Au coeur de l'univers de l'auteur : Une Belgique objet de rejet et de sujet.
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Ouf ! Fini ! La première impression était la bonne : quel salmigondis !
Parmi les bonnes choses : des personnages qui ont de l'étoffe comme Talaris, le politicard roublard et jouisseur, ou Manu Carnot avec son côté « french doctor » à la belle Gueule.
Aussi, côté des bonnes surprises, reprendre l'idée du « plan B » , si souvent évoqué après le référendum de 1992, plan qui n'existait pas , pour en faire la Planète B, une terre où les femmes ne sont plus stériles, où il n'existe plus d'Amérique et donc plus d'hégémonie étasunienne, ni de pollution, mais où règne une dictature chlorophyllée. Résoudre la globalisation en devenir en ne gardant sur la mirifique Planete B qu'une ville : Paris ; parce qu'au fond, on est si bien entre-soi... C'est railleur et persifleur, et ça fait du bien.
Mais pour le scénario, j'ai beau m'appliquer, je n'y vois qu'un fouillis sans queue ni tête. Les allers-retours du futur à différents passés, trop de références à des technologies existantes ou inventées timidement, une théorie du complot enfantin, et quelques autres « détails »...
Et pourtant, Luc Dellisse a beaucoup écrit sur les scénarios, mais de mon humble point de vue, il n'est pas fait pour la BD.
L'alchimie entre dessinateur et scénariste est restée inopérante entre ces deux-là, qui se connaissaient peut-être trop bien...
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La littérature permet d’avoir des fantasmes et de les réaliser, en tous cas plus souvent et plus sûrement que dans la vie, pour peu que l’auteur ait des talents de conteur et du style.
Ici, dans ce roman où le narrateur et l’auteur semblent se superposer en grande partie, ce narrateur, professeur de scénario français enseignant à l’Université de Genève, assouvit le fantasme de scénarisation de sa propre vie, transformée ainsi en une succession de prophéties (presque) auto-réalisatrices.
Sur une période de seulement trois jours, le département cinéma de l’Université de Genève va être le théâtre d’un scénario incroyablement riche, qui parfois semble se plier, parfois se rebeller aux injonctions de son démiurge, avec pour ingrédients l’argent, le sexe, un complot, des petits délits et des soupçons d’assassinat, tout cela sur fond de Calvinisme, terreau des divergences culturelles franco-suisses dans le corps professoral, et face à la splendeur froide du lac Léman et des montagnes qui l’entourent.
Un moment de lecture savoureux, avec un livre qui rend hommage au pouvoir de l’imagination et de la littérature.
«Les professeurs pour la plupart sont des gamins déguisés en vieux sages», et les auteurs parfois aussi. Ce roman confirme en tous cas que Luc Dellisse est un auteur éminemment drôle et légèrement machiavélique.
« J’ai frappé à la porte marquée : Directeur du Département.
Une voix claire, métallique, a crié "Oui, Oui" et je suis entré dans le bureau de Mathieu.
Ce spécialiste de Murnau et de Pabst avait le visage ovoïde et blême de Nosferatu. Son habitude de porter des chemises noires augmentait encore l’étrangeté de sa pâleur et de son immobilité. Ses cheveux lisses et noirs, ses sourcils minces et comme épilés et surtout, l’air de jouissance avec lequel il se délectait de formules anormalement cérémonieuses, articulées dans desserrer les dents, lui donnaient un air inquiétant. »
« Aurore, la première fois que je l’ai vue, j’ai compris l’indifférence des criminels à l’égard des peines de prison. Elle était dans la cuisine, juchée sur un tabouret Ikea, elle buvait un bol de Nesquik. Mince, à peine nubile, elle paraissait mineure. Pas de beaucoup mais assez pour être intouchable. Ça ne m’empêchait pas d’avoir envie de la toucher de toutes les façons possibles. L’audace seule me manquait. »
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Le récit subtil et enlevé d'un témoin de la "crise de 2013".
Le sixième roman de Luc Dellisse, paru en septembre 2012, est une belle occasion de faire connaissance avec l'écrivain franco-belge, remarquable polygraphe de fictions et d'essais (et professeur de scénario à la ville).
En 120 pages denses assorties d'une précieuse postface, il nous propose d'accompagner la "réflexion à voix haute", menée à un train d'enfer, d'un intellectuel "ayant vécu" en 2013 le dénouement et le point provisoirement final de la crise du capitalisme dont le paroxysme actuel avait débuté en 2007-2008...
Parvenant à trouver un ton bien particulier, tout en lucidité informée (les passages économiques sont souvent d'une qualité et d'une drôlerie dignes du meilleur Lordon, bien qu'issus d'une perspective sensiblement différente) et en pragmatisme gentiment égoïste de - déjà - survivant, Luc Dellisse nous propose ainsi, sous couvert d'anticipation socio-économique, une forme subtile d' "apocalypse joyeuse", où la mélancolie, la résignation et le vouloir-vivre "au mieux" s'associent dans une bizarre sarabande que, là aussi dans une perspective bien différente, ne renieraient sans doute pas le Jérôme Leroy des anticipations socio-politiques nourries au fantôme de "communisme balnéaire", voire le Norman Spinrad du "Il est parmi nous"...
À mi-chemin entre l'analyse économique réaliste et une forme désenchantée de romantisme contemporain, une lecture bien attachante.
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Bien plaisant roman, redoutable de désinvolture, où l'université genevoise surprendra...
Paru en 2009, le quatrième roman du Franco-Belge Luc Dellisse se déroule à Genève, et nous propose une bien savoureuse violence des échanges dans un autre milieu tempéré, celui de la haute faculté.
Même si, vu de loin, tout sépare les départements "XIXème siècle" et "Etudes cinématographiques" de la vénérable université calviniste des intrigues de la grande entreprise mondialisée, Luc Dellisse recrée pour nous, comme l'avait fait par exemple en 2000 Claude Pujade-Renaud avec son "Septuor" (où les motivations toutefois, presque exclusivement sexuelles, perdaient en subtilité et en crédibilité ce qu'elles gagnaient parfois en drôlerie), ou à la manière d'un David Lodge (en infiniment moins monomaniaque), un univers feutré, policé à l'extrême et pourtant d'une extrême rudesse.
Le charme du protagoniste, professeur de scénario, narrateur tout en gentillesse et extraordinairement peu fiable (par omission bien plus que par action, à l'instar de certain docteur de King's Abbot), opère à 100 % et nous guide dans un magnifique embrouillamini, où l'irruption du mécénat comme source de financement, les rivalités professionnelles, les contrastes étonnants entre étudiants différents, les camaraderies et amourettes, teintées de sournoiserie ou au contraire très décomplexées, entre professeurs, serviront de ressorts et de munitions, en cette bonne ville de Genève où bouillonnent des passions parfois bien inattendues.
Le machiavélisme benoît du héros, guidé par ses amours, ses talents désenchantés et sa compréhension intime des ressorts dramatiques lui permettant de (presque) tout scénariser chez les autres, nous offre un livre plein d'une étrange drôlerie, d'une profonde érudition, et d'un regard sur le monde au charme trouble et somme toute passionnant.
Une bien plaisante découverte, à la croisée indéfinissable de plusieurs genres de littérature.
" - Il y a encore un autre problème sérieux. C'est le mécénat.
- Ah, le mécénat !
- Tu fais bien partie de la commission du mécénat ?
- Oui, j'en suis même le secrétaire.
- Je n'ai pas vu le rapport des dernières réunions.
- Il n'y a pas eu de dernières réunions.
- Voilà, si je relâche la pression un instant, ça se délite.
Il prononçcait "dilite", comme pour la touche détruire des claviers d'ordin
ateur, mais j'avais compris. On ne travaille pas vingt ans dans les réseaux universitaires sans voir la langue française partir au galop dans les sables. En règle générale Mathieu parlait à la perfection le français de Paul Bourget. Mais la modernité l'égarait comme chacun de nous.
- Tout se dilite, d'ailleurs. À cause de mon drame intime, j'ai été contraint de prendre mes distances par rapport à la Fac. J'ai délégué, j'ai délégué. Résultat : un grand désordre. Ah, Luc, ne délègue jamais.
Je n'avais rien à déléguer, n'exerçant aucune responsabilité sérieuse. J'ai pris le masque de Caton, farouche, incorruptible, prêt à détruire Carthage plutôt que de déléguer."
"Il y a eu un moment de creux de la vague. Les ampoules Saturne donnaient à présent leur pleine puissance. Pour changer de sujet, j'ai posé une question de pure forme sur Toronto. Charlie s'est rengorgé. C'était une surprise toujours renouvelée d'entendre ce grand et gros vieillard négligé parler sur un ton de mondanité délicate : "Oui, mon cher. Je quitte pour neuf mois la cité de Calvin, le temps d'accoucher d'un cours sur Auguste Méliès. Ça s'est décidé en catastrophe." Sa barbe crénelée de puisatier assyrien donnait à ses propos une folie qu'ils n'avaient pas vraiment. "Je laisse d'ailleurs derrière moi un département en ordre de marche." "
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