Il est toujours délicat de jauger l’appréciation d’un témoignage autobiographique comme on le ferait avec une histoire complètement romancée. Difficile en effet de juger une histoire vécue, d’autant plus lorsque le témoignage se fait des années après, alors qu’on a grandi. Je vais pourtant partir de ces observations pour exposer la richesse du travail de l’autrice. Revenir sur un long événement douloureux de la petite enfance, en garder l’innocence tout en insufflant le recul et l’analyse sur la situation vécue est un exercice difficile que Loung Ung relève haut la main. J’irai même plus loin puisqu’elle réussi a nous faire entrevoir les grandes lignes de l’Histoire avec son analyse d’enfant, rendant l’horreur de la situation encore plus proche parce qu’elle met des émotions sur ce qui n’est que factuel dans les restitutions historiques.
La lecture est douloureuse et difficile, mieux vaut le savoir avant de plonger dans cette lecture. Je n’aime pas m’interrompre dans un livre pour le reprendre quelques jours/semaines plus tard, pourtant, j’ai du le faire pour celui-ci puisque je me sentais oppressée par l’horreur que je découvrais. Je n’étais pourtant pas au bout de mes peines lorsque j’ai décidé de faire cette pause puisque la famille avait alors vécu la première disparition d’un de ses membres. Lorsque j’ai repris ma lecture, tout s’est enchaîné et malgré la descente aux enfers, je n’ai pourtant pas pu décrocher du livre : j’avais besoin d’entrevoir le bout du tunnel et de savoir dans quel état Loung Ung et sa famille se trouvait en 1979 lors de la chute du régime.
Ce qui est à retenir dans ce livre, au delà du témoignage sidérant de cette période, ce sont les sujets encore actuels qui transpirent comme le racisme : les Khmers voulaient asservir des Cambodgiens et se débarrasser des autres, c’est à dire principalement des Chinois et des Vietnamiens. C’est la raison pour laquelle la famille Ung essaye de travestir leur voix, leur accent mais également se salît avec de la boue pour cacher la carnation plus claire de leur peau. Malgré une pseudo politique de collectivisation « pour tous », le témoignage montre à quels points les Khmers profitaient de la situation en usant par exemples des jolies jeunes femmes comme des objets sexuels. La politique passive/agressive a permis de ne pas totalement éteindre l’espoir des opprimés, mais la haine que ceux-ci vouent aux Khmers à la fin du régime montre à quel point la violence les a rongée de l’intérieur.
Malgré son âge, Loung Ung arrive à faire la part des choses lorsqu’elle est amenée à passer dans un camp plus « haut de gamme » qui doit la former à devenir un soldat : elle comprend l’image qu’elle doit renvoyer pour obtenir de la nourriture et une vie moins difficile mais ne se laisse pas endoctriner par les leçons pro-Angkar qu’elle reçoit.
Les derniers chapitres permettent de savoir comment la petite fille qui a tant souffert a réussi à s’en sortir et devenir la militante qu’elle est aujourd’hui. Bien que succincts, ils permettent de respirer à nouveau et de voir comment l’horreur subit peut se transformer en force pour aider les autres.
Un témoignage essentiel qui permet de se pencher sur une période historique que l’on connaît mal et/ou peu en France.
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