De mon point de vue, Cory Smylie est une fosse septique à face humaine. La seule bonne chose qui pourrait sortir de ce type un jour, c'est des pâquerettes - au cimetière. Quelqu'un qui traite un animal comme ça n'hésitera pas à en maltraiter d'autres.
Au fil du temps, tandis que les fermiers voisins labouraient leurs champs, j’avais effectué une dizaine de descentes dans la vieille ferme de Brown afin de m’y procurer des tuyaux de cuivre pour mon alambic, et aussi quelques bardeaux, ceux qui ne tenaient pas bien, au bord du toit. Je m’étais également emparé de la baignoire en fonte et l’avais transportée sur la brouette de Brown jusqu’au ruisseau qui coule au bas de mon campement. Puis j’avais trimballé assez de bois pour construire une plate-forme au-dessus de la rive boueuse et planter un piquet auquel fixer le petit miroir trouvé sur un mur de la ferme abandonnée. Chaque soir, avant de me coucher, je monte sur ma plate-forme et remplis la baignoire d’eau du ruisseau, en y ajoutant des pierres du foyer afin que le bain ne soit pas trop glacial.
Si je me suis permis de récupérer tout ça chez le fermier Brown, c’est parce qu’on avait été potes. Et puis merde, parce qu’il était mort.
Face à un champ, la seule manière de deviner l’épaisseur de la neige c’est d’examiner ce qu’elle recouvre. À certains endroits rien ne dépasse et les congères doivent déjà avoisiner les deux mètres de haut – alors que la tempête commence à peine.
Il fait si sombre que je pourrais me redresser pour agiter mon zob sans qu’ils s’en aperçoivent. La petite arène est éclairée par une lampe à kérosène, sa lumière orange vacille dans le tourbillon des papillons de nuit ; tout autour, les fêtards rigolent, braillent, sifflent comme s’ils mataient des filles à poil. D’où je suis, pas moyen de distinguer les combattants qui s’étripent au milieu de l’arène, deux chiens élevés dans ce but ou peut-être volés à un gosse ; ou alors à un pauvre con comme moi.
Il était convaincu qu’un expert peut mener un être humain par le bout du nez, pour peu qu’il connaisse ses désirs. Et, parce qu’en lui le vide était vaste, il ne pouvait aller contre sa propre nature.
Le mal est parfois si bien ancré qu’on va dans son sens sans le savoir
C’EST UNE AUTRE HISTOIRE
Il respire mieux, maintenant, même si sa trachée semble avoir morflé ; son souffle se met à siffler au moindre effort, par exemple dès qu’il se lèche les burnes. Faut dire que dans ce domaine il y met du sien, le Fred. Ça me rappelle l’histoire des deux vieux qui regardent un chien se lécher, le premier s’écrie : « J’aimerais bien pouvoir faire ça ! », et l’autre répond : « Je suis pas sûr qu’il aimerait, lui. »
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UN ADIEU
À quelques mètres du foyer, je plonge le fer de ma pelle dans le sol. C’est là que Fred reposera, au milieu de tout ce qu’il aimait. J’enfonce mon outil avec le pied, enlève une grosse motte noire par à-coups, puis je recommence et heurte une racine. La racine est coupée en quelques furieux coups de pelle mais je m’acharne.
Cette tâche brutale me soulage. Je dois quand même maîtriser ma colère et la faire travailler pour moi. Déjà, faut les empiler, ces pelletées, pas les balancer n’importe où.
Un mètre de long sur soixante centimètres de large et un mètre trente de profondeur. Une fois Fred enveloppé dans sa couverture de laine, je descends au fond de la fosse avec lui, j’embrasse sa truffe froide en le serrant contre moi comme si ça pouvait le faire revenir à la vie. Il y a un cri dans ma tête mais ma gorge est silencieuse – de la rage dans mes yeux, mais ils restent fermés. Tandis que mes mouvements sont calmes et lents, mon âme exécute une danse guerrière.
Adieu, beau gosse, je t’aime.
Fred ne répond pas.
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Les chiens se battent pour un bout d’os, et peu importe à quel chien tu le donnes, les autres le lui voleront.
Un orphelin se demande à quoi ça ressemble d'avoir une famille, mais seulement un moment, car il se dit ensuite qu'il préfère ne pas en avoir, et que s'il avait des parents il leur dirait d'aller se faire foutre parce qu'il aime la solitude.