La vieillesse est ce mur qui, inexorablement, monte de plus en plus haut, mur contre lequel je décide de prendre mon élan pour me lancer chaque matin dans la vie. Et chaque matin, je me déplie en me concentrant non pas sur ce qui n'est plus, mais sur ce qui va bien et qui va m'offrir du cent pour cent dans les douze ou quinze heures qui viennent.
Je suis persuadée que nous, les comédiens offrons quelque chose sur scène avant même d'ouvrir la bouche. Porter la voix , faire attention à la diction, c'est de la technique, importante certes, mais l'essentiel vient de plus loin. Lorsque nous arrivons face au public, chacun d'entre nous apporte, au-delà de son phrasé, de son costume ou de ses accessoires, cette réalité profonde et sacrée, sa propre histoire.
Toutes ces empreintes laissées den chemin continuant d’incarner ce que nous avons été, et elles décident ainsi de notre avenir, de ce que seront les dernières années de notre vie. Rien ne meurt complètement, rien ne s’efface de ce qui a existé et on peut être sûr que ce qu’on a semé de plus beau continuera à engendrer de la beauté.
Ne jamais cesser de dire oui à la vie.
Je ne saurais dire le nombre de fois où il m'est arrivé de jouer le rôle d'une femme dont la problématique correspondait à ce que j'étais en train de vivre, ou face à une situation à laquelle j'allais être confrontée par la suite.
J’avais pressenti grâce à la famille de Françoise Marie, que nous vivions en marge du monde, qu’il semblait exister des maisons où, au contraire de la nôtre, on n’hésitait pas à mettre des mots sur des événements et des sentiments, et voilà soudain que les livres me le confirment. Ils m’apportent la lumière, ils m’ouvrent des horizons dont jamais je n’aurais pu soupçonner l’immensité. Ils agissent sur moi comme une armée de libération, bousculant puis effondrant les hauts murs impalpables dressés autour de nous par notre mère et encore notre beau-père.
Après la cérémonie, j’ai réuni la famille et les plus proches amis dans un restaurant voisin de l’Eglise […] J’ai vu venir vers moi Catherine Deneuve, qui s’était éloignée de Vadim durant toutes ces années et qui était là émue.
_ Je vais vous donner quelque chose, m’a-t-elle dit. Elle sorti de son sac une bague ancienne très belle.
_ Vadim me l’a offerte pour nos fiançailles. Je n’ai jamais voulu m’en séparer. Tenez, prenez-là, c’est à vous de la porter. J’étais en larmes et nous nous sommes embrassées.
Qu’aurais-je compris de la grandeur du monde, de sa beauté et de son drame si je n’avais pas lu Claudel, Racine, Rilka, Balzac, Victor Hugo ? Ce sont eux qui m’en ont donné des clés, qui m’ont ouvert les portes, m’apprenant à nommer les sentiments, à dire mes émotions, quand à la maison on se taisait. Mon âme serait morte si les écrivains n’étaient oas venu à mon secours. Et c’est la conscience de l’importance des mots qui m’avait conduite à devenir comédienne.
La mort est une terrible épreuve, mais la mort n’est pas l’anéantissement de l’être aimé, le croire reviendrait à effacer la force et la beauté de tout ce que nous avons vécu ensemble.
Nous ne voulons pas nous laisser gagner par la peur, nous voulons demeurer dans la vie, continuer à imaginer notre lendemain, continuer à créer, à jouer, à prendre du plaisir, si fragile et si douloureux soit-il. C’est un dérèglement mystérieux du corps qui nous a soudain précipité au bord du gouffre, mais nous avons l’intuition qu’en marge de la médecine notre appétit du vivre est notre meilleur allié pour ne rien céder à l’ennemi, pour ne pas nous effondrer, et tomber.