Citations de Ludovic Lancien (87)
Les mots prononcés par l'oncologue au dernier rendez-vous revinrent le hanter.
"Profitez des moments qu'il vous reste. En famille, avec vos enfants ou entre amis, faites le nécessaire pour lui offrir une belle fin."
Les yeux du capitaine s'embuèrent.
Cela n'existe pas, une belle fin.
- La tératologie, approuva la vieille femme en baissant les yeux. Une autre lubie de Richard. La science des monstres, ajouta-t-elle en constatant le désarroi de Jérémy. S'imprégner de l'anatomie humaine pour en déchiffrer les anomalies, les malformations organiques et les mutations génétiques. Toxicité liée à l'environnement direct, déséquilibre hormonal, exposition à des matières nocives, tout cela n'est pas sans risque pour nos descendants.
Il avait appris à cette occasion que la représentation d'un pentacle ne présageait pas nécessairement quelque chose de mauvais. Il était avant tout associé à l'Homme de Vitruve, ce symbole de l'humanisme sorti de l'imagination de Léonard de Vinci. En effet, si l'on superposait les branches d'un pentacle sur le célèbre dessin, ce dernier s'emboîtait à la perfection.
Le pentacle posait problème lorsque l'on en inversait le sens.
Pointe vers le bas, on pouvait l'associer à la magie noire. Surtout si l'auteur y ajoutait une tête de bouc. Comme maintenant.
Ses traits s'affaissèrent tel un pâté de sable subissant les assauts de la mer.
Pauline avait déjà glissé vers des rêves que le policier espérait empreints d'une beauté apaisante, loin de la brutalité de ce monde.
Comment s'imaginer un futur en sachant que d'autres n'y goûteront jamais ?
(...) il ne faut jamais perdre de vue que nous sommes tous égaux. Dans la souffrance comme dans la joie. Mais le culte de la perfection qui s'est emparé de notre société écarte d'emblée ces êtres anormaux.
Richard était un fou de tératologie. Il disait que cette discipline était un avertissement que la mort nous envoyait à nous, vivants. Que ces gens frappés par le hasard génétique étaient l'illustration flagrante de la régression du genre humain. Ne t'y trompe pas, Gabriel. Richard vouait une grande admiration à ces malades, qui n'attachent pour la plupart aucune importance à la mort, trop occupés à savourer le don du ciel qui leur permet de vivre. Tu vois, cela rejoint les propos de Marians Dorosevs. Ils triomphent de la maladie. Alors que les autres humains passent leur temps à se plaindre et perdent de vue l'essentiel.
La mort t'effraie. Tu veux la museler, la domestiquer, pour enfin arrêter d'en avoir peur. Pourtant, elle fait partie intégrante de nous. Notre sablier biologique s'égrène dès que nous venons au monde.
L'institut regroupait des patients souffrant de pathologies extrêmement rares, des gens atrocement mutilés dont l'existence choquait les normes de notre société.
(...)
- Qu'attendait de vous le docteur Mievel ?
- Rien. Apprendre à vivre, c'est tout. L'institut était hermétique au monde extérieur, et les prêtres nous rappelaient la nécessité de retrouver notre dignité, de valoriser l'humain qui se cachait derrière les traumatismes.
(...) les excuses ne servent à rien quand elles sont trop tardives.
Perchés en hauteur sur les branches, les oiseaux gazouillaient, comme pour se moquer de cette intrusion fortuite. Vous n'êtes pas au bout de vos surprises, prévenaient-ils.
(...) l'atmosphère des lieux incitait au respect. Même les oiseaux n'osaient chanter. Ils étaient les seuls témoins.
Il y a actuellement près de quarante millions de personnes souffrant de maladies rares à travers le monde, à divers paliers de souffrance. La majorité d'entre elles ne sont pas reconnues par leur famille, bannies par la société. C'est une réalité, il suffit de se documenter.
(...)
Quarante millions d'individus éparpillés à travers le monde. Le chiffre donnait le tournis.
Combien n'avaient pas accès aux soins ?
Combien mourraient seuls, privés d'amour, d'une dernière caresse ?
Gabriel scruta le corps boursouflé de Franck Tiesbot et percuta.
Sa mort était un accident
L’annonce du légiste produisit son petit effet.
Tout le monde semblait tétanisé , abasourdi par l’indicible horreur de ce que cela impliquait ;
Richard Mievel avait été dévoré vivant.
Un mangeur de chair humaine
L’ultime régression de l’individu à l’état sauvage
- Je ne comprends pas, sanglota la secrétaire. C'était un homme gentil. Je... je n'en reviens pas.
Noémie leva les yeux au ciel. Si elle ne resserrait pas immédiatement l'interrogatoire, elle aurait droit aux traditionnels éloges louant le caractère exceptionnel de la victime. A croire que se faire assassiner assurait d'office une place au panthéon.
Lucas prenait pleinement conscience qu’une minorité d’hommes naissaient avec le gêne du mal en eux, et que cela se répercutait de plein fouet sur des centaines, des milliers d’individus, parfois bien plus. Ces êtres cassés, difformes, évoluaient sereinement à nos côtés, fondaient des familles, sortaient avec leurs amis, portaient en public un masque qui cachait leurs terribles tares.
La picocola Casta navigue au confluent de chacune. La magie blanche protège et guérit, elle ne sert que des destins altruistes. Quand à la noire, elle est le Mal. Pour le Mal, et par le Mal. Elle sert à invoquer les démons, elle empoisonne.
- L'hospice abrite des démons? Railla la jeune femme.
- Pas au sens propre du terme, bien entendu. Mais les êtres que Dieu a choisi d'occulter, de plonger dans l'oubli.