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Citations de Marek Hlasko (18)


La démence.
Faire semblant d'être fou n'est pas une chose simple, mais on peut y arriver pour peu qu'on ait assez de courage et de caractère. Simuler la manie de persécution semble être le plus facile, cela prend toutefois du temps. Il faut se rendre dans le commissariat de police le plus proche et demander une autorisation de port d'arme. Lorsque les policiers nous demanderont dans quel but il nous faut un pistolet à quinze coups de la marque FN, nous répondrons que depuis plusieurs jours nous sommes poursuivis par un individu portant un manteau de cuir et lunettes noires, avec une canne à la main ; nous laisserons entendre qu'une lame est dissimulée dans la canne. Les fonctionnaires de police nous jetterons dehors bien sûr. Quelques jours plus tard, nous y retournerons. Nous raconterons de nouveau la même chose ; cette fois, nous sommes poursuivis par un individu avec un porte-documents à la main ; nous laisserons entendre qu'une bombe à retardement s'y trouve […]. On nous jettera dehors une nouvelle fois avec un coup de pied au cul. Ce qui compte néanmoins, c'est qu'on saura au commissariat que nous nous sommes présentés deux fois – peut-être trois, quatre.
Au début, il ne faut aller chez le médecin sous aucun prétexte : on est fou, mais on ne se rend pas compte qu'on est malade et on croit fermement être persécuté pour des raisons politiques. Lorsque nos amis nous suggéreront d'aller voir un psychiatre, nous refuserons fermement en simulant même de légères attaques de fureur. […]
Lorsqu'on simule la manie de persécution, il faut se rappeler que refuser de s'alimenter – par crainte d'empoisonnement bien sûr – peut être d'un grand secours. Ni les incitations délicates des médecins ni le fait que chaque cuillerée est préalablement goûtée par l'infirmier avant de finir dans notre gosier ne doivent nous ébranler. Il faut hurler, se démener, cracher. Au bout de quelques jours, on nous fera des intraveineuses.
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Robert est obsede par le theatre. En prison, il a toujours joue en echange de quelques cigarettes ce que les taulards lui demandaient. Il avait meme etabli un tarif pour ses services artistiques. Il debitait le monologue de Macbeth qui commence par « Tomorrow, tomorrow and tomorrow » en polonais pour une seule cigarette. Pour deux, il la servait en anglais. La scene du balcon relevait du registre bon marche, une cigarette qu’on coupait en deux, parce que c’est moi qui faisais Juliette. C’etaient les numeros les plus chers. Le repertoire moderne, je le donnais seul pour presque rien du tout. Robert ne s’y essayait jamais. C’etait un pretre de l’art. Je me souviens qu’il avait joue Faust avec un contrebandier qui avait appartenu dans sa jeunesse a une troupe de theatre amateur du Caire, puis ils se sont battus – plus precisement, Robert lui a casse la figure pour son jeu trop appuye et theatral. Quand on a enfin reussi a les séparer, il a continue a vociferer, disant que sur scene, un acteur doit retenir les ailes de son ame. Moi, plus modeste, je jouais generalement des scenes de cinema – mon grand succes, c’etait le chien Dingo. Bien sur, je recevais plus de cigarettes que lui, mais il fumait les miennes et se plaignait de l’inculture croissante du public et de la cretinerie des films.
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Tu n'aimes plus la littérature?
Non. Mais ce n'est pas si simple. A vrai dire, je n 'ai jamais voulu écrire.
- Ne pense pas à ça. Pense seulement au moyen de trouver un gosse qui soit émouvant. il doit avoir des yeux de diamant. Ensuite, on lui paiera une glace et il pourra attraper la dysenterie.
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Il ne s’agit pas de ça. Je suis un perdant. Je serai toujours un perdant, d’un côté de l’océan comme de l’autre. J’aime les situations claires. L’Australie, c’est pour moi le bout du chemin et je le sais. Alors qu’en Amérique, il me faudra encore du temps pour me défaire de mes illusions.
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Et je devrais encore lui dire que je n’en veux pas aux Allemands d’avoir massacré ma famille et quelques millions d’autres Polonais, parce que j’ai vécu ensuite dans le communisme et que je sais très bien que la faim, la peur et la terreur peuvent vous forcer à faire toutes sortes de choses, que les gens ne valent pas mieux les uns que les autres, que tous ceux qui l’affirment appartiennent à la pire catégorie des vivants et qu’on devrait les priver du droit de vivre.
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En Israël, j'ai habité avec les pires épaves mais, là-bas, je n'ai jamais rencontré de personnes aussi désespérées, féroces et malheureuses qu'en Pologne.
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Ce qui compte, c’est que mille jours pourraient passer dans ta vie sans que tu puisses écrire une seule page. Si mon œuvre littéraire m’autorisait à donner des conseils aux jeunes, je leur dirais : chacun de vous devrait travailler pendant quelques temps pour la police secrète afin de peaufiner son style et aiguiser sa pensée. il faut écrire les livres comme on écrit une dénonciation, en ne perdant pas de vue qu’une délation stupide peut surtout conduire à notre propre ruine.


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Moi, je n'aime pas la lumière. J'aime l'obscurité qui nous libère de nos visages et de nos ombres.
- Tu te sens mal ? demande Robert.
- Non. J'essaie seulement de me rappeler quelque chose.
- Et alors ?
- Alors rien, dis-je. Mais ne t'en fais pas. J'aime penser justement parce que ça ne mène à rien.
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Aujourd’hui, l’art appartient à tout le monde. C’est la fin. Je suis un réactionnaire. Mais la réaction a perdu sa puissance sociale de nos jours et l’art n’est plus.
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— Tu vas encore le marier ? demande le portier à Robert.
— Bien sûr. Est-ce que je l’ai déjà mal marié ?
Le portier me dévisage un instant.
— Il est vieux, dit-il enfin. Et il a l’air sacrément fatigué.
— T’en fais pas pour moi, Harry, dis-je. Laisse à Robert le soin d’avoir des idées. Il sait comment trouver le pognon.
— Sûr, dit Robert. C’est pareil pour les dessins. L’essentiel, c’est l’idée. Et moi, j’ai encore plein d’idées pour lui.
— Il est vieux, répète le portier.
— C’est mes oignons. Je sais ce que je dois faire de lui. Cette gueule d’enterrement va me faire gagner le gros lot. Alors, tu les as, ces deux lits, oui ou non ?
— Il faudra aussi payer pour le chien, dit le portier. C’est le règlement.
— On a déjà payé. Quand on l’a acheté.
— Combien ?Presque cent livres. C’est un chien de race. Tu crois peut-être qu’on l’a eu pour rien ? Avec une nourrice en prime ? C’est ce que tu crois ?
— Vous payez d’avance. Quatre livres. Et je ne veux pas voir ce chien traîner dans l’établissement.
— Il reste avec nous, dis-je. Il va là où on va. On n’a rien à lui cacher.
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Nous traversons la route et entrons dans l’hôtel. Affalé dans un fauteuil, le portier lit un livre dont la couverture me fait penser au macchabée : un bellâtre assassine une femme, à moins que ce ne soit le contraire.
— Vous avez roulé longtemps ? demande le portier.
— Deux heures. Un homme est mort dans le taxi, dis-je. Il est resté appuyé contre Robert pendant tout le trajet.
— Le salaud, ajoute Robert. Il va nous porter la poisse. Tu as deux lits pour nous, Harry ?
Le portier ne répond pas. Il est plongé dans sa lecture et moi, je regarde à nouveau la couverture colorée.
— On paie cash, précise Robert.
Alors seulement le portier pose son livre et lève la tête.
— Vous restez longtemps ?
— Je ne sais pas, dis-je. On est venus se faire quelques ronds. C’est pour ça qu’il est tellement enragé. Il pense que le macchabée va lui saboter son plan.
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Il regarde le chauffeur qui, penché sur le corps, tente de déchiffrer le nom de l’acteur sur le magazine.
— Allons-y, chef, dit-il. On n’a pas de temps à perdre.
— C’est John Wayne, précise le chauffeur en se tournant vers nous. Vous ne pouvez pas attendre encore un peu ? Vous savez comment c’est avec la police. Ils pensent toujours que les choses se sont passées autrement qu’on le dit. Ce serait mieux pour moi.
— On a à faire, dis-je. On habite au 56, rue Allenby. Donne l’adresse aux flics s’ils te la demandent.
— Ils le feront sûrement, dit le chauffeur.
Il se penche à nouveau sur le mort.
— Mais ce n’est pas John Wayne, il jouait dans La Poursuite. C’est quelqu’un d’autre.
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Le trajet de Haïfa à Tel Aviv dure plus de deux heures. A mi-chemin environ, nous voyons que le type va mal. Le chauffeur dit qu’on n’est plus très loin. Il pousse à fond son vieux taxi, fait grincer les pneus dans les virages, de sorte qu’on se sent un peu comme des acteurs dans un film de gangsters. Un policier essaie de nous arrêter : il fait signe de la main, mais le taxi ne ralentit même pas. On voit dans le rétroviseur l’agent se diriger vers sa Harley garée à l’ombre, puis il laisse tomber : il fait trop chaud. Seul au milieu de la chaussée, il ôte son casque et se passe la main sur son visage ruisselant de sueur.
— Comment il va ? demande le chauffeur sans tourner la tête.
— Il agonise, dit Robert. Maintenant, il aura du silence et de l’obscurité, ajoute-t-il en s’adressant à moi. Est-ce qu’il va encore être déçu ?
— Vous le connaissiez ? demande le chauffeur.
— Non, dis-je.
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Je suis obligé de tenir notre chien par le collier, car il s'agite et grogne depuis un moment. Il doit être troublé par le mourant.
L'homme meurt peu après. Robert, le chauffeur et moi-même l'extrayons du taxi. On l'allonge sur un banc en attendant l'ambulance. Une personne charitable lui couvre la tête avec un magazine. Sur la couverture, la photo d'un acteur connu nous fixe de ses yeux colorés. Robert soulève la revue et regarde encore une fois le visage du défunt.
J'ai l'impression que c'est un Roumain, dit-il. Il a dû arriver d'Europe récemment. Il ne connaissait pas un mot d'hébreu.
Le plus drôle, dis-je, c'est qu'il n'en apprendra plus aucun.
Mauvais signe.
Tu parles de lui ?
Évidemment. Je suis superstitieux. Ce type va nous gâcher notre affaire. On aurait dû venir en train.
Il n'est pas encore au frais dans sa tombe qu'il s'est déjà fait un nouvel ennemi, dis-je.
Bien vu, répond Robert ? Qu'on le mette en bière vite fait, ce salaud.
Il regarde le chauffeur qui, penché sur le corps, tente de déchiffrer le nom de l'acteur sur le magazine.
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J'aime penser à ce que je projette d'écrire. Tout me semble alors aller de soi. Quand je me mets à écrire, cela se complique. Le pire, c'est de relire ce qu'on a déjà écrit et publié : ce qui saute aux yeux, c'est qu'on a gâché le sujet et, alors seulement, on voit comme il faudrait l'écrire.
Plusieurs fois, Arthur Sandauer m'a déconseillé de publier certaines nouvelles dont il avait lu le manuscrit. Je ne pense pas qu'il ait eu raison. Aussi longtemps qu'une nouvelle reste enfermée dans un tiroir, il est impossible de se rendre compte des erreurs qu'on a faites. Il faut la publier et en avoir honte. C'est la seule possibilité d'apprendre quelque chose qui nous servira à l'avenir. Si une telle possibilité existe vraiment.
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En regardant son visage encore jeune et lumineux, je me dis que dans trois ou quatre ans plus personne ne se retournera sur son passage, dans la rue ou au cinéma. C'est étrange comme elles s'estompent, comme elles disparaissent à l'âge où les hommes deviennent enfin beaux et mûrs. Leurs visages deviennent froids et gris, elles parlent d'une voix aigüe et cassante où ne résonnent plus ni l'amour ni le désespoir - seulement cette misérable sagesse qui leur interdit désormais de faire des folies.
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En toute logique, peu de peuples ont autant d’atouts pour faire de la bonne littérature que nous, les Polonais. Nous avons tout : malheurs, meurtres politiques, occupations sempiternelles ; dénonciations, misère, désespoir, alcoolisme - que nous faut-il de plus, bon Dieu ?
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Robert n'aime pas se laver, selon lui seuls les gens sales en ont besoin.
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