Louise Desjardins

Comment faire pour reconnaître l’amour des films et des romans, celui qui est censé durer jusqu’à la mort pour le meilleur et pour le pire ? Pourquoi faut-il toujours recommencer ? (p.81)

Une cicatrice, c’est une cicatrice. Elle couvre une blessure sans la nier.
La vieillesse, comme une cicatrice de la vie.

(p. 134)

Ça me fascine, ce besoin de partir. Une insatisfaction de la vie, tout simplement, peu importe où l’on se trouve. La vie qu’on croit toujours meilleure loin de chez soi. Loin de cette terre, vers le nord ou vers le sud, on a besoin d’air. D’infini.

(p.85)

Je porte le nom de naissance de mon mari. C’est la loi de Dieu et des hommes. Ce nom m’a été attribué parce que je suis femme de. Déjà que mon nom était celui de mon père. Fille de.

(Boréal, p.103)

Tu déambules dans le dédale de tes histoires
Tu les consignes avec application
Dans un cahier de charges
Tu comptabilises à la virgule près
Tes avoirs et tes naufrages

"Au début des années 1980, une nouvelle loi entre en vigueur. Les femmes mariées peuvent désormais porter le nom reçu à la naissance." p.111

Mais je sais que les paradis finissent toujours par se perdre.

Quelle bêtise de rester dans un village perdu. On a beau marcher sur l’or,
l’or, même pur, ne se mange pas. (p. 18)

"Quand j'ai accouché de ton frère cadet, ça s'est mal passé, je souffrais et je perdais beaucoup de sang. Comme je pensais que j'allais mourir, je me plaignais, je criais. La bonne soeur garde-malade s'est permis de me faire la leçon. C'est normal que ça fasse mal, ma p'tite dame, qu'elle me dit. Vous avez dû avoir du plaisir à le faire, ce p'tit là? Ben là, faut souffrir ! p.133

Il me caresse les pieds, et je comprends soudain les passages de livres que je ne comprenais pas. Personne ne m’avait caressé les pieds auparavant. Pas comme ça en tout cas.

Ma mère dit souvent qu’avoir des enfants n’est pas une obligation, que c’est un pensez-y bien, que c’en sera fini de la liberté et des voyages. De son côté, ma belle-mère, guère plus encourageante, y va de façon plus catégorique. Y faut pas faire d’enfants, ça vous gâche la vie.

"Le hic, c'est que dans ma ville, après le secondaire, classique ou pas, il est impossible qu'une fille puisse aller en belles-lettres et terminer son cours classique. Tout ce qu'elle peut faire, c'est d'étudier en vue de devenir secrétaire ou infirmière. Autrement, elle doit se marier ou s'exiler dans une grande ville." p.125

Vu que je suis une fille, il ne sait pas trop comment agir avec moi. On ne doit pas battre une femme, même avec une fleur, répète ma mère en ajoutant que c’est un proverbe chinois (elle aime beaucoup les proverbes, elle en a pour toutes les occasions).

Je reviens à la maison en méditant sur le mot concubinage. Le dictionnaire dit : qui couche avec. La religion dit : sans être marié, comme un gros péché. Dès qu’Aimé arrive, je me précipite pour tout lui raconter. C’est pas compliqué, chérie, on va juste se marier, dit-il sans hésiter, c’est la meilleure solution, en fait. Je ne suis pas chaude à l’idée de me marier à l’église. Ça change rien, voyons, chérie, on est bien ensemble, on prendra ça au jour le jour. Arrête de t’en faire, c’est pas grave.

Ça va saigner tous les mois comme ça ? Oui, ma petite fille, soupire ma mère, c’est la nature. Toutes les femmes du monde sont comme ça. Ça veut dire que tous les mois je vais rester couchée, pis saigner, pis avoir des crampes ? Non, tu vas mettre une serviette sanitaire, je vais t’organiser ça. Ça va bien aller.

Je lui fais remarquer que les écrivains du xxe siècle ne sont pas au programme. Vous êtes sûre que vous tenez à enseigner Flaubert ? Absolument et, tant qu’à y être, pouvez-vous demander une exemption pour Stendhal et Zola ? Ah, là, mademoiselle, c’est trop, beaucoup trop. Commençons par Flaubert et nous verrons pour la suite.

C’est plus facile avec les petites d’éléments latins qui sont tout yeux, tout oreilles. Je leur raconte des histoires en marge du Lagarde et Michard obligatoire, cette anthologie de luxe pleine de belles images de la littérature de France.

C’est un homme des bois. Il se promène dans les chemins forestiers sans se soucier des cahots ni des cailloux, sans être effrayé par les pires tempêtes. Ma mère, qui admire son mari, dit qu’il n’a peur de rien, qu’il est un héros. C’est vrai qu’il domine tout quand il est dans la maison, surtout ses quatre enfants, mais pas ma mère, qu’il appelle Honey.

C’est beau, l’Espagne, mais je trouve ça moins beau, la foule qui se délecte à la vue d’un taureau qui saigne à mort sous les coups complaisants du grand El Cordobés. Je perds connaissance. Aujourd’hui, on dirait que j’ai un choc vagal. Ça maugrée un peu autour de moi. Tu es une petite nature, voyons, me dit Aimé. Je descends les gradins et j’attends toute seule à la sortie que le spectacle finisse. On revient tard dans la nuit à la villa et dès le lendemain matin on part pour l’Italie.

Ils sont vraiment adorables, les parents d’Aimé. Ce sont des gens à l’esprit ouvert, des artistes, comme tous ceux qui ont fui la Grande Noirceur. Ils me reçoivent comme si j’étais déjà leur belle-fille. La chambre à l’étage est prête pour nous. Un seul lit. Je n’en reviens pas. Chez mes parents, il serait impossible de dormir avec mon amoureux sans être mariée en bonne et due forme.