peu
nous les rien
nous les chiens
nous les maigres
nous les nègres
Nous à qui n'appartient
guère plus même
cette odeur blême
des tristes jours anciens
Nous les gueux
nous les peu
nous les riens
nous les chiens
nous les maigres
nous les nègres
Qu'attendons-nous
les gueux
les peu
les rien
les chiens
les maigres
les nègres
pour jouer aux fous
pisser un coup
tout à l'envi
contre la vie
stupide et bête
qui nous est faite
à nous les gueux
à nous les peu
à nous les rien
à nous les chiens
à nous les maigres
à nous les nègres...
Nous les gueux
Nous les peu
nous les rien
nous les chiens
nous les maigres
nous les nègres
Nous à qui n'appartient
guère plus même
cette odeur blême
des tristes jours anciens
Nous les gueux
nous les peu
nous les riens
nous les chiens
nous les maigres
nous les nègres
Qu'attendons-nous
les gueux
les peu
les rien
les chiens
les maigres
les nègres
pour jouer aux fous
pisser un coup
tout à l'envi
contre la vie
stupide et bête
qui nous est faite
à nous les gueux
à nous les peu
à nous les rien
à nous les chiens
à nous les maigres
à nous les nègres...
Nous les gueux
nous les peu
nous les rien
nous les chiens
nous les maigres
nous les Nègres
Nous à qui n’appartient
guère plus même
cette odeur blême
des tristes jours anciens
Nous les gueux
nous les peu
nous les riens
nous les chiens
nous les maigres
nous les Nègres
Qu’attendons-nous
les gueux
les peu
les rien
les chiens
les maigres
les nègres
pour jouer aux fous
pisser un coup
tout à l’envi
contre la vie
stupide et bête
qui nous est faite
à nous les gueux
à nous les peu
à nous les rien
à nous les chiens
à nous les maigres
à nous les nègres
Il n'est pas de midi qui tienne
et parce qu'il n'a plus vingt ans
mon coeur
ni la dent dure
de petite vieille
pas de midi qui tienne
je l'ouvrirai
pas de midi qui tienne
je l'ouvrirai
pas de midi qui tienne
j'ouvrirai
pas de midi qui tienne
j'ouvrirai la fenêtre
pas de midi qui tienne
j'ouvrirai la fenêtre au printemps
pas de midi qui tienne
j'ouvrirai la fenêtre au printemps que je veux éternel
pas de midi qui tienne.